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La vaccination : une question d’obligation

Dans le contexte de vaccination en milieu de travail, nous vous proposons un court article afin de vulgariser les droits et les obligations de l’employeur et de l’employé.
Me Philippe Desrosiers, CRIA

Dans notre société libre et démocratique, les libertés et les droits fondamentaux sont acquis pour tous. Il répugne à l’esprit de penser qu’un citoyen peut en être privé. Or, la crise actuelle amène un nouvel angle de réflexion pour plusieurs. Est-ce que les droits individuels ont préséance sur les droits collectifs lorsque la santé communautaire est en cause? Vous vivez sur une autre planète si vous n’avez pas entendu ne serait-ce qu’une personne discourir sur le sujet, car la question est hautement cruciale lorsqu’elle touche l’embauche ou le maintien à l’emploi d’un travailleur. Nous tenterons dans ce bref article de vulgariser les droits et les obligations de l’employeur comme de l’employé quant à la vaccination en milieu de travail.

L’enjeu

Le gouvernement fédéral a annoncé la vaccination de tous les fonctionnaires de l’État, y compris le personnel des organisations fédérales. Dans une mesure beaucoup plus ciblée, le gouvernement du Québec a décidé d’imposer la vaccination aux employés du réseau de la santé. Il n’en fallait pas plus pour donner le ton à tout le milieu patronal. Les patrons considèrent maintenant cette possibilité au sein de leurs propres organisations, car après tout, si les gouvernements peuvent le faire, il ne pourrait en être autrement pour eux. Toutefois, plusieurs ont manifesté des hésitations, car le spectre des Chartes est aussi présent et visible qu’un éléphant dans une pièce.

Le tableau juridique

Les Chartes de notre pays sont la loi suprême à laquelle aucune autre loi ne peut déroger. Nous appelons cet état de fait la primauté des Chartes.

Dans le cas qui nous occupe, un employé peut avec justesse recourir aux droits à l’intégrité de sa personne pour refuser d’obtempérer à une directive patronale de vaccination. Tous diront que l’introduction d’une aiguille dans le bras d’une personne contre son gré est une image forte de violation d’un droit fondamental. À cela s’ajoute, de façon accessoire, le droit à la liberté de conscience qui permet à chaque citoyen de se forger une opinion sur la vaccination. L’employé est en droit d’évaluer lui-même la situation et la solution proposée et, par la suite, de prendre une décision éclairée sur la violation de sa personne ou non.

En corollaire, l’employeur ne peut exercer de discrimination dans l’embauche ou les conditions de travail ni imposer des mesures disciplinaires justifiées contre un employé refusant la vaccination.

Toutefois, tout n’est pas noir ou blanc et, comme dans tout dossier litigieux, des nuances de gris s’imposent. Les Chartes prévoient que les libertés et les droits fondamentaux s’exercent dans le respect du bien-être général des citoyens. Ce qui suppose que toute action personnelle doit se concilier avec l’intérêt collectif. Reprenons une phrase connue qui image bien ce point : le droit des uns s’arrête là où commence celui des autres. Il n’est ainsi pas impossible de restreindre les droits et les libertés individuels si l’atteinte à ces droits est conforme aux principes de justice fondamentale au sein d’une société libre et démocratique.

À cet égard, les tribunaux ont défini un certain nombre de critères pour évaluer le bien-fondé ou non d’une atteinte à un droit fondamental. Nous ne reprendrons pas exhaustivement tous les critères, mais retenons que l’objectif d’une directive de vaccination obligatoire doit être urgent et réel, qu’il doit y avoir un lien rationnel entre cet objectif et la mesure recherchée, que cette mesure doit restreindre le moins possible le droit violé et qu’enfin, les effets positifs de la directive compensent les effets négatifs de l’atteinte. Nous convenons facilement que la matière est suffisamment nébuleuse pour engendrer de nombreux débats juridiques, ce qui explique les hésitations des employeurs à agir dans une direction favorisant l’obligation vaccinale.

La boule de cristal

Est-il légitime pour un employeur de forcer la vaccination de ses employés dans le contexte sanitaire actuel? Bien sûr que oui. Est-ce que cette action légitime est conforme au droit dans tous les cas? Bien sûr que non.

Il faudra évaluer chaque situation au mérite pour en établir la légalité, ce qui impliquera une analyse de chaque poste au sein de l’organisation. Bien malin celui qui peut d’ores et déjà avancer avec certitude l’éventuelle décision d’un tribunal.

Nous croyons que la mobilisation et la conviction demeurent les meilleurs outils pour favoriser l’adhésion à la vaccination contre le virus qui nous affligent lourdement. Chaque employeur, chaque syndicat et chaque travailleur ont une responsabilité certaine dans les circonstances et selon nous, dans la balance des inconvénients, la collectivité doit primer pour assurer la poursuite de l’individualité.

Toutefois, devant cette utopie, la réalité s’impose. Il y aura toujours des obstacles, et chaque employeur devra s’assurer, avant d’adopter une politique de vaccination obligatoire, que cette mesure est la meilleure en l’occurrence pour contrer le danger d’éclosion du virus dans son milieu ou l’atteinte de son personnel ou des tiers. Les employés évoluant dans les milieux de la santé, de même que ceux confinés dans des espaces clos, comme des avions, pourraient être visés par une telle mesure. Encore là, il faudra s’assurer que des mesures moins invasives ne puissent atteindre le même résultat. Nous référons ici aux gestes barrières déjà connus, au télétravail, à la prévention ou aux traitements. En revanche, lorsque l’on réfère à un fonctionnaire de l’État, nous anticipons une difficulté beaucoup plus grande pour contrer les Chartes.

Nous recommandons aux employeurs d’agir avec sagesse même si le débat peut être très émotif et facilement explosif. Des décisions trop hâtives pourraient les exposer à des poursuites civiles, mais aussi punitives, car les Chartes contiennent des dispositions à cet effet. Que dire également de la privation du personnel récalcitrant dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre lorsque les fonctions qu’ils occupent ne sont pas une évidence de danger pour la santé d’autrui? Une règle absolue peut difficilement s’appliquer dans les circonstances.


Author
Me Philippe Desrosiers, CRIA Avocat et conseiller en relations du travail Étude légale Philippe Desrosiers Inc.

Source : Vigie RT, septembre 2021