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Revue de décisions marquantes en droit du travail pour l'année 2022

L’année qui se termine a été riche en décisions entourant le préavis et le calcul de l’indemnité de fin d’emploi, portant notamment sur l’application de la force majeure dans un tel contexte. Les tribunaux ont par ailleurs rendu de nombreuses décisions présentant un intérêt pour la pratique professionnelle RH quant à d’autres sujets qu’il ne faut pas passer sous silence pour autant. En voici donc quelques-unes que nous avons choisi de vous présenter afin de commencer la nouvelle année du bon pied. 
18 janvier 2023
Me Mélanie Morin, CRHA, Me Valérie Leroux, CRHA et Me Marie-Ève Thériault

La Cour d’appel du Québec détermine que les prestations d’invalidité ne doivent pas être déduites de l’indemnité à titre de délai-congé due par l’employeur

Caisse populaire Desjardins de Saint-Raymond – Sainte-Catherine c. Girard, 2022 QCCA 1171

Après 35 années à la Caisse, une directrice est congédiée sans motif sérieux. En avril 2014, le directeur général de la Caisse « lui demande quitter les lieux sur-le-champ pour ne plus y revenir, de réfléchir puis de lui proposer des termes et modalités relatifs à son départ ». Rapidement, elle tombe en profonde dépression, pour laquelle elle reçoit des prestations d’invalidité en vertu de son régime d’assurance collective. Le congédiement s’en suit le 16 février 2015.

L’ex-directrice poursuit la Caisse, et la Cour supérieure lui donne partiellement raison en lui accordant un délai-congé de 24 mois (duquel devait être déduit un montant de 73 476 $ représentant une partie des prestations d’invalidité reçues), ainsi que des montants de 75 000 $ pour dommages non pécuniaires et de 18 965 $ pour la perte d’avantages liés à son emploi et certains autres frais. Les deux parties portent la décision en appel.

Bien que la Cour d’appel du Québec (« Cour d’appel ») se prononce sur différents sujets, notre attention est retenue par le débat portant sur la déduction des prestations d’invalidité reçues par l’ex-directrice qui sont évaluées à 105 955 $ et dont la prime était payée à 80 % par l’employeur. La Cour d’appel considère qu’il est inexact de parler de double indemnisation avec l’indemnité de fin d’emploi, car les prestations d’invalidité ne sont pas une indemnité pour un préjudice subi, mais découlent plutôt de l’obligation de l’assureur aux termes d’un régime d’assurance. Ainsi, les prestations d’invalidité reçues ne doivent pas réduire le montant de l’indemnité de fin d’emploi auquel a droit l’ex-directrice.

Un employeur ne peut consulter les courriels privés d’un employé (ou ex-employé) sur l’ordinateur de l’entreprise

I4C Information Technology Consulting Inc. c. Darveau, 2022 QCCS 3986

Dans le cadre d’une demande d’ordonnance de sauvegarde, un ex-employé veut forcer l’employeur à identifier les informations dont ce dernier a eu connaissance en accédant à ses comptes personnels sur Google et GoDaddy et lui interdire d’y accéder.

L’employeur a argué que l’ex-employé avait renoncé au droit à sa vie privée puisque ses informations étaient accessibles à partir de l’ordinateur portable et du téléphone cellulaire appartenant à l’entreprise. De même, l’employeur a affirmé que l’ex-employé n’avait pas les mains propres en raison de la concurrence déloyale qu’il lui faisait en utilisant des informations confidentielles appartenant à l’entreprise et qu’il ne pouvait donc pas bénéficier d’une telle ordonnance qui tire sa source de l’équité.

La Cour supérieure est en désaccord avec cette position puisque les informations étaient logées dans un « cloud » et que pour y accéder, il fallait nécessairement avoir le mot de passe. La Cour rappelle que la violation au droit à la vie privée est sérieuse et irréparable. Elle conclut que tous les critères sont satisfaits pour l’émission de l’ordonnance visant à identifier toutes les informations que l’employeur a obtenues à partir des comptes privés de l’ex-employé et à empêcher son utilisation ou sa divulgation à quiconque.

Recevabilité en preuve d’une conversation privée par une personne qui n’est pas partie à la conversation

Charron et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal – Centre hospitalier de Verdun, 2022 QCTAT 4663

Dans le cadre d’une réclamation pour lésion professionnelle visant à faire reconnaître son trouble d’adaptation, la travailleuse conteste auprès du Tribunal administratif du travail (« TAT ») la décision de la CNESST refusant son admissibilité.

Dans le cadre de cette audition, l’employeur s’est opposé à la recevabilité d’une partie d’un enregistrement audio que la travailleuse souhaitait déposer en preuve. Cet enregistrement met en lumière une discussion entre sa gestionnaire et la conseillère en relations de travail, alors que, pourtant, la travailleuse avait elle-même quitté la pièce et qu’elle ne participait plus à cette conversation. En effet, elle avait laissé son appareil dans la pièce durant la pause, et l’enregistrement s’est donc poursuivi en son absence.

Le TAT détermine que l’enregistrement « clandestin » porte en apparence atteinte au droit à la vie privée des représentants de l’employeur qui s’attendaient plutôt à une conversion privée, hors la présence de la travailleuse, mais s’interroge ensuite à savoir si cette atteinte apparente justifie le rejet de cet élément de preuve. Le TAT conclut que le but poursuivi par la travailleuse est légitime, car elle voulait recueillir une preuve lui permettant de démontrer une attitude et des propos qu’elle considère comme hostiles. De plus, le moyen choisi est le moins intrusif possible puisque l’enregistrement est capté dans le contexte d’une rencontre formelle.

Dommages moraux en raison des propos dans une lettre de l’avocat de l’employeur

Insogna c. American Orthodontics Corporation, 2022 QCCS 2500

Dans le cadre d’une réclamation d’un délai-congé raisonnable, les parties conviennent qu’un préavis de 12 mois tenant lieu d’indemnité est raisonnable. L’ex-employé occupait un poste de représentant aux ventes pour le Québec et l’Atlantique avec 20 ans d’ancienneté et était âgé de 55 ans au moment du congédiement.

L’ex-employé réclame également des dommages moraux alléguant la conduite abusive de l’employeur dans le cadre de son congédiement. Dans son analyse, la Cour supérieure détermine que les dommages moraux découlent de propos tenus par l’avocat de l’employeur en réponse à la mise en demeure de l’ex-employé, laquelle fait notamment l’éloge de son travail accompli durant l’emploi. Or, la lettre de l’avocat est plutôt à l’effet contraire, indiquant que le congédiement était « pour cause » en raison notamment des performances de l’ex-employé sous les attentes, de plaintes de clients, de son manque de préparation et d’engagement dans son travail.

Selon l’ex-employé, ces allégations sont fausses et contraires à la bonne foi.

La Cour a donc analysé la véracité de ces allégations pour conclure que les reproches formulés par l’avocat, au nom de l’employeur, étaient non fondés et qu’il n’y avait aucune base raisonnable pour les faire. Considérant cela, la Cour est d’avis que ces propos étaient donc vraisemblablement blessants, humiliants et dégradants. L’employeur a donc été condamné, en sus du délai-congé, à verser une somme de 7 000 $ pour dommages non pécuniaires.

Droit des cadres de premier niveau de se syndiquer

Association des cadres de la Société des casinos du Québec c. Société des casinos du Québec, 2022 QCCA 180, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême accueillie, 29 septembre 2022, n° 40123

La structure organisationnelle chez l’employeur se décline en cinq (5) paliers de direction : le directeur général, le directeur des jeux, deux chefs de service, les chefs d’opérations et enfin les superviseurs des opérations. La demande de syndicalisation vise ce dernier groupe de cadres qui a été qualifié de « premier niveau ». L’employeur s’est opposé à cette demande au motif que les cadres sont exclus de la définition de salariés prévue au Code du travail et que d’accorder un tel statut à ces personnes les placerait en situation de conflit d’intérêts.

Le TAT a conclu que la définition du Code du travail viole la liberté d’association garantie par la Charte canadienne des droits et libertés et que cette atteinte n’était pas justifiée dans les circonstances et a déclaré constitutionnellement inopérante l’exclusion des cadres à l’application du Code du travail.

La Cour supérieure, en contrôle judiciaire, casse la décision du TAT et déclare que l’exclusion des cadres au Code du travail est applicable, valide et opérante constitutionnellement.

La Cour d’appel infirme la décision de la Cour supérieure et rétablit la décision du TAT, en suspendant toutefois pour une période de 12 mois les effets de la déclaration du caractère inopérant de l’exclusion prévue au Code du travail.

Il est à noter que la Cour suprême a accepté d’entendre l’appel de l’employeur. Il sera donc intéressant de suivre cette affaire, considérant les répercussions sur le monde du travail et les demandes de syndicalisation qui pourraient vraisemblablement s’ensuivre, selon le sort de l’appel.

La compétence de l’arbitre en matière de diffamation

Pinard c. Laplante, 2022 QCCA 1119

L’ex-employé syndiqué a fait l’objet d’un congédiement après 16 ans comme commis à la réception et à l’expédition chez l’employeur. Il a d’abord été suspendu pour fins d’enquête et ensuite congédié. Son Syndicat a déposé deux (2) griefs pour contester ces mesures, lesquels griefs ont été déférés à un arbitre de grief.

Presque un an plus tard, l’ex-employé et sa conjointe ont déposé une action en diffamation devant la Cour du Québec contre la directrice des ressources humaines pour des propos qu’elle aurait prononcés en présence d’autres collègues de travail lors de réunions professionnelles.

Le juge de la Cour du Québec a rejeté une demande de la directrice des ressources humaines en exception déclinatoire et s’est déclaré compétent pour entendre le recours en diffamation intenté par l’ex-employé contre elle.

Se prononçant en appel de cette décision, la Cour d’appel infirme le jugement du juge de la Cour du Québec et accueille la demande en exception déclinatoire au motif que le litige relève de la compétence exclusive d’un arbitre de grief. En effet, la Cour d’appel rappelle que pour tout litige dont l’essence découle de la convention collective, y compris ici des propos tenus par un représentant de l’employeur dans le cadre de réunions ayant pour but d’annoncer la suspension, puis le congédiement d’un employé, seul l’arbitre de grief a compétence, notamment en matière de diffamation.

Contrat de travail à vie et réintégration par la Cour supérieure

Gloutnay c. Rozon, 2022 QCCS 2578, déclaration d’appel, n° 500-09-030151-229

Alors que l’ex-employé s’était auparavant vu accorder un emploi « à vie » par son employeur, il a été licencié à 53 ans et après 25 ans de services en raison d’une abolition de poste. L’employeur lui a offert une indemnité équivalente à douze (12) mois de son salaire. Insatisfait, l’ex-employé l’a poursuivi en Cour supérieure afin d’exiger sa réintégration, le paiement du salaire perdu et des dommages-intérêts.

La Cour supérieure, bien qu’elle reconnaisse que jamais les tribunaux civils n’ont réintégré un employé, au surplus alors que le poste n’existe plus, décide, à titre de remède exceptionnel et en l’absence de précédents dans un contexte purement civil au Québec, de faire droit à la réintégration. La Cour lui accorde également le salaire perdu dans l’intervalle, ainsi que des dommages moraux de 20 000 $.

Il convient de noter que cette décision a été portée en appel, et il sera intéressant de savoir si le remède exceptionnel qu’est la réintégration dans le cadre d’un recours devant un tribunal civil sera maintenu par la Cour d’appel.

Les difficultés financières de l’employeur résultant de la pandémie de COVID-19 ne sont pas nécessairement une force majeure

Nadeau c. Groupe Desgagnés inc., 2022 QCCS 2516

Le demandeur était responsable des technologies de l’information depuis 17 ans chez le défendeur, un employeur de juridiction fédérale, avant qu’il ne soit licencié en raison des difficultés financières de l’employeur résultant de la pandémie de COVID-19. L’employeur lui a offert un préavis de deux (2) semaines et une indemnité de départ correspondant à 34 jours, soit le minimum exigé par le Code canadien du travail.

Dans le cadre de son analyse, la Cour énonce que la baisse de revenu de plusieurs millions de dollars qu’a subi l’employeur dans les mois qui ont suivi la pandémie ne peut être considérée comme une force majeure le dégageant de son obligation de donner un délai-congé raisonnable. En effet, selon la preuve soumise à la Cour, l’employeur n’a jamais interrompu ses activités durant la pandémie, et rien ne permet de conclure que cette situation a rendu absolument impossible l’exécution de l’obligation de l’employeur à l’endroit de l’ex-employé. Il a plutôt été démontré que l’employeur avait décidé de licencier son employé afin de diminuer ses dépenses.

La Cour conclut qu’un délai-congé approprié aux circonstances du dossier se situe à douze (12) mois. Quant au montant du délai-congé, outre le salaire de base, la Cour inclut à celui-ci la prime REÉR de l’employeur (8 % du salaire de base) et la prime de disponibilité (1/26 du salaire annuel), mais soustrait les revenus provenant d’un emploi subséquent, l’ex-employé ayant à cet égard rempli son obligation de mitiger ses dommages.

La force majeure ne relève pas l’employeur de donner l’avis de licenciement collectif en vertu des normes du travail

3183441 Canada inc. c. Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), 2022 QCCA 808

Dans cette affaire, l’employeur a été forcé de mettre fin à l’exploitation de son commerce d’alimentation à la suite d’une inondation causée par un refoulement d’égout découlant de précipitations et d’une crue des eaux exceptionnelles. À la suite de cet événement, il a mis temporairement à pied une quarantaine d’employés en leur indiquant qu’ils seraient rappelés au travail dès que possible. L’employeur ne leur a pas donné de préavis de fin d’emploi ni payé d’indemnité en tenant lieu. À l’issue de l’impasse avec le propriétaire du local quant aux travaux requis pour remettre les lieux en état, le bail commercial a été résilié. Dans les faits, les employés mis à pied n’auront jamais de nouvelles de leur employeur, lequel n’a par ailleurs jamais transmis l’avis de licenciement collectif au ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale.

Or, selon la Cour d’appel, le fait que la mise à pied des employés ait été causée au départ par l’inondation, ce qui constitue une force majeure, ne relevait pas l’employeur pour autant de son obligation de transmettre l’avis de licenciement collectif au ministère en vertu de l’article 84.0.4 de la Loi sur les normes du travail. L’employeur devait plutôt le donner dès qu’il lui était possible de le faire, ce qu’il n’a pas fait. D’ailleurs, il appert que l’employeur savait que les travaux de remise en état qui lui permettraient de rouvrir son commerce ne seraient pas exécutés avant l’échéance du délai de six (6) mois à compter de la mise à pied temporaire des employés. Dès lors, rien ne l’empêchait d’envoyer l’avis de licenciement collectif requis.

La compétence de l’arbitre de griefs s’étend aux formulaires de préembauche

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Commission scolaire de Montréal, 2022 QCCA 398

La Cour d’appel confirme par cette décision que la détermination de la légalité de l’utilisation d’un formulaire médical de préembauche par un employeur est une question qui relève de la juridiction exclusive de l’arbitre de griefs en matière de rapports collectifs de travail.

En effet, la Cour réitère que la compétence d’un arbitre de griefs ne se limite pas strictement au texte de la convention collective. Si l’essence du différend relève ou découle expressément ou implicitement de l’interprétation, de l’application, de l’administration, de l’exécution ou de la violation d’une convention collective, l’arbitre de grief aura une compétence exclusive sur le litige.

En l’espèce, puisque l’essence du litige porte sur le droit de gérance d’un employeur relativement à l’embauche des employés, la Cour conclut que l’arbitre avait la compétence pour trancher le litige.

Enfin, bien que la Cour d’appel reconnaisse que la compétence personnelle de l’arbitre se limite aux personnes couvertes par la convention collective, elle détermine qu’il n’est pas nécessaire que l’arbitre ait compétence sur tous les membres éventuels d’une action collective (ex. : tiers exclus du processus d’embauche) pour conclure qu’il convient d’écarter la juridiction de la Cour supérieure.

Le boni résultant du régime d’intéressement à long terme doit être exclu de la rémunération totale lors de l’évaluation du délai-congé

Leyne c. PSP Investments, 2022 QCCA 407, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême, n° 40194

La Cour d’appel réitère d’abord que l’évaluation du délai-congé ne résulte pas d’un exercice mathématique. Elle est plutôt le fruit d’une analyse factuelle et contextualisée en fonction des critères énoncés par la jurisprudence, à savoir les circonstances de chaque cas, la nature de l’emploi, la durée de service du salarié, son âge, ainsi que la possibilité d’obtenir un poste analogue compte tenu de son expérience, de sa formation et de ses compétences. Sur cette base, la Cour d’appel considère que le juge de première instance a fait une appréciation adéquate de ces critères pour conclure que le délai-congé de neuf (9) mois était raisonnable dans les circonstances.

Quant au boni résultant du régime d’intéressement à long terme (RILT), la Cour d’appel confirme également la décision du juge de première instance voulant que l’ex-employé ne puisse pas continuer de cumuler des unités en vertu du RILT pendant son délai-congé comme s’il était toujours employé par l’employeur et qu’à tout événement, l’ex‑employé a déjà reçu ce boni prévu dans son contrat d’emploi pour l’année 2013.

En raison de l’objectif du RILT qui est de favoriser la motivation et la rétention des employés performants, la Cour d’appel précise que ce type de boni n’a plus d’objet lorsque le lien d’emploi se termine. Ainsi, l’ex-employé ne pouvait pas continuer de cumuler des unités pour le RILT pour l’année 2014, pendant son délai-congé, comme s’il était toujours employé par l’employeur.

Une demande d’autorisation d’appel ayant été déposée par l’ex-employé, la Cour suprême du Canada devra déterminer si elle acceptera ou non d’entendre l’appel.


Me Mélanie Morin, CRHA, Me Valérie Leroux, CRHA et Me Marie-Ève Thériault

Source : Vigie RT, janvier 2023