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La génération Z a-t-elle le même intérêt pour le syndicalisme que les générations précédentes?

OPINION / Le syndicalisme au Canada peut-il suivre la cadence de l’évolution du monde du travail? Possible, mais il doit se pencher rapidement sur les défis qui l’affaiblissent.
21 février 2023
Kévyn Gagné, CRIA

Introduction

Les générations se succèdent, entrent sur le marché du travail, et signent automatiquement leur carte d’adhésion syndicale sans toutefois remettre en question le caractère obligatoire ou non de signer ladite carte. « La jeune génération, elle ne sait pas grand-chose sur ce que sont les syndicats et ce qu’ils peuvent faire, mais elle apprend qu’elle doit agir sous une forme ou une autre. »[1] Ce constat a été fait par Donovan Ritch, un organisateur du groupe de défense des jeunes travailleurs Fightback lors d’une manifestation au centre-ville de Toronto le 5 septembre 2022 à l’occasion de la fête du Travail.

Valsant entre un syndicalisme porté par plusieurs décennies de revendications et de négociations, le syndicalisme rigide actuel semble difficilement prendre racine au sein d’organisations plus écoresponsables et socialement engagées, et semble plutôt fleurir au sein d’un mouvement constitué d’adhérents qui n’ont que peu ou pas d’intérêt pour le syndicalisme.

Ainsi présenté, le syndicalisme semble devoir se renouveler, se repositionner et créer de nouveaux ponts avec les jeunes générations afin de raviver la flamme du mouvement syndical et inciter à l’adhésion à leurs valeurs plutôt que de se limiter à aller chercher de nouveaux signataires. Mais, cette réalité est-elle semblable au Québec, au Canada et aux États-Unis? Les acteurs appartiennent aux mêmes générations, mais les contextes dans lesquels ils évoluent diffèrent complètement.

Que cherchent les jeunes travailleurs?

Selon Statistique Canada[2], des 23 957 760 Canadiens qui composaient la population en âge de travailler, 33,2 % étaient des millénariaux, et 17,6 %, des membres de la génération Z. Ces changements générationnels suggèrent que le marché de l’emploi doit s’adapter aux différentes valeurs et attentes de ces générations qui sont notamment plus scolarisées et maîtrisent mieux les technologies.

Academos, un organisme à but non lucratif connectant les jeunes de moins de 30 ans avec le merveilleux monde du travail, a publié un rapport en 2019[3] et leurs résultats sont sans équivoque. En effet, 93 % des Z sondés souhaitent travailler pour une entreprise offrant une grande flexibilité à ses employés, et 90 % des Z veulent que leur futur employeur contribue de façon positive à la société.

D’après un sondage mené par Léger en février 2022[4], les travailleurs de la génération Z cherchent trois types de flexibilité au travail. D’abord, une flexibilité liée à l’horaire de travail puisque 79 % des répondants affirment que s’ils pouvaient choisir leur horaire, ils opteraient pour autre chose qu’un horaire fixe. Vient ensuite la flexibilité liée à l’emplacement géographique puisque 27 % des jeunes travailleurs estiment que travailler à l’endroit désiré est un incitatif considérable. Le dernier type de flexibilité recherché touche les structures organisationnelles puisque des structures verticales lourdes, hiérarchisées et syndiquées découragent les jeunes travailleurs, alors qu’il est pourtant essentiel d’attirer et de satisfaire ces travailleurs en contexte de pénurie de main-d’œuvre. La flexibilité numérique, la flexibilité occupationnelle et la flexibilité salariale doivent apparaître dans la culture organisationnelle puisque les valeurs des jeunes ont évolué.

Comment se porte le syndicalisme au Québec et au Canada?

En mai 2022, Statistique Canada[5] nous apprenait que 17 % des employés âgés de 15 à 24 ans avaient deux fois moins de possibilités d’être couverts par une convention collective comparativement aux employés âgés de 25 à 54 ans. De plus, 3 employés sur 10 étaient couverts par une convention collective en 2021[6], et cette couverture était environ cinq fois plus élevée dans le secteur public que dans le secteur privé. Toutefois, le taux d’employés couverts par une convention collective poursuit sa chute amorcée en 1997, presque entièrement en raison d’une baisse de la couverture dans le secteur privé.

Comme il en a été question en introduction, la rigidité des conventions collectives est antinomique à la flexibilité recherchée par les jeunes travailleurs. Dans ce contexte, comment les syndicats peuvent-ils se positionner face aux nouvelles générations?

D’après les résultats d’un sondage mené en février 2022 par le Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec[7], 90 % des jeunes veulent travailler en mode télétravail et plus de 25 % d’entre eux préfèrent démissionner plutôt que retourner cinq jours au bureau. La collégialité d’autrefois et les aspects collectifs s’effacent lentement pour laisser place à une individualisation des lieux de travail. 

Déjà en 2016[8], Stéphane Simard, conférencier international et auteur de neuf ouvrages, disait que « le syndicalisme achevait » puisque les jeunes sont « allergiques à la hiérarchie ». Pour sa part, Marc-Antoine Durand-Allard nous signalait dans son mémoire de maîtrise en 2014 « que l’identité collective d’aujourd’hui est d’abord construite autour de la précarité individuelle et des injustices personnelles perçues par les nouveaux travailleurs »[9]. Pour M. Durand-Allard, l’aspect collectif est au second plan et il conclut en suggérant que « la problématique jeune met en lumière les tensions intrinsèques au mouvement syndical quant à la libre négociation sociale des intérêts défendus et du consensus interne nécessaire à leur légitimité »[10]. En d’autres termes, les défis et les perspectives auxquels se heurtent les syndicats sont contradictoires et ne répondent pas aux intérêts actuels des jeunes, et ces intérêts sont absents du discours syndical.

Pendant ce temps, aux États-Unis

Il est hasardeux de comparer les taux de syndicalisation et de couverture syndicale entre le Canada et les États-Unis. Toutefois, de nouvelles données[11] tendent à démontrer que la génération Z américaine, non pas par le pourcentage d’adhésion, mais bien par l’engagement social et public, est la génération la plus prosyndicale de toutes les générations qui l’ont précédé.

Une récente enquête de la National Society of High School Scholars[12] menée auprès de 11 000 étudiants a révélé que les principales priorités de la génération Z américaine, lors du choix d’un employeur, étaient le traitement équitable de tous les employés, suivi de la qualité de vie, la flexibilité de l’employeur et la responsabilité sociale des entreprises. La question des horaires de travail est aussi un sujet à l’ordre du jour puisque 45 % des personnes interrogées par le Pew Research Center en 2022[13] ont déclaré avoir quitté leur emploi parce qu’elles ne pouvaient pas choisir leur horaire de travail. Près de la moitié des personnes interrogées ont révélé que les difficultés avec la garde des enfants les avaient également poussées à démissionner.

Selon les données du Bureau des statistiques du travail américain[14], en 2019, le taux de syndicalisation aux États-Unis a atteint son plus bas niveau historique, alors que seulement 10,3 % des travailleurs étaient syndiqués comparativement à 20,3 % en 1983. Selon Pew Research[15], ce pourcentage s’établissait à seulement 4,4 % chez les travailleurs âgés de 16 à 24 ans en 2020, puisque beaucoup ont commencé dans des emplois temporaires ou de vente au détail où les syndicats ont peu d’emprise. Malgré son entrée sur le marché du travail au milieu d’une pandémie, la génération Z américaine a soif de changement, et la syndicalisation les aide à avoir une voix sur le lieu de travail.

Tout le paradoxe réside dans le fait que même si le syndicalisme se trouve dans un creux historique, de plus en plus d’Américains soutiennent l’action des syndicats. Un sondage de l’institut Gallup[16], publié en août 2022, révélait ainsi que 64 % d’entre eux en avaient une opinion favorable, et plus précisément, quelque 77 % des jeunes adultes soutenaient les syndicats, mais rien n’indique qu’ils choisiront de se syndiquer.

Conclusion

Alors que les baby-boomers canadiens se retirent progressivement d’un environnement de travail hiérarchique et très syndiqué, les jeunes de la génération Z ne montrent que peu d’intérêt pour ladite chose syndicale. Au même moment, au sud de la frontière, alors que le syndicalisme a constamment peiné à s’enraciner, les jeunes travailleurs de la génération Z s’intéressent au mouvement syndical plus que toute autre génération l’ayant précédé. Pour Donovan Ritch de Fightback, « ce sentiment se répand au Canada et c’est un signe que les travailleurs qui ne sont pas syndiqués sont plus favorables aux syndicats qu’ils ne l’ont été depuis plusieurs générations »[17].

Alors que l’historique du syndicalisme canadien a constamment été en opposition au mouvement américain et que le contexte et les données actuelles sur la couverture syndicale consolident cette opposition, n’est-il pas réducteur de déclarer que le réveil américain influencera la réalité des jeunes travailleurs de la génération Z canadienne?

Pour aller plus loin

Stéphane Simard, « Générations X @ Z », (2016), Les Éditions Un monde différent, 173 pages.

Cardinal, François, « La révolution Z : comment les jeunes transformeront le Québec », (2019), Groupe Fides – Les Éditions La Presse, 234 pages.


Author
Kévyn Gagné, CRIA Directeur des ressources humaines Franklin Empire Inc.

Kévyn Gagné, CRIA est directeur des ressources humaines dans une PME familiale québécoise. Chargé de cours en Relations industrielles à l’Université de Trois-Rivières, il est également blogueur pour La Référence RH, un mensuel légal québécois abordant le droit du travail et les ressources humaines, et auteur de 4 livres à succès.


[1] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1911065/defile-fete-du-travail-toronto-2022

[2] https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/as-sa/98-200-X/2021003/98-200-X2021003-fra.cfm

[3] https://academos.lpages.co/generation-z/

[4] https://leger360.com/fr/blogues/les-milleniaux-la-generation-z-et-la-penurie-de-main-d-oeuvre-la-flexibilite-est-le-cle/

[5] https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/14-28-0001/2020001/article/00015-fra.htm

[6] https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/14-28-0001/2020001/article/00015-fra.htm

[7] https://www.journaldemontreal.com/2022/02/22/retourner-au-bureau-a-temps-plein-plutot-demissionner

[8] https://magazineprestige.com/Y-et-Z-Les-nouvelles-generations-qui-bousculent-les-precedentes

[9] https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/11644/Durand-Allard_Marc-Antoine_2014_memoire.pdf?sequence=4&isAllowed=y

[10] https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/11644/Durand-Allard_Marc-Antoine_2014_memoire.pdf?sequence=4&isAllowed=y

[11] https://www.americanprogress.org/press/release-gen-z-is-the-most-pro-union-generation-new-cap-analysis-finds/

[12] https://www.businessinsider.com/how-gen-z-is-changing-work-most-pro-labor-generation-2022-11

[13] https://www.lesaffaires.com/dossier/sante-mentale-des-employes/les-pratiques-de-travail-flexibles-de-la-generation-z-sont-elles-realistes-pour-tout-le-monde/634212

[14] https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/le-taux-de-syndicalisation-a-son-plus-bas-niveau-aux-etats-unis-1165387

[15] https://www.pewresearch.org/fact-tank/2014/02/20/for-american-unions-membership-trails-far-behind-public-support/

[16] https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/le-taux-de-syndicalisation-a-son-plus-bas-niveau-aux-etats-unis-1165387

[17] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1911065/defile-fete-du-travail-toronto-2022