Le contexte
Le 1er septembre 2022, la Cour d’appel du Québec[1] a accueilli en partie l’appel principal de la Caisse populaire Desjardins de Saint-Raymond – Sainte-Catherine, l’appelante, et l’appel incident d’une employée, l’intimée, contestant les sommes accordées à l’intimée à la suite de son congédiement.
Après 35 années de service au sein du Mouvement Desjardins, l’intimée a été congédiée de son poste de directrice, Marché des particuliers et développement des affaires, à la Caisse populaire Desjardins de Saint-Raymond-Sainte-Catherine par le nouveau directeur général de la Caisse. Ce dernier, craignant le départ de deux employées en raison du style de gestion de cette employée, lui a demandé le 17 avril 2014 de quitter les lieux immédiatement et de ne plus y revenir. L’intimée est tombée en dépression à la suite de ces événements et a reçu le 16 février 2015 une lettre de congédiement. Elle a finalement engagé des procédures contre la Caisse en dommages-intérêts.
La Cour supérieure a partiellement donné raison à l’intimée et lui a accordé une somme totale de 223 404 $ à titre d’indemnité[2]. Cette décision a été contestée par les parties devant la Cour d’appel, qui a rappelé certains principes entourant l’indemnité qui peut être accordée dans de tels dossiers.
Ce que la Cour d’appel a décidé
Afin de déterminer si l’indemnité offerte à l’intimée par la Cour supérieure était appropriée, la Cour a dû évaluer les divers motifs d’indemnisation, en commençant par la question de la durée du délai de congé. À ce sujet, la Cour rappelle que la détermination d’un délai de congé raisonnable est une question de fait. La durée d’un délai de congé doit être établie en fonction des circonstances propres à chaque situation et dépend d’une multitude de facteurs. En faisant preuve de réserve et de déférence face à la décision de la Cour supérieure, la Cour reconnaît que le juge était justifié de considérer les 35 années d’ancienneté de l’intimée chez le Mouvement Desjardins, son âge (52 ans), le niveau hiérarchique élevé du poste ainsi que ses opportunités limitées de dénicher un nouvel emploi équivalent. Un délai de congé de 24 mois était raisonnable dans les circonstances.
Il est ensuite question du devoir de l’intimée en tant que victime de minimiser son préjudice[3]. Cette obligation de moyen implique que le salarié congédié doit déployer des efforts raisonnables pour se replacer dans un emploi dans le même domaine ou dans un domaine similaire et ne doit pas refuser d’offres d’emploi raisonnables. En ce sens, il serait exagéré d’imposer au salarié congédié de remuer ciel et terre pour trouver un nouvel emploi. Enfin, il revient à l’employeur de faire la démonstration que le salarié a manqué à son obligation de minimiser son préjudice, fardeau dont l’appelante ne s’est pas déchargée en l’espèce.
La question de l’inclusion des bonis et des augmentations salariales dans le calcul de l’indemnité est également abordée par la Cour. Règle générale, l’indemnité de délai de congé inclut l’ensemble des avantages pécuniaires faisant partie de la rémunération totale du salarié et comprend donc de telles sommes. Dans le cas qui nous occupe, ces montants étaient inclus dans la rémunération de l’intimée et leur attribution, quoique liée à l’atteinte de certains objectifs, n’était pas purement discrétionnaire. L’appelante avait donc la charge de démontrer que l’intimée, n’eût été son congédiement, n’aurait pas eu droit à ses bonis et à ses augmentations, preuve qui n’a pas été faite.
En outre, l’appelante allègue qu’elle n’avait pas à verser des dommages non pécuniaires à l’intimée en lien avec la rencontre survenue le 17 avril 2014, car il s’agirait d’un accident de travail, et tout préjudice en découlant relèverait du régime d’indemnisation de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« LATMP »)[4]. La Cour mentionne d’abord que l’indemnité de délai de congé suffit à compenser les dommages normalement subis en raison de la perte d’emploi. Or, il peut survenir qu’un salarié subisse des dommages additionnels en raison d’une faute distincte de la résiliation du lien d’emploi. Un employeur agissant avec mauvaise foi ou négligence commet une faute distincte qui s’apparente à un abus de droit et déclenche le droit à une indemnisation supplémentaire. Congédier un salarié de manière humiliante, dégradante ou blessante ou encore tout en portant gravement atteinte à sa réputation justifie l’attribution de dommages moraux additionnels. En l’espèce, la Cour estime que le renvoi de l’intimée chez elle s’est fait de manière laconique, humiliante et méprisante et s’apparente à un abus de droit causant chez l’intimée un préjudice plus grave que celui qui découle normalement d’un congédiement. Toutefois, ce dommage moral distinct ne peut être indemnisé ici, car un jugement a déjà été rendu à ce sujet et revêt l’autorité de la chose jugée[5]. En effet, un juge avait précédemment conclu que la rencontre du 17 avril était un accident de travail visé par la LATMP et que l’employeur bénéficiait donc, quant à cet événement, de l’immunité civile instaurée par ce régime public d’indemnisation[6]. La Cour précise cependant que cette immunité ne couvre que le préjudice physique ou moral. L’atteinte à la réputation n’étant pas couverte, la Cour accorde une indemnité à l’intimée pour ce motif.
Au surplus, la question de la déduction des prestations d’invalidité reçues par l’intimée s’est posée dans cette affaire. La Cour, en appliquant l’article 1608 CCQ, explique que l’obligation d’indemnisation de l’employeur demeure lorsqu’un salarié reçoit des prestations d’invalidité d’un tiers comme un assureur, peu importe que l’employeur paie ou non une partie ou toutes les primes d’assurance. En effet, la Cour affirme que cette contribution de l’employeur fait partie des conditions de travail du salarié et diffère des prestations d’invalidité versées par l’assureur. Le fait qu’un salarié reçoive des prestations d’invalidité d’un tiers n’affecte en rien l’obligation de l’employeur de verser une indemnité complète en réparation d’un préjudice. Notons qu’il serait possible de déduire des dommages-intérêts le montant versé par l’employeur à titre de salaire en cas d’invalidité, mais ce n’est pas le cas en l’espèce. Enfin, l’obligation de l’employeur d’indemniser le salarié pour le préjudice subi s’applique même lorsque les prestations d’invalidité reçues d’un tiers le sont pour un motif autre que l’indemnisation du préjudice subi par le salarié. Par conséquent, les prestations d’invalidité versées par l’assureur à l’intimée ne doivent pas être déduites de l’indemnité due par l’employeur à titre de délai de congé.
Enfin, l’argument de l’intimée voulant qu’elle soit en droit d’obtenir la valeur de remplacement de son fonds de pension est rejeté par la Cour. En effet, cela reviendrait à nier la faculté de résiliation unilatérale du contrat de travail conférée par l’article 2091 CCQ. Le droit au fonds de pension étant perdu par l’effet même du congédiement, il n’y a pas lieu d’accorder une indemnité à ce titre.
Ce qu’il faut retenir
Cette décision de la Cour d’appel confirme d’abord que l’évaluation de la durée du délai de congé est une question de fait basée sur de nombreux critères et qu’un salarié congédié n’est tenu qu’à effectuer des efforts raisonnables pour se replacer dans un emploi similaire. La Cour rappelle ensuite que les bonis et les augmentations de salaire font partie de la rémunération globale d’un salarié et que les bonis, lorsqu’ils ne sont pas purement discrétionnaires, y sont compris. Ces montants doivent donc être inclus dans l’indemnité de délai de congé.
Mentionnons également que l’indemnité offerte à un salarié à titre de délai de congé peut ne pas suffire si l’employeur a commis une faute distincte du congédiement qui a causé un préjudice supplémentaire au salarié. L’employeur n’aura toutefois pas à débourser de sommes additionnelles si l’événement en question constitue un accident du travail au sens de la LATMP et bénéficiera d’une immunité civile à ce sujet.
Finalement, soulignons que les prestations d’invalidité versées à un salarié par un assureur ne peuvent être déduites de l’indemnité due par l’employeur à titre de délai de congé, même si l’employeur paie une partie ou toutes les primes d’assurance.
1 | Caisse populaire Desjardins de Saint-Raymond—Sainte-Catherine c. Girard, 2022 QCCA 1171. |
2 | Girard c. Caisse populaire Desjardins de Saint-Raymond-Sainte-Catherine, 2019 QCCS 4770. |
3 | Art. 1479 CCQ. |
4 | RLRQ, c. a-3.001. |
5 | Girard c. Caisse populaire de Saint-Raymond--Sainte-Catherine, 2017 QCCS 285. |
6 | Art. 438 et 442 LATMP. |