Introduction
Il a déjà été établi par la jurisprudence[2] que le suivi de la performance d’un employé ne constitue pas du harcèlement psychologique. Un employeur est en droit de s’attendre à ce qu’un employé ait une performance à la hauteur de ses attentes. À défaut, l’intervention d’un employeur fait partie de ses droits de gérance, et ce, même s’il peut s’agir d’un moment difficile pour l’employé, à ne pas confondre avec du harcèlement psychologique.
Dans cette même veine, il est légitime de se demander si l’intervention répétée d’un employeur auprès d’un employé qui rencontre des difficultés à répondre à ses attentes peut ouvrir la porte à une plainte de congédiement déguisé.
Le congédiement déguisé est une notion différente du congédiement fait sans cause juste et suffisante. Contrairement à celui-ci, le congédiement déguisé n’entraîne pas, du moins officiellement, une rupture du lien d’emploi. Il s’interprète plutôt de décisions ou de gestes posés par l’employeur à l’égard d’un employé et grâce auxquels l’employeur signale son intention de modifier fondamentalement ou substantiellement la relation d’emploi. Dans l’affaire Farber c. Cie Trust Royal [3], la Cour suprême du Canada a défini la notion de congédiement déguisé dans les termes suivants :
« [33] […] Ainsi, il a été établi dans nombre de décisions canadiennes de common law que le fait pour un employeur d’imposer unilatéralement une modification fondamentale ou substantielle au contrat de travail de son employé, laquelle contrevient aux termes du contrat, constitue un bris fondamental de ce contrat, entraînant sa résiliation et permettant à l’employé de considérer qu’il a fait l’objet d’un congédiement déguisé. […] »
Il est compréhensible que, dans le cadre d’une intervention structurée d’un employeur pour gérer un problème de performance d’un employé, une gradation des interventions s’avère nécessaire puisque, à l’issue de celles-ci, il est possible qu’un employé perde son emploi. Dans ce contexte, l’employé peut évidemment se sentir mal à l’aise et craindre une fin d’emploi.
Ainsi, pour revenir à notre question, une intervention répétée de l’employeur auprès de son employé visant à signaler son insatisfaction à l’égard de la prestation de travail peut-elle justifier une plainte de congédiement déguisé?
La récente décision Riopel et Caisse populaire St-Martin de Laval/Caisse Desjardins de St Martin de Laval en est un exemple.Les faits
La plaignante travaillait au sein du Mouvement Desjardins depuis mars 1978. Entre 2002 et jusqu’aux faits menant à la décision du Tribunal, la plaignante occupait le poste de conseillère en finances personnelles. À ce titre, il faisait partie de ses responsabilités de gérer des dossiers d’épargnes et hypothécaires. Le portefeuille géré par la plaignante jusqu’en 2013 était constitué à 80 % de produits d’épargnes. Le crédit, tel que les produits hypothécaires, n’était qu’accessoire aux besoins de ses clients. Entre 2002 et 2013, la plaignante reçoit plusieurs prix de reconnaissance pour ses bons résultats de vente de produits d’épargnes.
En 2013, la plaignante relève d’un nouveau patron qui occupe le poste de directeur pour l’épargne et le crédit. Il met en place une nouvelle stratégie d’affaire dont l’objectif est de permettre d’augmenter le nombre de dossiers hypothécaires traités par la Caisse et de mettre fin à la décroissance des ventes de produits de crédit. À cette stratégie s’ajoute un plan d’action auprès des employés, notamment avec des objectifs de services.
Le plan d’action porte ses fruits dès l’entrée en fonction de ce nouveau directeur. Puisque la conseillère dédiée principalement aux dossiers de crédits ne peut plus répondre à la demande, il demande à son équipe de conseillers en finances personnelles de s’occuper du surplus de dossiers. La plaignante fait partie de cette équipe. Toutefois, elle refuse à plusieurs reprises et pour diverses raisons de traiter les dossiers de crédit notamment, car il n’y avait pas de dossiers d’épargne qui y étaient assortis.
Malgré plusieurs rencontres de coaching et de suivi avec son supérieur, elle n’atteint pas ses objectifs de rendement en 2014 ni en 2015. Les chiffres démontrent que la plaignante traite deux fois moins de dossiers de crédit que les autres conseillers bien que le volume de dossiers ne le justifie pas. La plaignante connaît aussi d’autres difficultés notamment ses interactions avec les adjointes, le recours constant aux collègues de travail ainsi que des plaintes de fournisseurs et de clients insatisfaits.
Le 14 août 2015, après plusieurs rencontres infructueuses, le directeur remet à la plaignante une lettre d’insatisfaction quant à sa prestation de travail et aux attentes de l’employeur. La lettre identifie ses lacunes persistantes qu’elle doit corriger.
La plaignante, qui se sent alors congédiée, s’absente pour cause de maladie pendant 29 mois, jusqu’au 16 janvier 2018, et dépose une plainte de congédiement déguisé en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail.
La décision
Le Tribunal administratif du travail a rejeté la plainte de congédiement déguisé.
Le Tribunal a décidé que les changements intervenus dans les tâches de travail de la plaignante, à la suite de l’arrivée du nouveau gestionnaire, se situent dans le cadre normal de l’exercice des pouvoirs de gestion de l’employeur.
Le changement dans la proportion des dossiers d’épargne comparativement à ceux de crédit s’inscrivait dans le cadre d’une demande légitime faite par l’employeur. Les tâches de crédit faisaient partie des fonctions de la plaignante au même titre que les épargnes.
Le Tribunal n’a pas décelé des interventions du directeur auprès de la plaignante une intention de mettre fin à son emploi. D’après le Tribunal, c’est plutôt la plaignante qui a mal interprété ses interventions, dont l’avis écrit en août 2015, alors que celles-ci s’inscrivaient dans le cadre normal de la gestion de l’employeur. À cet effet, le Tribunal a écrit ce qui suit :
« [57] À la lumière de la preuve, il ne fait aucun doute que la plaignante avait des lacunes à corriger au niveau de son rendement et que les rencontres de coaching n’ont pas été suffisantes pour rétablir la situation. Elle avait également des efforts à faire dans le cadre de la relation avec ses adjointes qui sont venues à tour de rôle expliquer les difficultés éprouvées et les plaintes qu’elles ont adressées à monsieur Oueldi. Dans les circonstances, l’Employeur avait le droit, voire même le devoir, de lui signifier clairement ses attentes et de lui donner du temps pour se réajuster.
[58] Or, dès que celui-ci a cherché à l’en informer, la plaignante a interprété les actions de ce dernier comme équivalant à un congédiement, alors que rien ne supporte cette conclusion. Elle n’a pas démontré que la Caisse avait manifesté l’intention de ne plus être lié à elle par le contrat de travail, bien au contraire. De plus, rien ne permet de conclure qu’elle a subi une modification substantielle à ses conditions de travail. De toute façon, ce changement dont elle parle survient en 2014 et elle ne s’en est pas plainte de façon contemporaine à sa survenance.
[59] Lorsqu’elle reçoit la lettre du 14 août 2015, il est évident qu’elle appréhende la suite, car elle n’est pas sans savoir que son rendement n’est pas au rendez-vous depuis plus d’un an. Mais cela ne transforme pas cette annonce en congédiement. »
[Nos soulignés]
C’est ainsi que le Tribunal a rejeté la plainte de congédiement déguisé de la plaignante. Elle n’a pas démontré que l’employeur a fondamentalement ou substantiellement modifié ses conditions de travail. Les changements aux tâches et les attentes de l’employeur à l’égard de sa prestation de travail étaient légitimes et faisaient partie des fonctions reliées à son poste.
Le commentaire de l’auteur
La décision du Tribunal administratif du travail rappelle que le suivi de la performance d’un employé fait partie des pouvoirs de gestion d’un employeur et ne constitue pas une forme de congédiement déguisé.
Cette décision rappelle qu’il est important pour les employeurs de bien préparer et de documenter préférablement par écrit les interventions qui sont faites auprès des employés dans le cadre de rencontres tenues quant à la performance au travail. « Les paroles s’envolent et les écrits restent. » C’est aussi une question de crédibilité et de preuve.
Par ailleurs, les employeurs devraient être prudents lorsque vient le temps de modifier les tâches d’un employé. Une modification fondamentale ou substantielle des conditions de travail d’un employé, même si celles-ci peuvent être justifiées par la nécessité de s’ajuster à la réalité des besoins d’affaires de l’entreprise, pourrait ouvrir la porte à un congédiement déguisé. En l’espèce, les modifications survenues aux tâches de la plaignante s’inscrivaient parmi les fonctions qui lui étaient déjà attribuées dans son poste de travail de sorte que l’employeur n’avait entrepris aucune modification fondamentale ni substantielle à ses conditions de travail. Toutefois, chaque cas est un cas d’espèce et doit être analysé en conséquence.
Conclusion
Un employeur est en droit de s’attendre à ce qu’un employé ait une performance à la hauteur de ses attentes. À défaut, l’intervention d’un employeur fait partie de ses droits de gérance, et ce, même s’il peut s’agir d’un moment difficile qu’il ne faut pas confondre avec une tentative de congédiement déguisé ni du harcèlement psychologique.