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Le non-respect d’une directive sanitaire: Suspension maintenue

Dans le contexte de vaccination en milieu de travail, nous vous proposons un court article afin de vulgariser les droits et les obligations de l’employeur et de l’employé.
Me Véronique Bélanger, CRIA

La crise de la COVID-19 a confronté les employeurs à des enjeux souvent inusités et comportant une bonne part d’incertitude. Les entreprises ont notamment dû mettre en place, dans un contexte d’urgence, des mesures sanitaires nouvelles ou renforcées afin de tenter de limiter la propagation du virus et de respecter les directives de la santé publique. Or, le respect de ces mesures peut être la source de problématiques particulières lorsque certains employés refusent de s’y soumettre. C’est ce qui s’est produit dans l’affaire QSL Canada[1], où l’arbitre a maintenu une mesure disciplinaire sévère imposée à un employé ayant refusé de se laver les mains à son entrée sur le lieu de travail.

Les événements se produisent au début avril 2020, alors que le gouvernement du Québec a décrété quelques semaines plus tôt l’état d’urgence sanitaire et annoncé, quelques jours plus tard, la fermeture des commerces non essentiels jusqu’au 13 avril minimalement. Le salarié en question (ci-après le « plaignant ») occupe alors un emploi de débardeur auprès de QSL Canada, une entreprise spécialisée dans l’opération de terminaux portuaires et l’arrimage. Il est affecté à la manutention des marchandises lors du chargement et du déchargement des navires aux installations maritimes d’Alcoa à Baie-Comeau, le principal client de l’employeur, et au quai fédéral. Puisqu’il offre des services considérés comme essentiels, l’employeur poursuit ses activités malgré la situation qui prévaut alors au Québec.

À l’entrée du site d’Alcoa, une procédure obligatoire requiert de se laver les mains avant de passer le tourniquet. Or, le 6 avril 2020, le plaignant passe devant la station de lavage sans se laver les mains. Il ignore alors le gardien de sécurité, qui l’interpelle sans succès. Le surintendant intervient ensuite auprès du plaignant pour lui indiquer de se laver les mains, mais il refuse, argumentant que la procédure est inutile puisqu’il s’est déjà lavé les mains lors de son passage aux toilettes précédemment. Le plaignant ayant choisi de maintenir son refus malgré l’insistance du surintendant, ce dernier décide de le renvoyer chez lui.

À la suite de son enquête, l’employeur décide de sanctionner le plaignant en lui imposant une suspension de quatre (4) mois, mesure qui est contestée par grief. Le syndicat plaide que les gestes reprochés au plaignant ont été commis par inadvertance, sans l’intention de contrevenir aux directives sanitaires en vigueur, et que la sanction est trop sévère. Or, l’arbitre ne retient pas cette version. Il conclut plutôt que le comportement du plaignant était volontaire, tout en soulignant que « [l]’omission volontaire de respecter une directive sanitaire en situation de pandémie malgré la demande expresse d’un surintendant constitue une faute grave » (par.4). Quant à la sévérité de la mesure, l’arbitre conclut qu’elle n’est pas disproportionnée ni déraisonnable, compte tenu notamment de l’absence de facteur atténuant. Il convient toutefois de noter que le plaignant avait déjà fait l’objet de deux (2) mesures disciplinaires, soit un avis verbal et un avis écrit, de même qu’une (1) mesure administrative relativement à la santé et à la sécurité au travail. L’arbitre retient donc les prétentions de l’employeur selon lesquelles, à la lumière des antécédents du plaignant, il était fondé à croire que ce dernier n’accorde pas une réelle importance aux règles de sécurité et qu’il est susceptible de récidiver.

L’arbitre prend également en considération le contexte qui prévalait au moment de l’imposition de la suspension. En effet, en avril 2020, l’employeur considérait le fait de poursuivre ses activités comme un privilège et craignait que le non-respect des règles sanitaires puisse entraîner un arrêt des activités, une intervention de la santé publique et même des amendes. L’image de l’entreprise face à son client Alcoa était également un facteur très important, et l’employeur ne voulait prendre aucun risque susceptible de mettre en péril les activités des deux entreprises. Comme le souligne l’arbitre, bien qu’il soit « possible, aujourd’hui, de relativiser certaines considérations de l’employeur à cette époque, il faut néanmoins se reporter à la conjoncture du mois d’avril 2020 pour analyser le caractère raisonnable de la décision en litige ». Or, compte tenu notamment de l’incertitude et des enjeux sérieux et réels auxquels faisait face l’employeur à ce moment, de même que les conséquences importantes qu’une éclosion parmi les débardeurs pouvait avoir pour l’employeur, les employés, Alcoa ainsi que pour la population de Baie-Comeau, les considérations de l’employeur ayant mené à l’imposition d’une suspension de quatre (4) mois au plaignant n’étaient pas déraisonnables en l’espèce.

L’arbitre conclut que la mesure imposée par l’employeur, bien que sévère, n’était pas déraisonnable, compte tenu de « l’attitude du plaignant, son absence de regret, ses antécédents, la gravité du manquement et le contexte dans lequel la faute est commise qui conduisent l’employeur à prendre cette décision » (par. 44). Le grief est donc rejeté.

Cette décision illustre bien que les mesures sanitaires dans le cadre de la crise de la COVID-19 ne doivent pas être prises à la légère et qu’en cas de non-respect de ces mesures, des sanctions sévères peuvent être justifiées. La prudence s’impose toutefois – bien que dans ce cas-ci une suspension de quatre (4) mois a été jugée raisonnable, la même mesure pourrait être jugée abusive dans d’autres circonstances. Il convient donc de porter une attention particulière au contexte qui prévaut lors de l’imposition de la mesure disciplinaire, la situation de la COVID-19 évoluant rapidement de semaine en semaine, afin de s’assurer de la justesse de la mesure imposée. Par ailleurs, il va de soi que la prise en considération des facteurs atténuants ou aggravants propres à chaque cas influencera également le choix de la sanction.


Me Véronique Bélanger, CRIA Avocate Cain Lamarre

Source : Vigie RT, septembre 2021

1 Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), section locale 5159 et QSL Canada inc., T.A., Me Dominic Garneau, 12 août 2021, 2021 CanLII 73152 (QC SAT).