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Une pièce s’ajoute au casse-tête de l’accommodement!

La question de la rémunération d’un membre du personnel absent du travail pendant la recherche d’un accommodement reste floue. Est-ce qu’un membre du personnel incapable d’effectuer toutes les tâches de son emploi normal en raison de limitations fonctionnelles doit être rémunéré par son employeur pendant la recherche d’une solution de remplacement? La suspension du traitement financier constitue-t-elle une mesure discriminatoire? La jurisprudence sur le sujet est limitée et divisée.

19 octobre 2016
Janie-Pier Joyal-Villiard, CRIA

Le 2 août dernier, l’arbitre a rendu une décision dans l’affaire Union des employés et employées de service, section locale 800 et Les industries de maintenance Empire[1]. Il a déterminé qu’un membre du personnel a le droit d’être rémunéré pendant le processus de recherche d’accommodement entrepris par son employeur. Afin de comprendre le raisonnement de l’arbitre, un bref rappel des faits s’impose.

Le plaignant occupe un poste de préposé à l’entretien ménager, travaux lourds (changements des poubelles et recyclage), à temps partiel. Il travaille habituellement deux jours par semaine et est attitré à l’entretien ménager d’un centre commercial. Lors d’un quart de travail, sa supérieure lui demande de faire le ménage de la foire alimentaire, ce qui implique de monter et de descendre des chaises. Alléguant que cette tâche lui occasionne de sérieux maux de dos, le travailleur refuse de l’effectuer. Sa supérieure accepte exceptionnellement, mais lui demande de fournir un certificat médical confirmant cette limitation.

Dans les jours suivants, le plaignant fournit un certificat médical indiquant des diagnostics de scoliose et de dorsalgie, sans aucune limitation. Le week-end suivant, le travailleur effectue son travail, mais n’a pas à s’occuper des chaises. Par la suite, l’employeur retire le plaignant du travail sans rémunération en raison de ses obligations en matière de protection de la santé et de la sécurité du travailleur. Il demande également des précisions au médecin quant aux restrictions médicales du plaignant. Deux semaines plus tard, le médecin précise que le travailleur ne peut pas monter ni descendre de chaises. Quinze jours plus tard, l’employeur achemine au travailleur demande d’autorisation d’accès à son dossier médical. Quelques semaines plus tard, l’employeur demande également au médecin traitant de préciser quelles tâches peuvent être effectuées par le plaignant en lui acheminant une liste des tâches. Le médecin répond à cette demande deux mois après le retrait du plaignant de son milieu de travail. À la suite de la réception de ce document, l’employeur a accommodé le plaignant : il a repris son poste avec une modification de certaines tâches. Dorénavant, on ne lui demandera plus de monter ni de descendre de chaises.

Le travailleur a contesté la décision de l’employeur de le retirer sans solde de son travail pour 14 quarts de travail ainsi que son refus de l’accommoder à la suite de la présentation d’un certificat médical.

Lors de l’audience, l’employeur a reconnu que le plaignant était atteint d’un handicap. Avant d’aborder la question de la rémunération, l’arbitre devait déterminer si la mesure prise par l’employeur, soit le retrait du travail, constituait une décision discriminatoire au sens de la Charte des droits et libertés de la personne[2] (ci-après la « Charte »). Afin de répondre à cette question, l’arbitre se réfère à divers principes développés par la Cour suprême du Canada, notamment l’affaire Meiorin[3]. Il évalue donc si la décision de l’employeur respecte le test de l’exigence professionnelle justifiée.

La première étape de ce test consiste à déterminer si l’employeur a pris la décision de retirer le plaignant de son travail dans un but rationnel. Cette étape ne pose aucun problème puisque la décision a été prise afin de respecter ses obligations légales en matière de santé et de sécurité du travail.

L’étape suivante consiste à vérifier si la décision est raisonnablement nécessaire pour réaliser le but légitime lié au travail. Il s’agit de déterminer si l’employeur était réellement incapable de composer avec la situation sans contrainte excessive. L’arbitre conclut que l’employeur n’a pas respecté cette étape puisqu’il n’a pas démontré en quoi il s’agissait d’une contrainte excessive de maintenir le plaignant dans son emploi en adaptant ses tâches. Pour en arriver à cette conclusion, il a pris en considération le fait qu’à la suite du dépôt de son premier certificat médical, le travailleur a continué à travailler en faisant seulement les tâches liées aux poubelles et au recyclage et n’avait pas à monter ni à descendre de chaises. Il conclut donc que l’employeur pouvait adapter l’emploi pendant l’évaluation des limitations fonctionnelles et des tâches compatibles avec celles-ci.

Au surplus, l’arbitre souligne le temps pris par l’employeur pour demander l’accès au dossier médical du plaignant alors que celui-ci était privé de salaire. En somme, il conclut que l’employeur n’a pas été diligent dans le traitement du dossier et n’a pas fait de réels efforts d’accommodement. Il souligne que l’employeur aurait pu faire preuve de souplesse afin de maintenir en poste le travailleur, et ce, sans contrainte excessive.

Par ailleurs, l’arbitre se prononce sur un argument de l’employeur quant à la rémunération du plaignant pendant le processus de recherche d’accommodement. Selon lui, un salarié devrait être rémunéré pendant le processus en question, et ce, même s’il ne travaille pas. L’employeur plaidait que la perte salariale dans ce contexte était la « concession » que devait faire le travailleur pour que son poste de travail soit adapté à sa condition personnelle. Selon l’arbitre, la protection offerte par les chartes semble incompatible avec une notion de coûts ou de frais qui en découle. Bien que ces protections constitutionnelles exigent une collaboration de la part du travailleur, l’arbitre conclut que ce dernier n’a pas à en assumer les conséquences financières. Il nuance toutefois ses propos en imputant une « faute » au plaignant et refuse une partie de sa réclamation. En effet, il conclut que le délai de deux mois entre la réception du premier certificat médical et le retour au travail est en partie imputable au plaignant, puisque ce dernier avait laissé s’écouler deux semaines avant de retourner l’autorisation d’accès à son dossier médical à l’employeur. Il estime que le plaignant a tardé à réagir à la suite de la demande de l’employeur et lui accorde donc un remboursement de seulement 10 jours au lieu des 14 réclamés.[4]

Sur ce dernier point, la décision de l’arbitre entre en contradiction avec celle d’un autre arbitre rendue en 2007 dans l’affaire Syndicat des professionnelles et professionnels en soin de santé du CHUM (FIQ) et Centre hospitalier de l’Université de Montréal[5]. Dans cette affaire, l’employeur avait procédé à un processus de recherche d’accommodement pour une salariée atteinte de limitations fonctionnelles. Il avait alors décidé de ne pas rémunérer la salariée absente du travail puisque celle-ci n’était plus invalide au sens de la convention collective, bien que toujours incapable de fournir une prestation de travail. L’arbitre devait déterminer si le fait que l’employeur n’ait pas tenté de trouver un « accommodement financier » pendant le processus de recherche d’accommodement constituait une mesure discriminatoire. Après analyse de la situation, il a conclu que la perte salariale ne constituait pas une forme de discrimination. En effet, il retient que, de manière générale, une personne qui n’offre aucune prestation de travail ne reçoit pas de rémunération. Comme la salariée n’était plus invalide au sens de la convention collective (donc non admissible à des prestations d’assurance salaire), mais qu’elle n’était toujours pas en mesure de fournir une prestation de travail en raison de limitations fonctionnelles, elle ne se retrouvait dans aucune situation lui permettant de recevoir un salaire sans fournir de prestation de travail, comme pendant une période de congé annuel. Pour l’arbitre, afin qu’un membre du personnel qui ne travaille pas puisse recevoir une rémunération, il doit exister une disposition de la convention collective qui le prévoit, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Ainsi, la question de la rémunération pendant un processus de recherche d’accommodement est traitée différemment selon l’arbitre. Elle reste donc ouverte, et il sera intéressant de voir comment les arbitres l’étudieront au cours des prochaines années.

Source : VigieRT, octobre 2016.


1 2016 CanLII 48831 (T.A.), Denis Nadeau, arbitre.
2 RLRQ chapitre C-12
3 Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3
4 Préc. note 1, par. 56
5 D.T.E. 2007T-84 (T.A.), André Cournoyer, arbitre.

Author
Janie-Pier Joyal-Villiard, CRIA Avocate associée Monette Barakett Avocats S.E.N.C.
Me Janie-Pier Joyal est diplômée de l’Université de Montréal. Au cours de ses études en droit, elle a participé à un échange étudiant avec l’Université Jean Moulin Lyon III, en France, où elle a notamment étudié les bases du droit du travail français. Préalablement à ses études en droit, Me Joyal a terminé un baccalauréat en relations industrielles. Cette formation lui a permis d’acquérir une expérience en relations du travail et en ressources humaines au sein du réseau de la santé et auprès de diverses entreprises privées. Me Joyal travaille principalement dans le domaine des relations du travail et de la santé-sécurité au travail. Elle participe à la préparation de dossiers litigieux, conseille les gestionnaires en matière de relations de travail et de santé-sécurité au travail et les soutient quant à la rédaction de diverses politiques de gestion. Elle plaide régulièrement devant les tribunaux administratifs, notamment le Tribunal administratif du travail, en matière de santé et de sécurité au travail et de relations de travail ainsi qu’en arbitrage de griefs.