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Souriez… on vous surveille!

On le sait, on le constate : le télétravail est là pour durer! Mais qu’en est-il du lien employeur-employé et organisation-employé dans ce contexte? L’auteur nous présente quelques pistes.
1 décembre 2021
Me Philippe Desrosiers, CRIA

Le lien de confiance est un élément essentiel à tout contrat d’emploi. Sans lui, il ne saurait exister une relation harmonieuse et stable entre un employeur et ses employés. Cet élément vient souder les principes élémentaires d’un contrat de travail, à savoir qu’en échange d’un service défini, il y aura en retour une rémunération convenue.

S’ajoute à ce lien de confiance le devoir de loyauté d’un employé. Ce dernier doit s’assurer, dans le cadre de l’exécution de son travail, de ne pas nuire aux intérêts de son employeur ni de l’organisation pour laquelle il travaille. Cet engagement suppose qu’il effectue l’entièreté de ses heures de travail pour lesquelles il reçoit une rémunération, mais surtout, qu’il offre une prestation soutenue et raisonnablement substantielle pour chacune de ces heures.

Bien sûr, l’employeur doit offrir à ses employés un milieu de travail sain et exempt de discrimination ou de harcèlement, tout en s’assurant que la santé et la sécurité de son groupe ne sont pas compromises par des tiers, des actions posées ni des décisions adoptées par son organisation.

Cette toile de fond est la pierre angulaire à tout contrat d’emploi, et personne n’en conteste la nécessité. Jusqu’à un passé pas si lointain, ces éléments de base à un contrat évoluaient bien dans un marché de l’emploi dont le modèle classique n’était pas remis en cause. Ce modèle étant défini par la présence sur les lieux du travail des employés d’une organisation ainsi que des gestionnaires pour assurer la coordination et un bon déroulement des opérations, maintenir une efficacité au travail, contrôler l’activité et garantir une surveillance en temps réel des faits et gestes des employés. Bien des employeurs ou des gestionnaires diront que ce modèle classique et largement répandu dans différents milieux de travail avait le mérite d’être rassurant.

Or, depuis bientôt deux ans, la pandémie a frappé de plein fouet ce modèle classique des relations du travail et a forcé la main à tous les acteurs du monde du travail pour réinventer un tout autre modèle : le télétravail!

Le télétravail peut prendre différentes formes et se réaliser de différentes façons, mais une chose est constante dans ce nouveau modèle : c’est la présence de l’employé à son domicile pour réaliser les tâches de sa fonction. C’est le dénominateur commun de ce modèle qui sous-tend une plus grande liberté d’action d’un employé et qui laisse perplexes certains gestionnaires, privés de leur pouvoir de contrôle et de surveillance habituel. Sans un tel pouvoir, comment s’assurer que les employés effectueront leur travail avec efficacité et selon les normes attendues, diront plusieurs d’entre eux? Il n’en fallait pas davantage pour réfléchir à des moyens spécifiques de surveillance des activités de travail réalisées à domicile.

Sans prétendre proposer une liste exhaustive des moyens de contrôle, nous pouvons mettre de l’avant, à titre d’exemple, la surveillance vidéo intégrée à l’ordinateur professionnel du domicile, l’enregistrement des conversations téléphoniques et virtuelles, l’intégration d’une application de géolocalisation dans les appareils technologiques fournis à l’employé, les appels impromptus des gestionnaires pour valider la présence de l’employé ou des visites de courtoisie à domicile. Ces moyens peuvent se décliner de différentes façons, à divers degrés, et être mixtes. Bien qu’ils puissent être justifiés dans certaines circonstances lorsqu’un employeur a des motifs raisonnables et probables de croire qu’un employé contrevient à son devoir de loyauté et que le lien de confiance est en cause, ils ne sauraient en être valables autrement.

La législation principale qui protège les employés contre une intrusion invasive dans leur sphère personnelle est enchâssée dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Plus précisément, l’article 46 énonce que :

« Toute personne qui travaille a droit, conformément à la loi, à des conditions de travail justes et raisonnables qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique. »

Cet article doit être lu en adéquation avec le droit de toute personne au respect de sa vie privée.

À la lumière de ces droits, le pouvoir de contrôle et de surveillance d’un employeur n’est pas absolu et doit s’exercer dans un cadre légitime. Nous ne nions aucunement la nécessité d’un tel pouvoir au sein des relations du travail; il nous apparaît même être un incontournable. Toutefois, le législateur est venu s’assurer que son exercice ne soit pas abusif en y imposant des balises.

Il existe différents autres moyens de s’assurer que le travail demandé soit effectué. Pour cela, les gestionnaires devront être imaginatifs, car le télétravail est là pour rester. Dans un contexte de pérennisation de ce modèle, notre vision des relations du travail devra changer pour s’orienter davantage vers une flexibilité et une souplesse des tâches à réaliser. Pensons au travail axé sur des résultats concrets à remettre selon des échéanciers fixés à l’avance. L’important pour le gestionnaire sera le résultat et non la façon dont le travail a été réalisé ni à quel moment. Nous nous dirigeons davantage vers le travail qualitatif plutôt que quantitatif.

Il est également possible de mesurer le travail effectué en établissant clairement au préalable les objectifs et les attentes de l’organisation avec l’employé. Rien n’empêchera le gestionnaire, par la suite, de s’assurer que le travail rendu est adéquat et que le service à la clientèle est satisfaisant. N’oublions pas qu’implanter des réunions virtuelles fixes peut être un bon moyen de réguler le travail, de même que d’inviter hebdomadairement les employés à annoncer leurs activités à réaliser au cours de la semaine et à dévoiler leurs agendas. Cette façon de faire les rendra davantage imputables face à leur organisation.

En conclusion, les moyens légitimes de contrôler et de surveiller le travail sont nombreux, et ce, sans toutefois verser dans l’excès et résulter à des conditions de travail injustes et déraisonnables. Il n’en demeure pas moins qu’on en revient à la base, peu importe le modèle : une relation de travail se construit sur la confiance, la loyauté et un milieu de travail sain.


Author
Me Philippe Desrosiers, CRIA Avocat et conseiller en relations du travail Étude légale Philippe Desrosiers Inc.

Source : VigieRT, décembre 2021