ressources / relations-travail

Attention aux micros : vous êtes enregistrés!

Les micros et les caméras sont partout et à portée de main, y compris dans les milieux de travail. Cet article nous invite à la prudence lors de nos rencontres et aborde les enjeux en commentant une décision récente.
11 janvier 2023
Me Mikaël Maher, CRIA

À l’ère des technologies où les micros et les caméras sont partout, il est important de se rappeler que cette réalité n’a pas que des impacts à l’extérieur des milieux de travail : elle est tout aussi omniprésente en milieu de travail. Une décision récente du Tribunal administratif du travail[1] nous le rappelle : il faut évidemment faire attention aux micros lorsqu’on rencontre nos employés, mais il est primordial d’être tout aussi vigilants lorsqu’on se rencontre uniquement entre représentants d’un employeur, et ce, même en l’absence de nos employés et de leurs représentants syndicaux.

Les faits

Dans cette affaire, rendue le 14 octobre dernier par le Tribunal administratif du travail, division de la santé et de la sécurité du travail, une employée dépose une réclamation à la CNESST. Elle prétend avoir été victime d’abus du droit de gérance de la part de son employeur; ces abus seraient la cause de son diagnostic psychologique de trouble de l’adaptation. Dans le cadre d’une conférence de gestion en prévision d’une audition à venir, l’employée, par le biais de ses procureurs, demande au Tribunal l’autorisation de déposer en preuve un enregistrement de plusieurs minutes qu’elle a réalisé dans le cadre d’une rencontre formelle s’étant tenue avec sa gestionnaire et une conseillère en ressources humaines dans les mois précédents. Élément important : une partie de cet enregistrement a été faite en présence de tous les intervenants, à savoir l’employée, son représentant syndical et les représentants de l’employeur. Mais une autre partie de l’enregistrement s’est faite alors que l’employée et son représentant syndical avaient quitté la salle de réunion. Ainsi, cette dernière partie de l’enregistrement ne capte que des discussions privées entre la gestionnaire de l’employée et la conseillère en ressources humaines, sans la participation ou la présence de l’employée et de son représentant syndical lors de cette discussion. Évidemment, l’intégralité de cet enregistrement a été réalisée à l’insu des représentants de l’employeur.

Revenons sur cette rencontre. La conseillère en ressources humaines et la gestionnaire de l’employée convoquent cette dernière, en compagnie de son représentant syndical, à une rencontre dont la teneur ne lui a pas été communiquée. Il s’agissait par ailleurs d’une troisième rencontre de cette nature. Le contexte est également pertinent : des griefs étaient déjà déposés par le syndicat afin de contester certaines mesures administratives et suspensions, et une plainte par l’employée à l’encontre de son syndicat pour manquement à son devoir d’assistance était également en suspend au moment de cette rencontre. En cours de rencontre, comme la tension montait, il a été convenu de prendre une pause de quelques minutes afin de faire redescendre la tension. Ainsi, dans le cadre de cette pause, l’employée et son représentant syndical quittent la salle de réunion afin de discuter en privé. De leur côté, la gestionnaire et la conseillère en ressources humaines restent dans la salle. Se croyant à l’abri des regards et ne se doutant pas qu’elles étaient enregistrées, elles ont donc ventilé entre elles sur l’employée et se sont dit certains commentaires qu’elles n’auraient pas dit si elles avaient su qu’elles étaient sous écoute. Ainsi, l’employée désire mettre en preuve l’intégralité de l’enregistrement afin de démontrer l’attitude et l’intention hostiles de l’employeur à son égard.

La décision

D’emblée, l’admissibilité en preuve de la portion de l’enregistrement captant les échanges des différents intervenants alors que tous sont à l’intérieur de la salle de réunion n’est pas sujette à débat. Conformément à la jurisprudence constante, les parties s’entendent sur le fait que cette preuve est admissible, et ce, malgré les désagréments évidents du fait d’apprendre que l’on était sous écoute. Effectivement, dans un tel cas, l’enregistrement est licite et ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux des parties, toutes participant à la conversation.

Cependant, quant à la seconde partie de l’enregistrement, pour laquelle l’employée et son représentant syndical ne participent pas à la conversation, l’employeur s’oppose vigoureusement à son admissibilité en preuve.

Le Tribunal amorce son analyse en convenant que cette partie de l’enregistrement viole le droit à la vie privée des représentants de l’employeur. Effectivement, le Tribunal est conscient que cette conversation était de nature privée et que les représentants de l’employeur étaient convaincus qu’ils discutaient à l’abri des regards.

Par ailleurs, le Tribunal poursuit son analyse des critères légaux et jurisprudentiels en la matière. Cette violation de la vie privée est-elle justifiée dans les circonstances par des motifs et des moyens raisonnables? Le Tribunal répond par l’affirmative à cette question.

Il accorde une importance capitale au contexte entourant ladite rencontre formelle, notamment le fait qu’il s’agissait d’une troisième rencontre avec l’employeur sans connaître la teneur de celle-ci, le fait que des griefs avaient été déposés pour contester des mesures prises par l’employeur à l’encontre de l’employée ainsi que le fait qu’une plainte à l’encontre du syndicat avait été déposée par l’employée pour manquement à son devoir d’assistance. Le Tribunal est d’avis que l’employée avait des raisons suffisantes de croire que l’intervention de son employeur était arbitraire et injustifiée, que son lien d’emploi était en cause, tout cela sans avoir une confiance absolue en son syndicat qui faisait déjà l’objet d’une plainte pour défaut à son devoir d’assistance. Ainsi, pour le Tribunal, l’objectif de l’enregistrement pour l’employée n’était que d’amasser de la preuve dans ces circonstances afin de protéger ses droits. Il s’agit donc de considérations sérieuses et de motifs rationnels pouvant justifier l’admissibilité en preuve, d’autant plus que ces enregistrements ont été faits à partir du téléphone portable de l’employée, sans vidéo, de sorte que les moyens sont tout autant raisonnables et non abusifs. L’enregistrement audio est donc jugé recevable en preuve dans son intégralité par le Tribunal.

Conclusion

Il est primordial de garder à l’esprit qu’à l’ère des technologies dans laquelle nous sommes, les micros et les caméras sont partout. Il est impératif de toujours tenir pour acquis qu’à chaque fois que nous rencontrons nos employés, nous sommes fort probablement enregistrés. Ainsi, adapter nos méthodes de communications en conséquence est absolument nécessaire. De plus, comme l’illustre à merveille la décision commentée dans cet article, cette vigilance quant aux enregistrements doit désormais non seulement viser les rencontres avec nos employés, mais également s’étendre aux rencontres internes que nous avons entre représentants d’un employeur, et ce, même en l’absence d’employés et de représentants syndicaux.


Author
Me Mikaël Maher, CRIA Avocat Fasken

Source : Vigie RT, janvier 2023

1 Charron et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal - Centre hospitalier de Verdun, 2022 QCTAT 4663.