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L’obésité, s’agit-il d’un motif de discrimination à l’embauche?

Il est désormais bien admis qu’un processus de dotation doit être exempt de discrimination. Ainsi, les employeurs s’assurent, ou devraient s’assurer, que leurs questionnaires à l’embauche, leurs processus d’entrevue et même les examens médicaux qu’ils font passer aux candidats sont exempts de toutes questions reliées à un motif prohibé à la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12 (ci-après « Charte ») à moins qu’il n’y ait un lien avec l’emploi.

23 septembre 2015
Valérie Leroux, CRHA, et Mélanie Morin, CRHA

Alors qu’en 2014, 20,2 % des Canadiens se disaient obèses (18,2 % au Québec)[1] et que cette tendance ne devrait pas aller en diminuant[2], nous pouvons nous demander si nous ne verrons pas de plus en plus de cas de discrimination alléguée en lien avec l’obésité.

Quelques rappels

Le « handicap »
Se penchant sur la question de ce que constitue un handicap, la Cour suprême a retenu une approche multidimensionnelle et une interprétation large pour conclure qu’un handicap peut être perçu ou réel et qu’une personne touchée peut n’avoir aucune limitation dans la vie courante sauf celles qui sont créées par le préjudice et les stéréotypes. Ainsi :

Les tribunaux auront donc à tenir compte non seulement de la condition biomédicale de l’individu, mais aussi des circonstances dans lesquelles une distinction est faite. Dans le cadre de l’acte reproché à un employeur, les tribunaux doivent se demander, entre autres, si une affection réelle ou perçue engendre pour l’individu [TRADUCTION] « la perte ou la diminution des possibilités de participer à la vie collective au même titre que les autres » : […]

[…] la cause et l’origine du handicap sont sans importance. De même, une distinction fondée sur la possibilité réelle ou perçue que l’individu puisse développer un handicap à l’avenir est prohibée par la Charte.[3]

Ainsi, il suffit donc que la personne contre qui la Charte est invoquée ait cru à l’existence d’une déficience physique pour considérer être en présence d’un handicap au sens de cette loi[4]. Les tribunaux n’ont par ailleurs pas hésité à conclure que l’obésité est englobée par cette large définition[5].

La « discrimination »
Le handicap étant l’un des motifs prohibés de discrimination prévus à la Charte, il va de soi qu’un employeur ne peut tenir compte de l’obésité dans son processus d’embauche[6], à moins que l’absence d’obésité soit une exigence professionnelle justifiée[7].

Les tribunaux ont élaboré au fil du temps un test à deux volets pour déterminer la discrimination[8]. La première étape consiste, pour la personne se disant victime de discrimination, à démontrer :

  1. L’existence d’une distinction, d’une exclusion ou d’une préférence;
  2. Que le phénomène en question est fondé sur l’un des motifs prohibés prévus à la Charte;
  3. Qu’il a pour effet de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne.

Lorsque ces trois éléments sont établis, il y a alors discrimination prima facie[9].

La seconde étape consiste, pour le défendeur, à justifier sa décision ou sa conduite en invoquant les exemptions prévues à la Charte. S’il échoue, le tribunal conclura alors à l’existence d’une discrimination.

La Charte prévoit qu’une « distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités requises par un emploi »[10] (ce qu’on appelle communément une exigence professionnelle justifiée) est réputée non discriminatoire. Pour arriver à démontrer une telle exigence professionnelle justifiée, l’employeur devra établir :

  1. Qu’il a adopté la norme ou l’exigence contestée dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;
  2. Que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail (il faut alors tenir compte des diverses manières permettant de composer avec les capacités d’un individu – l’obligation d’accommodement).[11]

Illustrations

Dans l’affaire Turner c. Agence des services frontaliers[12], le tribunal canadien des droits de la personne a eu à considérer le cas d’un agent frontalier saisonnier s’étant vu exclure d’un concours pour un poste permanent, alors que le critère d’exclusion invoqué visait plusieurs autres candidats, il fut le seul à se le voir appliquer.

La preuve a révélé que le plaignant était âgé, noir et obèse, et que, malgré ses nombreuses évaluations positives obtenues par le passé, son supérieur avait transmis de manière concomitante au concours un long courriel à ses supérieurs dénonçant sa paresse.

Cette affaire est intéressante, car elle s’attarde à une discrimination insidieuse, soit du même ordre que le serait une question particulière posée sur un motif prohibé. Elle résulte d’une première impression ou de préjugés, à l’instar par exemple d’une discrimination fondée sur le sexe ou l’origine ethnique.

Dans la plupart des cas semblables, la preuve du plaignant est circonstancielle et tend à démontrer qu’il est qualifié pour l’emploi, qu’il n’a pas été embauché et qu’une personne qui n’est pas plus qualifiée que lui, mais qui ne présente pas les caractéristiques sur lesquelles il fonde sa plainte, a obtenu le poste.

Cette affaire est aussi intéressante dans la mesure où elle traite du concept de déficience perçue. En effet, être obèse ne signifie pas nécessairement qu’une personne ne sera pas en mesure d’accomplir la totalité de ses fonctions. Pourtant, dans cette affaire, le superviseur du plaignant avait une perception stéréotypée de cet employé en raison notamment de son obésité, à savoir qu’il était paresseux.

Plus récemment, dans l’affaire Bathium Canada[13], le tribunal des droits de la personne a aussi eu à s’intéresser à cette question. Le plaignant a posé sa candidature à un poste d’opérateur comportant la fabrication de produits, leur manipulation, leur entreposage et l’inspection de leur qualité.

Après la première entrevue, le plaignant se soumet à un examen médical visant à valider sa capacité à exécuter le travail. Or, le certificat médical reçu par l’employeur énonçait que l’état de santé du plaignant était excellent (et qu’il était donc en mesure d’accomplir le travail), tout en notant qu’il était atteint d’obésité morbide. Sa candidature n’ayant pas été retenue par la suite, le candidat en question a déposé une plainte pour discrimination.

À l’audience, plusieurs admissions ont été faites, dont le fait que le refus d’embauche n’était en lien ni avec les résultats de l’examen médical, ni avec l’état de santé du plaignant. Malgré tout, le tribunal a retenu la responsabilité de l’employeur, le condamnant à payer 2 000 $ à titre de dommages moraux pour la raison suivante :

[66] […] Bathium est responsable des gestes posés par la Clinique médicale Racicot dans l’exécution de ses services. En effet, le seul fait par ce représentant de tenir compte de l’« obésité morbide », un handicap perçu, suffit pour générer la responsabilité. […]

Conclusions

Dans le contexte actuel, il est raisonnable de penser que la tendance à l’augmentation du poids de la population ne s’atténuera pas.

Un employeur avisé devrait prendre acte de cet état de fait et s’assurer que ses processus de dotation sont exempts de biais associés à cet état, à moins d’être en mesure de démontrer que l’absence d’obésité constitue une exigence professionnelle justifiée.

Cela passe évidemment par la révision des questionnaires d’embauche, des éléments vérifiés par les examens médicaux, mais aussi par la formation et l’éducation du personnel impliqué dans les processus de dotation, entre autres.

Source : VigieRT, septembre 2015.


1 Statistique Canada, Embonpoint et obésité chez les adultes (mesures autodéclarées), 2014 (http://www.statcan.gc.ca/pub/82-625-x/2015001/article/14185-fra.htm).
2 Twells, Laurie K. et collaborateurs (2014). Current and predicted prevalence of obesity in Canada: a trend analysis. Canadian Medical Association, 2(1), E18-E26.
3 Québec (C.D.P.D.J.) c. Montréal (Ville de), [2000] 1 R.C.S. 665, à la p. 700.
4 Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur du Québec (SIIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, 2012 QCCA 1867.
5 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Bathium Canada inc., 2015 QCTDP 13; Québec (C.D.P.D.J.) c. Montréal (Ville de), [2000] 1 R.C.S. 665. Voir aussi Turner c. Agence des services frontaliers du Canada, 2014 TCDP 10.
6 Articles 16 et 18.1 de la Charte.
7 Article 20 de la Charte.
8 Notamment : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39; Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur du Québec (SIIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, 2012 QCCA 1867; Québec (C.D.P.D.J.) c. Montréal (Ville de), [2000] 1 R.C.S. 665.
9 Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39.
10 Article 20 de la Charte.
11 Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur du Québec (SIIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, 2012 QCCA 1867.
12 Turner c. Agence des services frontaliers du Canada, 2014 TCDP 10.
13 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Bathium Canada inc., 2015 QCTDP 13.

Valérie Leroux, CRHA, et Mélanie Morin, CRHA