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Fin d’emploi : la lettre de recommandation est-elle obligatoire?

Un employeur refuse de remettre une lettre de recommandation à un employé congédié. Peut-il vraiment s’y soustraire? Quelques cas de jurisprudence pour y voir clair!
22 février 2023
Me Frédéric Desmarais, CRHA

Introduction

D’aucuns peuvent certes remettre en question l’utilité d’une lettre de recommandation dans le cadre d’un processus de recrutement. Toujours est-il qu’une telle lettre peut constituer un véritable baume pour guérir, du moins en partie, la blessure indélébile à l’estime de soi que peut infliger un congédiement, et ce, même s’il est réalisé en respect des normes les plus élevées de politesse et d’empathie. Elle peut également s’avérer utile dans les efforts déployés par l’employé congédié pour se trouver un nouvel emploi.

Contrairement à la remise d’un certificat de travail[1], la remise d’une lettre de recommandation ne fait l’objet d’aucune obligation législative. Cependant, la décision de l’employeur de refuser ou d’accepter de remettre une lettre de recommandation ne survient pas dans un complet vacuum juridique.

Le présent texte vise à examiner si l’employeur a l’obligation de remettre une lettre de recommandation à la demande de l’employé non syndiqué dont le contrat de travail a été résilié. Les tribunaux administratifs saisis d’une plainte contestant un congédiement d’un employé en vertu des articles 124 de la Loi sur les normes du travail[2] ou 240 du Code canadien du travail[3] jouissent de larges pouvoirs de réparation les autorisant à ordonner à l’employeur de remettre une lettre de recommandation lorsque les circonstances s’y prêtent. En conséquence, notre texte s’intéresse à cette question dans le contexte où l’employé congédié dépose une action en justice contre son ancien employeur devant un tribunal civil.

Une responsabilité potentielle pour les employeurs malgré l’absence d’une obligation

Il est de jurisprudence constante qu’un employeur n’a, en règle générale, aucune obligation légale de fournir une lettre de recommandation à un employé qui lui en fait la demande lors de la rupture du contrat de travail[4]. Cependant, son refus de le faire peut toutefois constituer une faute dans certaines circonstances.

D’ailleurs, même si une telle obligation existait, nous sommes d’avis qu’elle se prêterait mal à l’exécution en nature (art. 1601 C.c.Q.). Le principe de droit prétorien nemo praecise potest cogi ad factum (nul ne peut être absolument forcé d’agir) devrait trouver application[5]. En effet, l’émission d’une ordonnance obligeant l’employeur à rédiger une lettre de recommandation porterait atteinte aux libertés d’expression et d’opinion de l’employeur protégées par l’article 2(b) de la Charte canadienne des droits et libertés[6] Charte canadienne ») et l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne[7] Charte québécoise ») sans que leurs articles premier et 9.1, selon le cas, puissent justifier la violation de ces droits fondamentaux.

Si un tribunal ordonne la production d’une lettre de recommandation selon des paramètres qu’il a lui-même énoncés, il est possible que l’employeur visé se retrouve dans une situation où il est en désaccord complet avec son contenu. L’employeur pourrait ainsi se voir associé à des déclarations consignées dans un document portant son sceau sans qu’il les considère comme étant le reflet véridique de la réalité. Nous faisons entièrement nôtre la « formule-choc » employée dans le cadre de la dissidence du juge Beetz dans l’arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson[8] de la Cour suprême du Canada : « elle [ce type d’ordonnance] équivaut à l’ordre donné à Galilée par l’Inquisition d’abjurer la cosmologie de Copernic »[9]. Avant même que la Cour suprême rende cette affaire, le juge Beetz avait d’ores et déjà manifesté l’opinion que ce type de sanction est totalitaire et diamétralement opposée à la tradition des pays libres et démocratiques comme le Canada[10]. À défaut d’indication législative contraire, les tribunaux civils ne doivent pas émettre de telles ordonnances qui ont l’effet pernicieux de permettre au pouvoir judiciaire de s’immiscer dans l’exercice des libertés d’expression et d’opinion des employeurs afin de leur prescrire une vision spécifique de la réalité qu’ils ne partagent pas nécessairement.

L’impossibilité pour un tribunal civil de rendre une ordonnance visant la remise d’une lettre de recommandation connaît certaines exceptions. Une stipulation contractuelle contenue au contrat de travail obligeant l’employeur à fournir une telle lettre pourrait justifier l’émission d’une telle ordonnance. Par ailleurs, font notamment partie intégrante de tout contrat de travail les usages qui existent au sein du milieu de travail. Un usage, dont le fardeau d’en démontrer l’existence incombe à la partie qui désire s’en prévaloir, lie les parties comme en fait foi l’article 1434 du Code civil du Québec. Si un employé fait la preuve d’un usage suivant lequel son employeur fournit généralement des lettres de recommandation lors de la fin de la relation d’emploi, ce dernier pourrait être contraint par un tribunal à en remettre une à un employé le demandant[11]. Si l’employeur s’engage contractuellement ou a comme pratique de remettre de telles lettres selon certains paramètres préétablis, il serait malvenu de contester une ordonnance qui l’enjoint à honorer des obligations contractuelles auxquelles il a librement consenti.

Bien qu’il soit de sa prérogative (quasi absolue) de remettre ou non une lettre de recommandation, est-ce que l’employeur est néanmoins à l’abri de toute conséquence légale en cas de refus?

La réponse semble être négative depuis la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Banque Nationale du Canada c. Gignac[12] Gignac »). Dans ses motifs, auxquels souscrit le juge Mailhot, le juge Brossard a, dans le cadre d’un obiter dictum[13], exprimé l’avis que :

Quant à la lettre de recommandation, je pourrais accepter que, en théorie, un refus intempestif d’un employeur de fournir une telle lettre puisse être considéré comme vexatoire ou même malicieux. Tel pourrait être le cas, à titre d’exemple, de commentaires négatifs cachés ou déguisés à l’intérieur d’une pseudo-lettre de recommandation, ou d’un refus fondé uniquement sur le fait que l’employé n’a pas consenti à démissionner de lui-même.[14]

La Cour d’appel a appliqué cet obiter dictum du juge Brossard. Dans son arrêt Arseneault (Succession de) c. École Sacré-Cœur de Montréal[15], la Cour d’appel a conclu qu’une directrice avait invoqué un prétexte pour justifier le non-renouvellement d’un contrat de travail à durée déterminée d’une employée qui avait été renouvelé à sept reprises et dont la prestation de travail avait été impeccable durant toute la durée de la relation d’emploi. Face au refus intempestif et injustifié de la directrice de remettre une lettre de recommandation, la Cour d’appel a conclu à un abus de droit et a condamné solidairement la directrice et l’établissement scolaire à verser à l’employée une somme de 5000 $ à titre de dommages non pécuniaires. Sous la plume du juge Fournier, la Cour d’appel a écrit :

Par contre, Brooks lui a refusé une lettre de recommandation. Le curriculum vitæ d’une personne fait partie de sa réputation. Le vide inexpliqué dans les circonstances particulières, c’est-à-dire la mauvaise foi de Brooks de la présente affaire, donne ouverture à une condamnation.

Je ne dis pas qu’un employeur est tenu de fournir une lettre de recommandation, mais que s’il a droit de ne pas en donner, il ne peut le faire à l’encontre des exigences de la bonne foi. Or, Brooks, par son comportement a dérogé à ces exigences.[16]

[nos soulignements]

Dans l’affaire Basra c. Propriétés Belcourt inc.[17] Basra »), le juge Poirier de la Cour supérieure a tenu compte du refus de l’employeur de remettre une lettre de recommandation (et de l’importance qu’elle revêtait compte tenu de la nature de l’emploi de l’employée et de l’industrie dans laquelle elle œuvrait) dans la détermination de l’indemnité tenant lieu de délai de congé. Cette prise en considération du refus de remettre la lettre a eu pour effet d’augmenter la durée du délai de congé auquel avait droit l’employée. Fait important à noter : l’employeur avait promis de fournir à l’employée cette lettre au moment de son licenciement et s’était ensuite ravisé au motif que son statut de travailleuse autonome était contesté auprès de Revenu Québec.

En 2022, dans l’affaire Patro c. Tecsys inc.[18], la Cour supérieure a également tenu compte du refus de l’employeur de remettre une lettre de recommandation dans l’évaluation de la durée du délai de congé. Tout comme dans l’affaire Basra, les faits étaient peu favorables à l’employeur à cet égard. En effet, la preuve établissait que l’employeur avait comme politique générale de ne pas remettre de lettres de recommandation, sauf à ses cadres de haut niveau dont faisait partie le plaignant. L’employeur refusait au plaignant cette lettre seulement parce qu’il n’était pas enclin à signer une quittance et transaction en vertu de laquelle il renoncerait à son droit à un véritable préavis raisonnable. En somme, le refus de l’employeur était empreint de mauvaise foi.

Conclusion

Rares sont les situations où un tribunal civil pourra émettre une ordonnance enjoignant un employeur à remettre à un employé une lettre de recommandation. Même dans les situations exceptionnelles où une telle ordonnance s’avère possible, un tribunal doit se contenter d’ordonner à l’employeur de remettre une lettre selon les paramètres contractuellement convenus ou découlant de l’usage qui aura été mis en preuve.

Même en l’absence de toute obligation de remettre une lettre de recommandation, le refus de remettre une telle lettre qui va à l’encontre des exigences de la bonne foi (art. 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec) peut toutefois donner ouverture à des dommages non pécuniaires. Il semblerait également que, depuis la décision de la Cour supérieure dans l’affaire Basra, un tel refus peut être considéré dans l’évaluation de la durée du délai de congé. Toutefois, pour éviter la double compensation, un tribunal devra faire preuve de vigilance : il devra soit tenir compte du refus de fournir une lettre de recommandation dans l’évaluation de la durée du délai de congé, soit octroyer des dommages non pécuniaires. L’employeur ne peut, en effet, se voir imposer un délai de congé dont la durée est augmentée en raison de son refus de donner une lettre de recommandation et se voir simultanément condamné à des dommages non pécuniaires au motif que ce refus va à l’encontre des exigences de la bonne foi.

Bien que, dans certaines circonstances, le refus de l’employeur de remettre une lettre de recommandation peut être lourd de conséquences pour un employé, une telle prérogative se doit d’être préservée dans notre société fondée sur la règle de droit où un employeur ne doit pas être contraint, sauf exception, de remettre un document contre sa volonté dont le contenu peut être contraire à sa liberté d’opinion : le temps où les autorités pouvant exiger de renoncer à des convictions raisonnables heurtant les dogmes établis est révolu!

Cependant, lorsque le refus de remettre une lettre de recommandation va à l’encontre des exigences de la bonne foi, un principe directeur ou une métanorme du droit civil québécois comme nous l’enseigne la Cour d’appel[19], l’employeur peut voir sa responsabilité engagée en l’absence d’une obligation positive de remettre une telle lettre : il en va du respect de l’obligation de bonne foi qui incombe à tout justiciable.


Author
Me Frédéric Desmarais, CRHA Avocat en droit du travail et de l'emploi Norton Rose Fulbright Canada, S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Avocat-conseil au sein du cabinet Norton Rose Fulbright Canada et membre de l’Ordre des conseillers en ressources et en relations industrielles agréés du Québec, Me Frédéric Desmarais pratique le droit du travail et de l’emploi. Il s’intéresse particulièrement aux rapports individuels du travail et au litige civil en matière d’emploi. Il enseigne le droit du travail et de l’emploi à l’École du Barreau du Québec et est membre du Conseil de discipline du Barreau du Québec. Conférencier et auteur prolifique, il signe notamment l’ouvrage Le contrat de travail (art. 2085 à 2097 C.c.Q.) publié aux Éditions Yvon Blais.

Source : Vigie RT, janvier 2023

1 Voir l’article 2096 du Code civil du Québec ainsi que l’article 84 de la Loi sur les normes du travail., RLRQ, c. N-1.1 [« LNT »].
2 LNT, ibid.
3 L.R.C. (1985), c. L-2.
4 Voir notamment : Nadeau c. Groupe Desgagnés inc., 2022 QCCS 2516 aux par. 71-73; Patrao c. Tecsys inc., 2022 QCCS 673 au par. 47, déclaration d’appel, C.A. Montréal, no 500-09-029992-229, 4 avril 2022              [« Patrao »]; Thérriault c. Construction Boréal 2000 inc., 2019 QCCQ 7163 au par.128, requête pour permission d’appeler rejetée, 2020 QCCA 137 [« Thérriault »] ; Drouin c. Association de la construction du Québec – Outaouais/Abitibi/Nord-Ouest du Québec, 2019 QCCQ 59 au par. 107 ; Joannides c. Capital Traiteur Gatineau inc., 2014 QCCS 5105 aux par. 130-32 (C.S.) ; Arseneault (Succession de) c. École Sacré-Cœur de Montréal, 2013 QCCA 1664 au par. 56 [« Arseneault »].
5 Voir : Frédéric Desmarais, Le contrat de travail (art. 2085 à 2097 C.c.Q.), 2e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2021 aux pp. 642-43.
6 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.
7 RLRQ, c. C-12.
8 Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1998] 1 R.C.S. 1038.
9 Ibid. à la p. 1061.
10 Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce et autre, [1984] 1 R.C.S. 269, p. 295-296.
11 Voir notamment : Claude D’Aoust et Emmanuel Naufal, « La lettre de recommandation et la règle de droit », (1993) 24 R.G.D. 433 à la p. 435. Dans de telles circonstances, notre réserve quant à l’applicabilité de l’exécution en nature lorsque l’obligation visée est la remise d’une lettre de recommandation suivant des paramètres préétablis s’estompe à moins que l’employeur soit une personne physique. Voir Desmarais, supra note 5 aux pp. 642-43.
12 REJB 1995-57615 (C.A.) [« Gignac »].
13 Un obiter dictum désigne une partie d’un jugement d’un tribunal contenant une opinion ne justifiant pas sa décision.
14 Gignac, supra note 12 au par. 9. Dans les juridictions canadiennes de common law, il est reconnu que le refus de remettre une lettre de recommandation peut justifier l’octroi de dommages-intérêts. À quelques reprises, les tribunaux ont assimilé un tel refus à un acte de mauvaise foi ou jugé qu’il s’agissait d’un traitement injuste et implacable dans le cadre d’un congédiement. Voir notamment : Wallace c. United Grain Growers ltd, [1997] 3 R.C.S. 701 aux par. 98-99; Brown c. Fidinan (Canada) ltd, (1980) A.R. 608 (Alberta Court of Queen’s Bench) (un montant de 1 000 $ a été octroyé en raison du refus de l’employeur de fournir une lettre de recommandation).
15 Arseneault, supra note 4.
16 Ibid. aux par. 57-58. Voir toutefois Thérriault, supra note 4 (la Cour du Québec a considéré que l’employeur avait des motifs valables de refuser la remise d’une lettre de recommandation de sorte que son refus n’allait pas à l’encontre des exigences de la bonne foi).
17 2012 QCCS 1143. Voir également : Dubé c. Dxstorm inc., 2012 QCCS 3145, appel rejeté sur requête, 2012 QCCA 1846 (C.A.) (la Cour supérieure semble avoir pris en considération le fait que l’employeur n’a offert aucune lettre de recommandation à l’employé congédié dans la détermination de l’indemnité tenant lieu de délai de congé).
18 Patrao, supra note 4. Cette décision fait l’objet d’un appel.
19 Bellefeuille c. Morisset, 2007 QCCA 535 au par. 46.