Le 9 septembre dernier, le Conseil des ministres adoptait le Décret no 943-2020 concernant l’ordonnance de mesures visant à protéger la santé de la population dans la situation de pandémie de la COVID-19. Depuis le début de l’urgence sanitaire, le gouvernement a adopté plus de 52 décrets et 63 arrêtés ministériels, lesquels s’appuient notamment sur l’article 123 de la Loi sur la santé publique, RLRQ, c. S-2.2, dont les paragraphes pertinents se lisent ainsi :
123. Au cours de l’état d’urgence sanitaire, malgré toute disposition contraire, le gouvernement ou le ministre, s’il a été habilité, peut, sans délai et sans formalité, pour protéger la santé de la population :
(…)
2° ordonner la fermeture des établissements d’enseignement ou de tout autre lieu de rassemblement;
4° interdire l’accès à tout ou partie du territoire concerné ou n’en permettre l’accès qu’à certaines personnes et qu’à certaines conditions, ou ordonner, lorsqu’il n’y a pas d’autre moyen de protection, pour le temps nécessaire, l’évacuation des personnes de tout ou partie du territoire ou leur confinement et veiller, si les personnes touchées n’ont pas d’autres ressources, à leur hébergement, leur ravitaillement et leur habillement ainsi qu’à leur sécurité;
(…)
8° ordonner toute autre mesure nécessaire pour protéger la santé de la population.
Le Décret no 943-2020 présente toutefois une particularité : il ajoute notamment aux obligations des employeurs en matière de « pratiques interdites » de la manière suivante :
Qu’il soit interdit à un employeur de congédier, de suspendre ou de déplacer un salarié visé par la définition du paragraphe 10° de l’article 1 de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1), incluant le salarié visé par l’article 3 de cette loi, d’exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou des représailles ou de lui imposer toute autre sanction s’il s’absente du travail pour une période maximale de 14 jours continus et que cette absence découle du fait qu’il s’isole en application d’une recommandation ou d’une ordonnance d’une autorité de santé publique et qu’il n’est pas en mesure de travailler.
Cette mesure soulève plusieurs questions, à la fois juridiques et pratiques :
De notre point de vue, en tenant compte du libellé de l’article 123(8) de la Loi sur la santé publique, il apparaît difficile pour le gouvernement d’ajouter aux normes qui ont été en très grande partie créées en vertu d’une loi spécifique en matière d’emploi, plus précisément la Loi sur les normes du travail, sans qu’un pouvoir réglementaire ait été expressément prévu par le législateur.
Dans ces circonstances, se pose alors la question suivante : le Décret est-il ultra vires des pouvoirs conférés par l’Assemblée nationale? Sans fournir un avis juridique sur la question, elle mérite sans aucun doute un examen diligent de la part des tribunaux compétents.
Le gouvernement ne prévoit aucun mécanisme de contrôle en cas de violation alléguée de cette nouvelle interdiction : un salarié peut-il s’adresser à la CNESST pour qu’une plainte pour pratique interdite puisse éventuellement être déposée au Tribunal administratif du travail? Un employeur qui contreviendrait à cette disposition risque-t-il seulement de recevoir un constat d’infraction? Autant de questions auxquelles il faudra éventuellement répondre.
L’article 122 de la Loi sur les normes du travail prévoit déjà l’interdiction pour un employeur de congédier, de suspendre ou de déplacer un salarié, d’exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou des représailles ou encore de lui imposer toute autre sanction dans la mesure où celui-ci exerce un droit protégé par cette loi. La notion de droit protégé inclut la possibilité qu’un salarié s’absente en raison d’une maladie pour une durée maximale de 26 semaines sur une période de 12 mois. Ainsi, le Décret semble faire double emploi, dans les circonstances où une personne était atteinte de la COVID-19, avec le droit conféré aux salariés par la L.N.T.
Dans la mesure où un salarié se rend à l’étranger pendant ses vacances, qu’il doit s’isoler obligatoirement pendant 14 jours consécutifs à son retour et que l’employeur n’a pas autorisé son absence du travail pendant cette période d’isolement, cet employeur est-il privé du droit de mettre fin au lien d’emploi pour des raisons disciplinaires ou administratives?
Si un salarié qui n’est pas atteint de la COVID-19 reçoit un appel de la santé publique lui intimant de s’isoler de manière préventive pendant 14 jours, alors qu’il a eu un contact non permis en vertu des directives gouvernementales présentement en vigueur, l’employeur se retrouve-t-il alors dans l’impossibilité de prendre des mesures disciplinaires ou administratives à l’encontre du salarié?
Un employé en isolement préventif qui n’a pas la COVID-19 ou qui est asymptomatique, mais qui peut effectuer une prestation de télétravail, peut-il invoquer ne « pas être en mesure de travailler »? Par exemple, cet employé bénéficie-t-il de la protection prévue au Décret s’il ne souhaite tout simplement pas effectuer une prestation de travail à distance? Peut-il invoquer la présence d’une conjointe ou d’un conjoint à la maison pour justifier l’incapacité de travailler?
Une chose est certaine : l’imposition de pénalités par l’État ou l’introduction de demandes en justice qui mettent en cause cette nouvelle interdiction fera l’objet d’un débat devant les tribunaux considérant le nombre de questions soulevées.
Il est avisé, dans les circonstances actuelles, d’accorder une attention particulière aux politiques de l’entreprise en matière de télétravail et aux normes de comportement attendues pour assurer que les salariés effectuent une prestation effective de travail. Dans le contexte actuel, il nous apparaît raisonnable que les employeurs exigent de leurs salariés que ces derniers prennent toutes les mesures nécessaires pour éviter les sources de contagion.
Source : VigieRT, novembre 2020.