Introduction
Il est maintenant bien reconnu qu’un congédiement dit « déguisé » se caractérise par une modification unilatérale et substantielle des conditions de travail d’un salarié. Un salarié pourra alors refuser lesdites modifications et prétendre à un congédiement déguisé. Mais qu’en est-il de la situation où le salarié, sans consentir explicitement aux modifications, reste silencieux quant à ces modifications?
Le Tribunal administratif du travail (« TAT ») s’est récemment penché sur cette question. Il a déclaré qu’un salarié qui garde le silence pendant (10) dix mois quant aux modifications substantielles à ses conditions de travail est réputé avoir renoncé tacitement à contester ces changements[2]. Ainsi, une plainte sous l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (« LNT ») est irrecevable pour ce motif.
Comment le Tribunal en est-il arrivé à cette conclusion et dans quelles circonstances cette situation pourrait-elle survenir?
Mise en contexte
Le plaignant, un vice-président aux opérations et aux entrepôts, travaillait depuis environ 30 ans au sein de l’entreprise au moment du litige. En 2015, il touchait un salaire annuel de 72 800 $ et avait droit à plusieurs autres avantages de nature pécuniaire (appareils technologiques divers, automobile louée par l’employeur, carte de crédit, etc.).
Toutefois, à partir de 2014, l’entreprise fait face à de graves problèmes financiers. Conséquemment, entre le début de l’année 2015 et le mois de novembre de cette même année, les responsabilités du plaignant se sont réduites progressivement, et ses conditions de travail ont été modifiées.
Finalement, en février 2016, il est mis à pied temporairement, pour une période de six mois.
En juillet 2016, l’employeur communique de nouveau avec le plaignant et l’informe qu’il peut réintégrer son poste aux mêmes conditions que celles qu’il avait avant sa mise à pied. Il refuse de retourner au travail et conteste ensuite ce qu’il considère être un congédiement déguisé de la part de son employeur.
Le plaignant dépose donc deux plaintes en congédiement déguisé : une pour le mois de février 2016, c’est-à-dire au moment où il a été mis à pied, et une autre pour le mois de juillet 2016, où il a définitivement quitté son emploi.
La décision
Quant à la première plainte concernant la mise à pied, le Tribunal remarque que le plaignant a reconnu lui-même les difficultés financières de l’employeur. En effet, la preuve a démontré qu’il y avait eu plusieurs changements administratifs et dans les conditions de travail de nombreux salariés.
À partir du mois de mai 2015, presque toutes les tâches du plaignant lui sont retirées. On lui reprend également certains appareils technologiques. Il perd ses avantages, tels que sa voiture louée et sa carte de crédit de l’entreprise, mais maintient néanmoins le même salaire.
En se basant sur la jurisprudence des tribunaux civils en la matière, le TAT estime qu’un salarié se doit de manifester, rapidement et de façon non équivoque, son refus quant aux modifications apportées à ses conditions de travail. Autrement, il sera présumé les avoir acceptées. Le fait de continuer à travailler malgré le changement de conditions de travail permet au Tribunal de conclure que ce salarié a implicitement accepté les modifications.
En l’espèce, le TAT conclut que les modifications apportées au travail du plaignant sont substantielles, et donc, qu’il se devait d’y réagir dans un temps raisonnable. Or, plus de dix mois s’écoulent entre le retrait des tâches et la plainte. Le plaignant n’a pas pu fournir d’explication quant à ce délai. Au contraire, il a travaillé pendant tout ce temps à ces conditions, sans jamais manifester son désaccord.
Le TAT a donc conclu que par son silence, le plaignant a renoncé tacitement à contester les modifications à ses conditions de travail. Il était ainsi forclos de se plaindre.
De plus, le Tribunal ne peut pas conclure au congédiement, car les faits en l’espèce montrent clairement que la mise à pied était strictement motivée par des raisons économiques.
Conséquences de la décision
Cette décision rappelle donc que l’adage « qui ne dit mot consent » est applicable en matière de congédiement déguisé. Ainsi, un salarié doit manifester son désaccord rapidement à la suite de l’imposition des modifications. S’il en fait défaut, il ne pourra prétendre avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé.
Évidemment, chaque cas représente un cas d’espèce et devra être analysé à la lumière des faits qui lui sont propres. Par ailleurs, il n’existe malheureusement pas de délai maximal. Toutefois, plus le temps s’écoule entre l’imposition des modifications et le refus, plus il sera ardu pour un salarié d’avoir gain de cause.
Source : VigieRT, février 2020.
1 | L’auteur souhaite remercier Daphnée Legault, étudiante en droit, pour sa contribution. |
2 | Caron et Entrepôts Réal Caron ltée, 2019 QCTAT 4589. |