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Revue de décisions marquantes en droit du travail pour l'année 2021

L’année qui se termine a vu ses premières décisions rendues en matière de COVID-19, dont notamment quelques-unes au Québec. Les tribunaux ont par ailleurs rendu d’autres décisions présentant un intérêt pour la pratique professionnelle RH et qu’il ne faut pas passer sous silence pour autant. En voici donc quelques-unes que nous avons choisi de vous présenter afin de commencer la nouvelle année du bon pied.
12 janvier 2022
ME MÉLANIE MORIN, CRHA, ET ME VALÉRIE LEROUX, CRHA

Se conformer d’abord, contester ensuite : application immédiate d’une politique de vaccination obligatoire

Lachance c. Procureur général du Québec, 2021 QCCS 4721

La Cour supérieure a rejeté une demande visant à suspendre une politique de vaccination obligatoire dans les milieux de la santé en attendant de se prononcer sur la validité du décret 1276-2021. La Cour distingue la vaccination forcée, qui est spécifiquement encadrée par la Loi sur la santé publique, et la vaccination obligatoire envisagée dans ce décret, laquelle consiste à exiger que les employés soient adéquatement vaccinés pour accéder à leur milieu de travail du secteur de la santé et des services sociaux et qu’ils en fournissent la preuve, à défaut de quoi ils seront suspendus sans solde.

La Cour refuse donc de suspendre le décret, notamment au motif d’absence de préjudice irréparable. En effet, bien qu’elle considère que la suspension et la perte de revenu qui en découle puissent être considérées comme une lourde sanction, elle pourra être indemnisée si le décret devait par la suite être déclaré invalide[1].

Par ailleurs, un arbitre de grief a récemment rendu une décision similaire. Il a refusé de suspendre une politique de vaccination obligatoire mise en place par la Société canadienne des postes en attendant le sort du grief contestant sa légalité. Il a pris cette décision notamment en raison de l’absence de préjudice irréparable pour les employés récalcitrants et du fait que la prépondérance des inconvénients joue en faveur de l’employeur, l’intérêt public visant à promouvoir la vaccination et à réduire la transmission de la COVID-19 dans les milieux de travail[2].

La divulgation du statut vaccinal : quand et quoi

Union des employés et employées de service, section locale 800 c. Services ménagers Roy ltée, 2021 CanLII 114756 (QC SAT)

Dans le cadre d’un grief déclaratoire où les questions soumises et les faits admis sont bien circonscrits et ne concernent pas la non-vaccination pour motif de santé ou de religion, l’arbitre conclut que de demander aux employés s’ils sont adéquatement vaccinés constitue une atteinte à leur droit au respect de leur vie privée. Toutefois, l’arbitre détermine que ce droit n’étant pas absolu, l’atteinte est justifiée et sans conséquence en comparaison des inconvénients majeurs que pourraient causer des personnes non vaccinées dans les édifices des clients de l’employeur qui requièrent une attestation de vaccination.

Pour arriver à cette conclusion, l’arbitre note que l’employeur, une entreprise d’entretien ménager, n’exige pas que tous ses employés soient adéquatement vaccinés, mais seulement ceux qui sont assignés aux édifices de clients qui ont cette exigence. En outre, l’arbitre retient également le fait que les employés qui ne sont pas adéquatement vaccinés, ou qui refusent de donner leur statut vaccinal, feront l’objet d’un transfert administratif, dans la mesure du possible, conformément aux dispositions de la convention collective. Autrement dit, une politique de vaccination obligatoire ou de divulgation du statut vaccinal peut être valide si la nature des activités de l’entreprise et les circonstances le justifient, dont notamment les risques propres au milieu de travail en cause.

Quant à l’information que l’employeur est en droit de demander des employés visés par l’exigence, elle doit se limiter à la preuve qu’ils sont adéquatement vaccinés ou non, ce qui peut se faire en montrant le passeport vaccinal ou un document en tenant lieu. En outre, cette collecte d’information devrait être faite par les ressources humaines qui ont l’habitude de gérer les renseignements personnels des employés, plutôt que par le supérieur immédiat.

Le refus de respecter une directive sanitaire peut « coûter » cher

Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), section locale 5159 c. QSL Canada inc., 2021 CanLII 73152 (QC SAT)

Dans cette affaire, le débardeur omet de se laver les mains, tel que requis en passant à côté de la station de lavage. Rappelé à l’ordre par un surintendant, il indique son refus d’obtempérer au motif qu’il ne voit pas l’utilité de la directive, ce qui entraîne son retrait immédiat des lieux. Après enquête, où l’employé réitère sa position, l’employeur lui impose une suspension sans solde de quatre mois.

L’arbitre rejette le grief et conclut que cette suspension, bien que sévère, n’est pas déraisonnable en raison : (i) du passé disciplinaire de l’employé qui démontre qu’il n’accorde pas une réelle importance aux règles de santé et de sécurité au travail, (ii) du fait qu’à l’époque, l’employeur ne voulait prendre aucun risque susceptible de mettre en péril ses activités, jugées essentielles[3], et (iii) du fait que la faute de l’employé est grave, ne s’agissant pas d’un simple oubli de se laver les mains, mais plutôt d’un acte volontaire de refus d’appliquer une directive sanitaire par conviction.

Cette décision est intéressante parce qu’elle réitère le fait que la raisonnabilité d’une sanction s’examine en fonction de la conjoncture prévalant au moment de son imposition. En outre, il s’agit d’une illustration où le défaut de respecter les règles de santé et de sécurité au travail peut permettre l’imposition d’une sanction sévère lorsque les circonstances propres à l’employé et au contexte le justifient[4].

Une infection au virus de la COVID-19 reconnue comme lésion professionnelle

Lamarche et Consolidated Fastfrate inc., 2021 QCTAT 4580

En mai 2020, le camionneur-gardeur se présente au travail, fait le plein de carburant de son véhicule et constate une perte d’odorat. Le test de dépistage est positif, et un diagnostic d’infection au virus de la COVID-19 est posé. Tant la CNESST que sa Direction de la révision administrative refusent de reconnaître qu’il s’agit d’une lésion professionnelle. Le Tribunal administratif du travail (« TAT ») infirme ces décisions et conclut plutôt que le travailleur a bel et bien subi une maladie contractée à l’occasion d’un accident du travail, alors que le fait d’avoir été en contact avec le virus peut s’assimiler à un événement imprévu et soudain.

Pour le TAT, il est plus probable que le travailleur ait été exposé au virus au travail en raison des faits suivants : (i) le travailleur devait accéder à des endroits restreints où la distanciation était impossible, et ce, plusieurs fois par jour, (ii) le port du masque n’était alors pas obligatoire, (iii) il avait eu des contacts rapprochés quelque temps auparavant avec cinq collègues ayant eux-mêmes reçu un diagnostic de COVID-19 depuis, et (iv) il était en isolement strict lorsqu’il n’était pas au travail.

Même traitement à emploi égal pour vos étudiants!

Aluminerie de Bécancour inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beaudry et autres), 2021 QCCA 989

La Cour d’appel du Québec a confirmé que la « condition sociale » énumérée comme motif interdit de discrimination prévue à la Charte québécoise inclut notamment le statut d’étudiant. Ainsi, un employeur qui diminue la rémunération de cette catégorie d’emploi, au motif que les étudiants effectuent moins de tâches que les autres employés réguliers, peut créer une disparité de traitement. Dans le présent cas, il a été mis en preuve que le travail des étudiants ne différait pas de celui des employés réguliers.

Bien qu’une convention collective ou un contrat d’emploi individuel puisse prévoir un salaire ou des conditions d’emploi moindre pour les étudiants, un employeur ne peut traiter différemment les étudiants uniquement en fonction de leur statut d’étudiant. L’analyse de l’emploi équivalent se fera à partir des critères suivants : les qualifications requises, l’effort nécessaire, les responsabilités assumées et les conditions de travail. Dit autrement, les étudiants sont en droit de recevoir un salaire égal pour le même emploi.

Harcèlement sexuel n’implique pas nécessaire harcèlement racial

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (C.P.) c. Busrel inc., 2021 QCTDP 5

La plaignante, d’origine haïtienne, allègue avoir fait l’objet de harcèlement sexuel et racial au travail. Il a été mis en preuve que les tentatives de « flirt » de son supérieur hiérarchique ont dépassé la simple manifestation d’un intérêt à nouer une relation avec cette personne. Le fait d’insister pendant plusieurs jours consécutifs, d’utiliser son autorité et les occasions créées par ses fonctions pour réitérer cet intérêt, de la « mitrailler » de messages textes durant la fin de semaine, sont des exemples démontrant ce qui excède les limites de l’acceptable dans un contexte où la plaignante ne montrait aucune volonté particulière quant à un rapprochement possible. Cela dit, il n’est pas mis en preuve qu’il s’agissait également d’une conduite inacceptable de nature raciale. Le Tribunal accorde des dommages de 5 000 $.

En aucune circonstance, le statut d’autorité au sein d’une entreprise ne peut servir ou permettre à une personne de l’utiliser dans le but de « flirter » et de se rapprocher d’une personne. Par ailleurs, le simple fait que le superviseur ait posé des questions ou tenu certains propos, quoique qualifiés de fort déplacés par le Tribunal, n’est pas suffisant pour conclure à du harcèlement racial.

Préparer son départ avant de quitter son emploi : un manquement à l’obligation de loyauté?

Sahlaoui c. 2330-2029 Québec inc. (Médicus), 2021 QCCA 1310

L’orthésiste-prothésiste, alors qu’il était toujours à l’emploi de la clinique où il travaillait à temps plein depuis environ 10 ans, a créé une nouvelle société et signé un bail. Ces démarches étaient dans le but de quitter son employeur et de travailler à son compte dans le même domaine, et ce, avec un autre partenaire d’affaires. Selon la Cour, la preuve ne démontre pas qu’il ait utilisé son temps de travail pour faire ses préparatifs de départ, pas plus qu’il n’aurait utilisé des informations à caractère confidentiel appartenant à son ex-employeur. Il est à noter que l’employé n’avait signé aucun engagement de non-concurrence.

La Cour d’appel se positionne donc quant à savoir si un employé qui souhaite préparer son départ avant de quitter son emploi viole son obligation de loyauté prévue au Code civil du Québec. Elle tranchera que, en l’espèce, les préparatifs ne constituent pas un manquement à l’obligation de loyauté. Comme le salarié était libre de quitter son emploi en donnant un préavis raisonnable, ce qu’il a fait, il était également libre d’entreprendre les démarches relatives à son départ.

Cela dit, un employé qui procéderait ainsi ne doit en aucun cas utiliser son temps de travail ou utiliser les outils de l’employeur pour ce faire. Il ne peut pas non plus profiter de cette situation pour obtenir de quelque façon l’information ou tout bien appartenant à l’employeur. Demeure la question de savoir si la conclusion serait la même pour un haut dirigeant, dont le devoir de loyauté et de transparence est accentué en raison des fonctions occupées. Comme il ne s’agissait pas du statut de l’employé dans la clinique, la Cour d’appel ne s’est pas prononcée quant à cette situation spécifique.

La mitigation des dommages : faut-il accepter un autre poste offert chez le même employeur?

Sobeys Québec inc. c. Raby, 2021 QCCA 635

Employée de l’entreprise depuis 31 ans, la salariée voit son poste être aboli alors qu’elle est en congé de maladie. À son retour au travail, un autre poste lui est offert, ce qu’elle refuse. La Cour d’appel analyse l’application des principes dégagés par l’arrêt Evans[5] de la Cour suprême du Canada pour savoir dans quelles circonstances l’employé congédié doit retourner travailler pour le même employeur afin de mitiger ses dommages. Il s’agit d’une analyse contextuelle qui tiendra compte de différents facteurs comme le fait de ne pas être obligé de travailler dans un milieu d’hostilité, de gêne ou d’humiliation.

En l’espèce, après 31 ans, tant la diminution substantielle de la rémunération et des conditions de travail en général que la rétrogradation proposée à un poste inférieur hiérarchiquement, ont milité en faveur du fait que la salariée n’était pas obligée, afin de mitiger ses dommages, de réintégrer l’emploi proposé.

La notion d’« établissement » peut inclure le télétravail (anti-briseurs de grève)

Unifor, section locale 177 c. Groupe CRH Canada inc., 2021 QCTAT 5639

Dans cette affaire, le TAT devait déterminer si l’employeur avait contrevenu aux dispositions anti-briseurs de grève en permettant à un tiers de remplir des fonctions de salariés faisant partie de l’unité de négociation en lock-out à partir de sa résidence, donc en télétravail.

Le TAT est d’avis que la notion d’« établissement », auparavant interprétée de manière restrictive comme étant un lieu physique, a depuis évoluée, notamment en raison du déploiement à très grande échelle du télétravail imposé d’abord par l’État, mais qui est devenu depuis une réalité quotidienne pour un nombre très important de travailleurs. Ainsi, pour le TAT, la notion d’« établissement» ne saurait être imperméable à ce phénomène omniprésent, d’où l’importance et la nécessité d’en adopter une interprétation contextuelle et dynamique.

Par conséquent, dans la mesure où l’« établissement » de l’employeur se déploie pour permettre l’exécution du travail par des salariés en télétravail à partir de leur domicile et sous l’autorité de l’employeur, au même titre que s’ils s’étaient trouvés physiquement à l’usine, il convient de retenir que ces salariés exécutent leur travail dans l’« établissement».


ME MÉLANIE MORIN, CRHA, ET ME VALÉRIE LEROUX, CRHA

Source : Vigie RT, janvier 2022

1 Pour une autre illustration d’un refus de sursis en l’absence de préjudice sérieux ou irréparable, voir Mercier c. Procureur général du Québec, 2021 QCCS 4666 (exigence du passeport vaccinal pour fréquenter des lieux à vocation sociale pour des services non essentiels).
2 Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes et Société canadienne des postes, décision non rapportée du 30 novembre 2021 par l’arbitre Kevin Burkett.
3 Rappelons qu’en avril 2020, au moment des faits, la grande majorité des entreprises du Québec ont vu leurs activités temporairement mises sur la glace par le gouvernement. L’employeur considérait donc alors comme un privilège, dans ce contexte, de poursuivre ses activités.
4 Pour un autre exemple, voir : Côté c. Résidence St-Vallier Ouest inc., 2021 QCTAT 4902 (suspension sans solde de 15 jours substituée au congédiement).
5 Evans c. Teamsters Local Union No. 31, 2008 CSC 20.