La démission d’un salarié est parfois communiquée à l’employeur dans le contexte d’une situation conflictuelle où les émotions, les frustrations et les perceptions respectives des parties peuvent s’entremêler.
Dans une décision récente mettant en cause la démission de l’ancien numéro 2 de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) dans la foulée d’allégations de bris de confiance rapportées par les médias en 2017[1], la Cour supérieure vient rappeler aux employeurs l’importance d’agir avec prudence lors de la démission d’un employé. Une telle rupture du lien d’emploi doit résulter d’une décision libre et éclairée prise en l’absence de menaces, de contraintes ou de pressions. À défaut, la démission pourra plutôt être qualifiée de congédiement illégal, exposant souvent l’employeur à de lourdes conséquences financières.
La Cour supérieure sert également une certaine mise en garde aux employeurs lorsqu’ils acceptent de prendre acte d’une démission transmise dans des circonstances permettant de douter de son caractère libre et volontaire. Plus particulièrement, dans les circonstances de l’affaire Forget, la Cour estime que l’employeur ayant choisi de prétendre que l’employé avait démissionné, il ne pouvait valablement se défendre en tentant de démontrer l’existence de manquements qui auraient selon lui justifié le congédiement, n’eût été la démission. Le débat devait plutôt porter sur le caractère libre et volontaire de la démission.
Dans l’affaire Forget, la Cour supérieure sanctionne sévèrement les agissements de l’employeur à l’égard du haut fonctionnaire, en retenant que celui-ci a été forcé de démissionner face à la menace d’une destitution, ce qui viciait son consentement. Compte tenu des circonstances particulièrement choquantes aux yeux de la Cour supérieure, le procureur général du Québec est condamné à payer à M. Forget une somme de 209 000 $ pour la perte de salaire et avantages, une somme de 50 000 $ à titre de troubles et inconvénients, une somme de 25 000 $ à titre de dommages punitifs ainsi qu’une somme de 135 000 $ pour les honoraires extrajudiciaires encourus.
Bien que l’affaire Forget se déroule dans le contexte d’un organisme public, cette décision constitue une occasion de revenir sur les règles applicables en matière de démission libre et volontaire ainsi que sur la prudence qui devrait guider les employeurs avant de se positionner quant à la validité d’une démission.
Les faits
Monsieur Marcel Forget (ci-après « Forget ») est nommé commissaire associé aux vérifications à l’UPAC en novembre 2013 pour un mandat de cinq (5) ans. Il est notamment responsable du Bureau des enquêtes sur la probité des entreprises désirant conclure des contrats publics. Durant les quatre (4) premières années de son mandat, son rendement sera considéré comme irréprochable.
Toutefois, en novembre 2017, Forget fait l’objet d’articles de journaux mettant en doute son intégrité. À cet égard, les médias lui reprochent notamment d’avoir agi à titre de courtier en valeurs mobilières sans détenir de permis; il aurait incité d’anciens collègues policiers à investir dans une entreprise, Newtech. Ces articles écorchent son image publique et jettent un doute sur son intégrité, et ce, alors que ses fonctions exigent une conduite sans faille sur le plan de l’intégrité et de l’honnêteté.
Bien que Forget nie toutes les allégations rapportées dans les médias, ainsi que toute implication pouvant affecter son intégrité, certains hauts fonctionnaires lui expliquent que le traitement médiatique de l’affaire place le Gouvernement dans l’embarras. On lui demande de se départir de certains actifs relativement à des condos-bureaux dans une fiducie sans droit de regard, démarche qu’il a l’intention d’entreprendre rapidement afin de démontrer son intégrité.
À la suite de la parution d’un nouvel article rapportant que Forget aurait entrepris des démarches pour inciter d’anciens collègues à investir dans Newtech et le dépeignant comme le numéro 2 de l’UPAC ayant des agissements éthiquement illicites, le commissaire en poste de l’UPAC, Robert Lafrenière (ci-après « Lafrenière »), lui téléphone le matin même pour le rassurer. Cependant, un peu plus tard dans la matinée, le secrétaire général associé aux emplois supérieurs du Gouvernement du Québec téléphone à Forget et lui explique qu’il a deux choix : démissionner ou faire l’objet d’une destitution. On l’avise que sa décision doit être prise rapidement puisque le ministre de la Sécurité publique tiendra un point de presse quelques minutes plus tard pour donner la position du Gouvernement. Forget demande à consulter son supérieur, Lafrenière, avant de donner sa décision. Or, le ministre de la Sécurité publique indique publiquement quelques minutes plus tard en mêlée de presse que Forget n’est plus « l’homme de la situation » et que celui-ci « devrait en arriver à cette conclusion ». Moins d’une heure plus tard, Lafrenière annonce le départ de Forget par courriel aux employés de l’UPAC, puis aux médias par voie de communiqué. Le ministre de la Sécurité publique indique quelques minutes plus tard aux médias que Forget a remis sa démission. Ce n’est qu’après tout ce battage médiatique que Lafrenière téléphone à Forget pour lui demander de rédiger officiellement une lettre de démission, qui sera transmise quelques minutes plus tard. Forget transmet alors une lettre qu’il rédige à la hâte : « Je vous informe que, à la suite des pressions médiatiques faites à mon endroit et qui ont un impact sur l’institution qu’est l’Unité permanente anticorruption, je vous donne ma démission. »
Estimant avoir été forcé de démissionner, Forget a intenté une poursuite envers son ancien employeur, le Gouvernement, sous l’entité du procureur général, afin de réclamer plus de deux millions de dollars pour congédiement illégal.
Analyse
La Cour supérieure conclut que la démission de Forget ne résulte pas d’une décision libre et éclairée vue les circonstances dans lesquelles elle a été transmise.
Une démission obtenue sous la menace de destitution imminente, et alors qu’un salarié est placé devant le fait accompli de la voir annoncée publiquement avant même d’avoir communiqué son intention formelle à cet égard, ne peut être valide. Sur cet aspect, la Cour supérieure mentionne[2] :
« Lorsque le MSP sort publiquement en indiquant que Forget n’est plus l’homme de la situation et l’invite à quitter ses fonctions, la voie est pavée; Forget n’a plus le choix. Le Gouvernement lui retire sa confiance. Plus tard, Coiteux salue sa démission.
Face à un tel déferlement, Forget n’a plus le choix, il doit “s’exécuter”. Il signe une lettre de démission sous le choc. Il se dit assommé et “abandonné”, pour reprendre ses termes.
Au procès, il est catégorique. Il n’a pas eu le choix de démissionner, car sa démission avait déjà été annoncée. »
Ainsi, retenant le témoignage de Forget, la Cour conclut qu’il est « invraisemblable » qu’il ait voulu démissionner. En effet, elle retient que son comportement, notamment l’intention de placer ses actifs dans une fiducie sans droit de regard, de même que sa conversation avec son supérieur visant à le rassurer sur son emploi, sont totalement incompatibles avec une intention de démissionner.
La Cour ne retient pas les prétentions du procureur général du Québec indiquant que les allégations visant Forget étaient tellement graves qu’il y avait urgence d’interrompre une situation en cours par voie de destitution. En effet, elle conclut que la preuve ne soutient pas que les faits reprochés étaient de nature à motiver une destitution au sens prévu au contrat de travail de Forget, soit pour malversations, mal-administration ou faute lourde.
Par ailleurs, la Cour n’est pas plus sensible à l’argument voulant que Forget n’ait pas respecté son obligation de faire preuve d’une intégrité, d’une honnêteté, d’une prudence et d’une loyauté exemplaires, en se plaçant en situation de conflits d’intérêts potentiels, et ce, à l’insu du Gouvernement, ou encore qu’il ait fait preuve de graves manquements aux règles d’éthique et de déontologie, et d’un manque de jugement et de prudence. En effet, elle juge que les allégations rapportées par les médias ne justifiaient aucunement un tel traitement, considérant que les faits concernant Newtech remontent à de nombreuses années, et que son implication dans l’occasion d’affaires des condos-bureaux n’affectait pas son obligation d’exclusivité de service, ou autrement ses fonctions en cours et l’intégrité avec laquelle il devait les mener.
En définitive, la Cour estime que le procureur général du Québec n’aurait même pas dû tenter de démontrer l’existence de motifs de destitution. Le procureur général du Québec ne pouvait à la fois prétendre à une démission libre et volontaire tout en tentant de démontrer que des fautes graves auraient justifié la destitution de Forget[3] :
« La contestation de la demande en justice aurait dû se limiter à démontrer que la démission de Forget était libre et volontaire. Mais PGQ s’est entêté à présenter une contestation pendant des jours pour démontrer que Forget avait posé de graves gestes qui auraient pu justifier une destitution. »
Sur cet aspect, il nous semble important de souligner que la Cour retient que les motifs invoqués par l’employeur n’étaient pas fondés et n’auraient pu justifier un congédiement. La Cour reproche ainsi à l’employeur d’avoir tenté de faire une telle démonstration dans le cadre des procédures. Dans certaines circonstances, il nous apparaît qu’un employeur pourrait valablement faire valoir, à titre de moyens de défense, qu’un employé aurait été congédié pour des motifs sérieux, n’eût été sa démission dont la validité est remise question.
Calcul des dommages
La Cour accorde à Forget des dommages pour sa perte pécuniaire de 209 000 $ en salaire et avantages dont il aurait normalement bénéficié jusqu’à la fin de son contrat de travail à durée déterminée.
Estimant que le procureur général du Québec a agi d’une manière cavalière en mettant fin abruptement à son contrat de travail et que Forget subit des répercussions importantes, notamment en raison du caractère public de sa fin d’emploi, une somme de 50 000 $ est accordée pour les troubles et inconvénients
La Cour lui accorde également des dommages punitifs à hauteur de 25 000 $, estimant qu’il a été prouvé que le Gouvernement a agi en connaissance de cause des conséquences extrêmement probables que ses gestes engendreraient. Il faut noter qu’un échange de SMS particulièrement accablant entre la directrice adjointe du cabinet du premier ministre de l’époque et le directeur du cabinet du ministre de la Sécurité publique ayant eu lieu le jour de la démission de Forget avait été mis en preuve. Cette discussion indiquait qu’il fallait que le secrétaire général associé aux emplois supérieurs du Gouvernement du Québec fasse comprendre à Forget que s’il ne démissionnait pas, il serait « largué », mais le tout en sachant très bien que les limites légales ne leur permettaient pas d’en faire autant, et que si on le forçait à démissionner, il pouvait les poursuivre. Rappelons que de tels dommages punitifs ont une fonction dissuasive et punitive à la fois et sont rarement accordés dans de telles affaires.
Finalement, fait rare en la matière, la Cour considère que la ténacité de l’employeur à vouloir prouver les motifs de destitution au moyen d’allégations considérées sans fondement (soit les allégués graves manquements éthiques) constituaient de l’abus de procédure, donnant ouverture aux remboursements de la moitié des honoraires extrajudiciaires engagés par Forget.
Ce qu’il faut retenir…
L’affaire Forget rappelle les critères et les balises afin de statuer sur la validité d’une démission. Bien que les faits de cette affaire aient été assez particuliers, la notion de démission obtenue sous la menace, ou sous un consentement autrement vicié, pourra servir de cadre d’analyse pour s’assurer qu’une démission est bel et bien donnée de façon libre et éclairée. À cet effet, il importe de retenir que la démission doit toujours constituer un acte volontaire à l’initiative du salarié. Si l’employeur exerce une quelconque pression sur ce dernier, notamment par la menace de conséquences, la validité de celle-ci sera affectée, et on se retrouvera alors en situation de congédiement déguisé pouvant donner lieu l’octroi de dommages. Sachant que le caractère libre et éclairé constitue la pierre angulaire de l’analyse d’une démission, il est essentiel de porter une attention particulière aux éléments factuels susceptibles de vicier celui-ci, soit notamment l’erreur provoquée par des informations transmises par l’employeur, ou encore la crainte.
De même, l’existence d’un écrit confirmant la démission ne devrait pas être considérée comme une garantie suffisante à elle seule du caractère libre et volontaire de la démission, l’employeur devant plutôt procéder à une analyse des circonstances entourant la démission. Quels sont les véritables motifs à l’origine de la démission? L’employé a-t-il été confronté à des situations conflictuelles ou éprouvantes dans les jours précédents la communication de sa décision? Un délai de réflexion devrait-il être accordé à l’employé afin de lui permettre de s’assurer de son consentement libre et volontaire? L’employé a-t-il fait l’objet de menaces de la part d’un gestionnaire? En somme, toute démission et révocation de démission devront être reçues avec prudence et circonspection avant de conclure de façon non équivoque à la fin d’emploi d’un salarié.