L’année 2023 s’installe peu à peu. Cette période transitoire correspond souvent à un moment d’accalmie dans nos organisations. Alors, pourquoi ne pas en profiter pour s’interroger sur la qualité du climat qui règne dans nos milieux de travail?
À cette fin, diverses questions méritent toute notre attention, notamment :
- Pouvons-nous affirmer, en pleine connaissance de cause, que le climat de travail actuel est sain, respectueux, qu’il soutient les valeurs prônées par l’organisation?
- Connaissons-nous les facteurs de risque susceptibles de nuire au climat organisationnel? Sur lesquels pouvons-nous agir?
- Avons-nous fait la promotion dans nos équipes de travail d’une approche faisant en sorte que les gens qui les composent se sentent en sécurité, tant physiquement que psychologiquement?
- Est-ce que notre culture organisationnelle est parfois évoquée pour justifier l’acceptation implicite ou la tolérance à l’égard de comportements empreints d’incivilité, voire toxiques?
C’est au regard de ces quelques questionnements que nous avons uni notre expertise en éthique et en enquête dans le domaine du harcèlement. Nous avons tenté de dégager des pistes de réflexion sous l’angle de la gestion des comportements répréhensibles et des incivilités ainsi que les conséquences de cette gestion sur le climat organisationnel.
Deux visions, deux points de vue… des constats similaires?
Le climat dans nos milieux de travail, du point de vue d’une formatrice-éthicienne
Comme formatrice-éthicienne, je note que les organisations dans lesquelles règne un bon climat de travail sont celles qui :
- Valorisent le leadership inspirant et mobilisant;
- Prônent une tolérance zéro à l’égard des comportements inacceptables, vexatoires;
- Adoptent une politique dont les dispositions vont bien au-delà des obligations légales qui leur sont imputables;
- Interviennent rapidement sur les situations dites banales (incivilités) afin d’éviter toute escalade éventuelle conflictuelle possible pouvant mener à des situations de harcèlement psychologique;
- Assurent le suivi diligent et assidu de toutes les informations, doléances, signalements ou plaintes qui sont portés à leur attention;
- Forment tous leurs gestionnaires et l’ensemble de leurs employés afin que leurs conduites se modèlent sur celles favorisées;
- Outillent leurs gestionnaires afin qu’ils adoptent une posture teintée d’un courage managérial;
- Favorisent la communication et le dialogue.
Ces actions sous-tendent une pensée et une sensibilité éthique. Celles-ci réfèrent à la capacité d’une personne de comprendre les répercussions d’une situation ou d’une décision sur autrui. Il ne suffit plus d’appliquer une règle, mais plutôt de la réfléchir et de s’assurer que la décision finale fera preuve d’éthique. Et cela présuppose que les personnes sont prises en considération.
Personne ne met en doute la nécessité d’imposer des règles dans la société. C’est ce qu’on appelle de l’éthique de conformité. Parce que les règles ont été respectées, on se donne bonne conscience. Toutefois, la bonne conscience de l’un n’est pas nécessairement la bonne conscience de l’autre[1].
C’est souvent au regard de ce constat qu’on sera enclin à excuser des inconduites ou à tout simplement décider sciemment de fermer les yeux sur certains agissements répréhensibles ou encore, pour diverses raisons, d’en minimiser la teneur ou les répercussions possibles.
Notamment, lorsqu’une plainte de harcèlement psychologique présumé est déposée, les bonnes pratiques selon les guides établis par les ordres professionnels en matière d’enquête pour analyser cette situation suggèrent la réalisation d’une étude de recevabilité. En vue de faire preuve d’une sensibilité éthique, nos décideurs seront alors amenés à pousser leur réflexion au-delà du cadre législatif établi. Ainsi, ils devront reconnaître l’étendue des conséquences ayant pu découler du harcèlement signalé, et ce, tant pour la personne présumée victime que pour la personne mise en cause, les gestionnaires, l’organisation, voire pour la société. Mais l’élément qui est d’autant plus important est assurément l’analyse des causes ayant mené au dépôt d’une telle plainte. Par conséquent, limiter le harcèlement psychologique à une loi pourrait être considéré un manque de sensibilité éthique.
De ce fait, est-ce que le contexte professionnel actuel, entre autres la pénurie de main-d’œuvre, a incité les employeurs à revoir leurs pratiques de gestion des ressources humaines en haussant leur seuil de tolérance à l’égard des comportements déviants ou de manifestations d’incivilité? Cela les aurait-il poussés à accepter de tels écarts? C’est du moins ce que tendent à faire valoir les employés qui souhaitent que des changements imminents puissent être observés.
Par ailleurs, les organisations qui réussissent à bien gérer de telles situations le font avec une sensibilité éthique et une volonté sincère d’endiguer à la source le problème. Selon Lyse Langlois : « Les recherches en éthique et gestion sont unanimes : une personne en situation d’autorité qui banalise ce genre de comportement admet de manière implicite ce genre de comportement, donc ouvre la porte à la déviance organisationnelle. »[2]
Le climat dans nos milieux de travail, du point de vue d’une enquêtrice
En continuité avec ce qui précède, à titre d’enquêtrice en matière de harcèlement, j’observe une augmentation du nombre de plaintes dans nos milieux de travail. Au premier abord, ce constat semble démontrer une détérioration du climat de travail dans les organisations. Mais, tout au contraire, la hausse des dénonciations pourrait refléter une amélioration de la situation.
En effet, il est possible que l’augmentation des dénonciations de harcèlement résulte d’une plus grande confiance du personnel envers leur employeur considérant que ce dernier a pris des mesures démontrant sa tolérance zéro à l’égard de toute conduite allant à l’encontre de ce qui est favorisé.
Au lieu de se voir enlisés dans des silences, des doutes et des inquiétudes, les employés sont encouragés à nommer les situations inacceptables subies, et ce, en manifestant en premier lieu, à qui de droit, le sentiment de malaise qui les habite.
Outre le droit conféré de pouvoir œuvrer dans un milieu de travail exempt de harcèlement[3], il y a la responsabilité d’adopter une conduite conforme à l’engagement organisationnel véhiculé par le biais de la politique organisationnelle visant à favoriser la civilité et contrer le harcèlement.
Il faut donc comprendre qu’il s’agit ici d’une coresponsabilité entre l’employeur et les membres de son organisation. Ce n’est que collectivement que nous arriverons à la finalité attendue, soit de faire rayonner et vivre une culture empreinte de respect. Il en sera de même lorsqu’il sera question d’explorer une voie de règlement entre les parties qu’un différend oppose. La médiation, notamment, offrira de belles possibilités d’en bonifier l’étendue, par le biais d’une entente concertée, et ce, sur plusieurs aspects tout en faisant figure de réparation.
Bien entendu, le processus d’enquête en matière de harcèlement au travail, qui se veut l’ultime recours, permet de mettre en évidence de multiples facettes des problèmes rencontrés. Mais il ne règle en soi que peu de choses en fin de compte. Les divers effets collatéraux en découlant font souvent en sorte que le problème rencontré a pris des proportions démesurées et que plusieurs personnes peuvent être blessées au passage.
Il demeure tout aussi (qualificatif manquant; je ne peux pas présumer l’intention de l’auteure) qu’il y a une après-enquête, considérant que le congédiement n’est pas toujours l’unique sanction lorsque le harcèlement est avéré. Comment alors veiller à reconstruire les relations affaiblies et solidifier le lien de confiance fragilisé?
C’est par ce questionnement que je rejoins les propos de ma collègue selon lesquels la réflexion doit assurément être plus large que la simple finalité de chercher à répondre de nos obligations organisationnelles. La crédibilité qu’on accordera quant aux effets découlant des mesures adoptées sera le reflet de la constance, de la cohérence et de la rigueur qu’on mettra à réaffirmer la posture organisationnelle qui découle de ces attendus.
Trop souvent, des employés manifestent leur désarroi devant l’inaction de leur employeur à l’égard d’inconduites répréhensibles connues, qu’il choisirait d’excuser. Mais c’est à quel prix finalement?
Conclusion
Somme toute, en excusant des comportements inadmissibles ou des manifestations d’incivilité, une organisation les autorise. Ce faisant, elle porte atteinte au climat de travail, lequel devrait pourtant être pour elle une priorité de tous les instants.
L’employeur doit afficher une volonté organisationnelle d’assurer un climat de travail sain et respectueux dont les retombées auront été réfléchies au-delà du cadre prescrit, et ce, après avoir acquis une bonne compréhension du climat de travail qui règne dans ses milieux de travail.
Nos politiques, nos approches ainsi que nos règles de gouvernance sont ainsi appelées à évoluer au regard des constats émergeant des réponses obtenues à la suite des divers questionnements préalablement soulevés par le biais de cet article.
Les mesures préventionnistes mises de l’avant seront assurément un gage de succès au regard de la considération témoignée à nos ressources humaines qui contribuent largement à assainir nos milieux. Finalement, ces mesures auront inévitablement un effet positif sur le bien-être de l’ensemble du personnel.
- Langlois, Lyse (2007). Anatomie du leadership éthique. Presses de l’Université Laval, p. 41
- Ibid., p. 48
- Article 81.19, Loi sur les normes du travail