À l’ère du numérique, les médias sociaux constituent une fenêtre ouverte sur la vie de toutes et de tous. C’est donc sans surprise que de plus en plus d’employeurs utilisent ces outils non seulement pour « connecter » avec leurs employés, mais aussi pour les surveiller. Ce constat est d’autant plus vrai lorsque le lien de confiance entre l’employeur et l’employé ne tient qu’à un fil, plus particulièrement dans des dossiers d’absentéisme pour lésion ou maladie professionnelle.
Introduction
Certes, les médias sociaux peuvent se révéler une mine d’or pour un employeur soupçonnant un travailleur d’exercer des activités incompatibles avec ses limitations fonctionnelles, mais l’information qui s’y trouve doit être utilisée avec prudence. Des conclusions hâtives tirées grâce à la page Facebook d’un employé risquent d’être à double tranchant : c’est notamment ce que rappelle la décision Alliance des professeures et professeurs de Montréal et Commission scolaire de Montréal (Nancy Horth) [2] .
Faits
En l’espèce, la plaignante occupait un poste d’enseignante orthopédagogue pour la Commission scolaire de Montréal depuis le 21 septembre 2000. En 2006, elle est victime d’un premier accident du travail, lui causant une déchirure à l’épaule droite. Une intervention chirurgicale suivra quelques années plus tard, mais elle conservera plusieurs limitations fonctionnelles permanentes à ladite épaule. Elle devra notamment éviter les mouvements répétés de son bras droit ainsi qu’éviter de le positionner à plus de 90 degrés. Relativement à cette lésion professionnelle, elle fait l’objet d’une première filature.
Le 6 octobre 2015, la plaignante subit un nouvel accident de travail alors qu’elle effectue un arrêt d’agir sur un élève. De cet accident découlera un diagnostic de tendinite et de bursite de l’épaule droite, siège de sa lésion précédente. Plusieurs mois plus tard, elle retourne au travail en assignation temporaire, mais elle cesse peu de temps après puisque sa condition se détériore.
Alors que l’enseignante cumule un taux d’absentéisme moyen de 44 % depuis plusieurs années, l’employeur constate qu’elle est plus active qu’elle le prétend, car elle aurait indiqué sur sa page Facebook qu’elle faisait de la moto. En consultant ladite page, l’employeur y retrouve notamment une publication où l’enseignante s’exclame : « Youpi !!!! j’ai réussi mon test de moto de la SAAQ !!!!! Mon amie j’espère que tu es prête ». Plusieurs personnes la félicitent, une lui propose même une moto à vendre. À ce commentaire, elle répond : « mon cœur bat pour une Harley 883… on verra ». Une autre répond à cette publication en lui demandant : « on se planifie un road trip ? » La plaignante répond par la positive, ce qui mènera l’employeur à conclure qu’elle planifie un voyage en moto. En réaction à ces trouvailles, la Commission scolaire décide de soumettre l’enseignante à deux jours de filature, se rappelant que l’enseignante avait déjà fait l’objet d’une telle enquête lors de sa première lésion.
L’employeur est stupéfait par les images vidéo : la plaignante procède à des travaux de terrassement durant les deux jours sans signe d’inconfort ni de fatigue, le tout dans un contexte d’assignation temporaire au travail où elle devait prendre des pauses au besoin. La Commission scolaire prend donc la décision de congédier la plaignante, jugeant qu’elle a induit en erreur le médecin de l’employeur ainsi que celui de la CNESST.
Décision
L’arbitre s’est d’abord prononcé sur la recevabilité de la filature vidéo. Il en est venu à la conclusion que l’employeur n’avait pas de motifs sérieux de soumettre l’employée à une filature et qu’il existait, à l’époque, d’autres moyens moins intrusifs de vérifier la véracité des déclarations de la plaignante. En fait, l’employeur a pris sa décision à l’aide de l’information retrouvée sur la page Facebook de l’enseignante. Il est vrai qu’elle avait réussi son permis de moto, mais au moment où l’employeur a soumis la plaignante à une filature, rien ne permettait de conclure qu’elle possédait effectivement un tel véhicule : il était simplement question d’une moto à vendre. La conclusion de l’employeur selon laquelle elle prévoyait un « road trip » s’est démontrée hâtive. En fait, avant d’entreprendre une filature, l’employeur aurait facilement pu vérifier la véracité de ses conclusions. Il aurait alors constaté que non seulement elle ne possédait pas de moto, mais qu’elle détenait seulement un permis de classe 6R, c’est-à-dire un permis qui lui permettait uniquement de conduire dans le cadre d’un cours de conduite.
L’arbitre en est donc venu à la conclusion qu’au moment où l’employeur a choisi d’effectuer une filature vidéo, il détenait uniquement le taux d’absentéisme de la plaignante comme preuve valable. Par contre, le taux d’absentéisme d’un employé ne peut constituer en soi un motif raisonnable pour justifier une filature. En effet, la plaignante bénéficiait d’une présomption selon laquelle elle exerçait de bonne foi les droits qui sont prévus par la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles[3].
À la lumière de tous ces éléments, l’arbitre en est arrivé à la conclusion qu’il n’y avait pas présence d’un cumul d’éléments sérieux constituant un motif sérieux et raisonnable justifiant une filature : la preuve vidéo qui en découle ne pouvait donc pas être considérée. Faute de preuve additionnelle, l’ensemble des circonstances ne permettait pas de conclure à une rupture du lien de confiance. Le congédiement a donc été remplacé par une suspension d’un mois.
En commandant une filature vidéo hâtive, l’employeur a également commis une atteinte au droit à la vie privée de la plaignante, et ce, de manière injustifiée. Non seulement l’enseignante a été réintégrée dans son emploi, mais elle a également eu droit à des dommages-intérêts en conséquence de l’abus de droit commis par l’employeur à l’égard de son droit à la vie privée.
Commentaire
Cette décision vient donc rappeler la prudence dont doit faire preuve un employeur à l’égard de l’information qu’il peut retrouver sur la page Facebook d’un employé. La simple présence d’un doute intuitif soulevé par une publication d’un employé sur les médias sociaux ne lui permet pas d’entreprendre une filature en espérant que le résultat lui confirme de simples soupçons. L’employeur se doit de vérifier la véracité des renseignements qu’il retrouve sur les médias sociaux afin qu’ils puissent constituer un motif valable pour entreprendre une filature.
S’agissant d’une mesure particulièrement intrusive, l’arbitre réitère l’importance d’épuiser les moyens moins attentatoires avant d’entreprendre une mesure de surveillance aussi drastique qu’une filature.
Certes, cette décision rappelle la prudence dont doit faire preuve un employeur quant à l’utilisation des médias sociaux à titre de source d’information. Malgré tout, nous sommes d’avis que les employés demeurent responsables de ce qu’ils publient sur Facebook. Étant une source publique d’information dans bien des cas, le contenu des médias sociaux devrait constituer un motif valable de filature lorsqu’il permet à l’employeur de douter de l’honnêteté du travailleur.