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Encore la vaccination…

Les employeurs peuvent-ils obliger leurs employés à se conformer à leur politique vaccinale? Pour aborder l’épineux sujet de l’obligation vaccinale dans le cadre particulier du travail, l’auteur s’appuie sur une décision récente à l’échelle canadienne.
25 mai 2022
Me Philippe Desrosiers, CRIA

La pandémie! Qui ne souhaiterait pas que ce mot disparaisse à jamais de notre vocabulaire? À chaque fin de vague, nous espérons ardemment que le virus et ses variants soient chose du passé afin que la vie normale reprenne ses droits d’avant. Sans faire concurrence aux autres sphères de la vie, celle du travail a eu plus que son lot d’adaptations afin de maintenir tant bien que mal les objectifs fixés par les différentes organisations privées ou publiques souhaitant maintenir leurs activités quasi normalement. Parmi les nombreux volets d’adaptation, il y a eu bien sûr la vaccination. Le rédacteur que je suis avait déjà écrit sur l’obligation de vaccination en milieu de travail dans une rubrique parue antérieurement. Nous avions à ce moment fait état des principes de droit sur la question.

Depuis, la jurisprudence, tant québécoise que canadienne, s’est enrichie de décisions qui viennent jeter un meilleur éclairage sur l’application des principes de droit. Dans la foulée des décisions rendues, nous aimerions nous attarder plus particulièrement à une décision toute récente rendue le 27 avril 2022 impliquant la Société canadienne des postes (SCP) et son syndicat[1]. Bien que cette décision ait été rendue en droit canadien, il n’en demeure pas moins que les principes discutés et ses conclusions s’appliquent en droit québécois en y apportant les adaptations nécessaires. Nous ferons le survol des éléments les plus importants de la décision rendue par l’arbitre Thomas Jolliffe.

L’enjeu en cause était de déterminer si l’employeur pouvait adopter une politique visant à contraindre ses salariés à se faire vacciner adéquatement. Ce qu’a fait la SCP. Cette politique visait l’ensemble de son personnel, dont une unité syndiquée de 42 000 personnes. Celle-ci a déposé un grief collectif contestant le droit pour l’employeur d’adopter une politique exigeant que chaque salarié soit pleinement vacciné, au motif que celle-ci était contraire à la Charte canadienne des droits et libertés. Toute violation de la politique faisait en sorte que le salarié était suspendu sans solde jusqu’à ce qu’il remédie à la situation et se conforme à cette politique.

Rappelons que dans les semaines qui ont suivi l’adoption de la politique sur la vaccination obligatoire, le syndicat a déposé une injonction devant le tribunal d’arbitrage afin que celle-ci soit suspendue le temps qu’il soit établi, ou non, son bien-fondé en regard du droit. L’arbitre Kevin Burkett a analysé l’affaire selon les règles usuelles et a rejeté l’injonction permettant ainsi à la SCP de continuer d’appliquer sa politique. L’argument principal relevé par l’arbitre pour rejeter l’injonction a été de considérer que chaque salarié lésé par une suspension sans solde pouvait être indemnisé éventuellement si la politique était invalidée par le Tribunal. Il a donc considéré qu’il n’y avait pas urgence d’intervenir faute de réparation possible. Plus de 2 000 salariés ont été touchés directement par une contravention à la politique au cours de la période visée par le grief collectif.

Malgré cette première bataille perdue, le syndicat a poursuivi sa contestation au fond. Il soutenait que la politique était déraisonnable et que des mesures alternatives étaient possibles telles que les tests rapides antigéniques pour assurer un milieu de vie sécuritaire au travail. Pour le syndicat, toute politique sur la santé doit assurer l’intégrité de la personne et protéger ses intérêts privés. Bien sûr, l’employeur a un devoir légal de protéger la santé et la sécurité de ses salariés, même en l’absence de certitude scientifique. Cependant, une politique de vaccination obligatoire est déraisonnable quant aux droits des salariés lorsqu’il existe d’autres options raisonnables. Le syndicat soulève qu’un salarié n’a pas abandonné ses droits lorsqu’il a accepté un emploi à la SCP et qu’il ne peut être vacciné contre sa volonté.

Quant à l’employeur, il a soutenu que l’adoption d’une politique de vaccination obligatoire était essentielle pour assurer la bonne marche de ses opérations et que, bien que cela pouvait entrer en opposition avec les droits fondamentaux des salariés, la politique s’avérait raisonnable et légitime dans les circonstances.

Les principaux arguments avancés par la SCP pour établir le bien-fondé de sa politique ont été les suivants :

  • Le nombre élevé d’interactions avec les clients de la SCP, lesquels peuvent être ou non vaccinés;
  • La distanciation physique qui n’est pas toujours possible avec ses clients;
  • Malgré un guide sanitaire interne rigoureux, les cas d’infection augmentaient;
  • Les ruptures de service dues aux nombreux cas d’absence de salariés ayant un impact majeur sur les activités;
  • La productivité en baisse;
  • La moyenne d’âge des salariés se situant autour de 49 ans, dont 65 % dans la tranche d’âge de 45 à 64 ans, augmentant ainsi le risque de maladie dans sa forme sévère, voire de décès;
  • Deux décès survenus dans d’autres unités de la SCP;
  • La contagiosité du variant Omicron;
  • La population canadienne doit pouvoir compter sur un service postal continu et efficace pour ses activités courantes. 1,2 million de Canadiens étaient liés à l’entrepôt visé par le grief;
  • Malgré d’autres options, telles que des tests rapides antigéniques, la sécurité des salariés et la poursuite des opérations ne pouvaient être assurées en raison du nombre élevé de résultats faux négatifs;
  • Le gouvernement fédéral a demandé à de grandes organisations d’implanter des politiques de vaccination obligatoire. La SCP était visée par cette demande;
  • La vaccination est le seul moyen de réduire la transmission de la COVID-19;
  • La vaccination est le moyen le plus efficace pour protéger les salariés et réduire la sévérité de la maladie;
  • La vaccination est sécuritaire.

Après avoir entendu l’ensemble de la preuve présentée par la SCP et le syndicat, l’arbitre a conclu que la politique de vaccination obligatoire adoptée par l’employeur était justifiée et raisonnable. Selon lui, elle constituait une réponse proportionnelle et adéquate aux droits en cause, soit celui de protéger la santé et la sécurité des salariés et ceux visant à protéger l’intégrité de la personne et la vie privée. Pour l’arbitre, il ne faisait aucun doute que l’implantation d’une telle politique diminuerait grandement les risques d’infection en milieu de travail et qu’elle était la seule voie logique, à moins d’isoler complètement chaque salarié, pour limiter la transmission entre personnes, qu’elles soient sur ou en dehors des lieux du travail. De l’avis de l’arbitre, les tests rapides antigéniques étaient un outil intéressant et complémentaire pour contrôler la transmission du virus, mais ne remplaçaient d’aucune façon la vaccination adéquate.

Bien que la preuve scientifique entourant la vaccination puisse soulever certaines incertitudes et que nous soyons à évaluer les probabilités, le résultat est que la vaccination diminue grandement la possibilité de développer une forme sévère de la maladie selon l’analyse de la preuve scientifique présentée à l’arbitre. Au surplus, le Tribunal a retenu les risques multipliés par de nombreux contacts entre les salariés et les clients de la SCP, la distanciation physique réduite et pas toujours possible sur les lieux de travail ainsi que les impacts sur l’absentéisme pour valider la politique de l’employeur et considérer que ce dernier avait usé de ses droits de direction raisonnablement en tenant compte des circonstances factuelles présentées devant lui.

Nous espérons que le survol de cette décision arbitrale canadienne permettra de mettre en relief le cadre entourant l’implantation d’une politique de vaccination obligatoire en milieu de travail. Il est nécessaire de rappeler que chaque cas est un cas spécifique qui doit être analysé à la lumière de sa propre réalité et de façon individuelle. Ce sera toujours aux employeurs à démontrer que leur politique est raisonnablement nécessaire dans leur organisation et qu’elle constitue une réponse proportionnée à un risque réel et démontré ou à un besoin commercial. À défaut, le principe de base voulant que chaque personne ait le droit d’accepter ou de refuser de se faire vacciner aura préséance.


Author
Me Philippe Desrosiers, CRIA Avocat et conseiller en relations du travail Étude légale Philippe Desrosiers Inc.