Dans la foulée du mouvement #moiaussi, on peut se demander quel regard portent les tribunaux sur les mesures imposées par les employeurs relativement à des comportements adoptés hors travail, particulièrement lorsqu’il s’agit d’infractions à caractère sexuel. Or, même dans cette ère post #moi aussi, la réprobation sociale associée à de telles infractions ne suffit pas, à elle seule, à justifier le congédiement d’un salarié.
La décision rendue par le Tribunal administratif du travail dans l’affaire X c. Reitmans[1] nous fournit un exemple récent à cet égard. Dans cette affaire, le salarié congédié occupait les fonctions de superviseur dans un centre de distribution et était employé de Reitmans depuis 35 ans. Il a été reconnu coupable d’abus sexuel sur la fille de sa conjointe alors qu’elle avait entre 5 et 10 ans. L’employeur l’a congédié, notamment parce qu’il considérait que l’infraction était en lien avec la nature du travail. Parmi les arguments soulevés par l’employeur, on invoquait que 90 % du personnel et 95 % de la clientèle étaient composés de femmes. Par ailleurs, les employées féminines étaient majoritairement des travailleuses immigrées, ce qui les rendait particulièrement vulnérables. Enfin, pour l’employeur, les infractions étaient contraires aux valeurs de l’entreprise et incompatibles avec le statut de représentant de l’employeur du salarié, notamment eu égard à la prévention du harcèlement.
Le Tribunal s’est penché sur la portée de l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne[2]. Cette disposition interdit de congédier une personne en raison de la culpabilité à une infraction criminelle « si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ». Le fardeau de la preuve de l’employeur consistait donc à démontrer un lien entre l’infraction et l’emploi. Le Tribunal a jugé que les arguments soumis par l’employeur n’étaient que des allégations générales n’ayant fait l’objet d’aucune preuve objective. Le Tribunal a retenu notamment que les accusations n’avaient pas été diffusées publiquement et qu’aucune preuve n’avait été soumise selon laquelle la clientèle féminine aurait pu être froissée du passé judiciaire d’un employé avec qui elles n’ont aucun contact. La vulnérabilité du personnel féminin n’a pas été davantage démontrée de l’avis du Tribunal. Ce dernier a conclu que les prétentions de l’employeur faisaient appel à l’aspect socialement inacceptable des accusations plutôt qu’à un lien réel avec l’emploi. Le congédiement a donc été annulé. À noter que d’autres éléments dont nous ne traitons pas ici ont mené à la décision du Tribunal.
Cette décision illustre la difficulté de faire la démonstration d’une relation entre les infractions et l’emploi, même lorsque les accusations sont graves.
Évidemment, la situation se présente différemment lorsque le milieu de travail suppose des interactions avec des personnes mineures. Ainsi, un arbitre a maintenu le congédiement d’un agent d’intervention qui travaillait dans un centre jeunesse reconnu coupable d’attentats à la pudeur sur des mineurs[3].
On a également reconnu l’existence d’un lien avec le travail dans le cas d’un changeur dans le métro de Montréal déclaré coupable de proxénétisme à l’égard d’une victime âgée de 16 ans[4]. Il est à noter que dans ce dernier cas, l’arbitre de grief a aussi retenu que l’infraction commise risquait d’entacher la confiance du public envers les services offerts par la Société de transport de Montréal.
Ce qu’il faut retenir de ces décisions
Il ressort de ce qui précède que la seule réprobation sociale ne suffit pas à démontrer un lien entre l’infraction commise et l’emploi. Ce lien doit découler d’une démonstration objective, fondée sur la nature des infractions, la nature des services offerts, les caractéristiques de la clientèle et les risques que pourraient présenter de telles infractions pour la réputation de l’employeur. Si cette démonstration n’est pas faite, la protection accordée par l’article 18.2 de la Charte est absolue et toute mesure prise par l’employeur est alors susceptible d’être invalidée.
Me Marie-Josée Hétu, CRIA, est avocate et associée chez Lavery. Elle concentre sa pratique sur le droit du travail, les relations du travail et la santé et sécurité du travail. On peut la joindre par courriel à mjhetu@lavery.ca ou par téléphone au 819 373-4274.
Site web : www.lavery.ca
- 2014EXPT-33, D.T.E. 2014T-11.
- RLRQ, chapitre C-12.
- Centre jeunesse X c. Syndicat des employés du Centre jeunesse X, D.T.E. 2014T-11.
- Société de transport de Montréal c. Syndicat des chauffeurs d’autobus, opérateurs de métro et employés de services connexes au transport de la STM, selon locale 1983 (SCFP), 2017 QCTA 630.