En effet, depuis le 20 avril dernier, la CSST a modifié deux de ses politiques. La première porte sur la fin du droit à l’indemnité de remplacement du revenu (ci-après « IRR ») des travailleurs dont la lésion professionnelle est consolidée sans limitations fonctionnelles, et la deuxième porte sur le droit à l’assistance médicale. Voyons les grandes lignes de ces politiques et leur incidence sur les coûts d’un dossier.
1. Le droit à l’indemnité de remplacement du revenu
Par la mise à jour de sa politique, il semble que la CSST veuille se conformer à divers jugements, notamment à la décision rendue par la Cour supérieure et confirmée par la Cour d’appel dans Société canadienne des postes c. Commission des lésions professionnelles[1].
Dans cette décision, la Cour d’appel a décidé qu’« il était raisonnable de conclure que la date à compter de laquelle [la travailleuse] était redevenue capable d’exercer son emploi coïncidait avec celle de son retour au travail ». Ainsi, en vertu de l’article 57 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (ci-après, la « LATMP »), la Cour concluait que le droit à l’IRR prend fin lorsque le travailleur redevient capable d’exercer son emploi. Conséquemment, la date de fin des IRR correspond au moment où ce dernier est avisé qu’il ne conserve aucune limitation fonctionnelle ni atteinte permanente, soit à la date de la décision de capacité de retour au travail émise par la CSST.
En pratique, lorsqu’un employeur contestait un rapport médical final et que le Bureau d’évaluation médicale (ci-après, le « BEM ») rendait un avis confirmant une consolidation rétroactive sans limitations fonctionnelles, la CSST avait l’habitude de rendre une décision indiquant que le travailleur était « capable rétroactivement » d’occuper son emploi. La CSST déclarait aussi que les IRR versées entre la date de consolidation du rapport final et la date rétroactive retenue par le BEM avaient été perçues de bonne foi et par conséquent, les prestations reçues entre les deux dates étaient qualifiées de surpayées non recouvrables. Qui plus est, elles n’étaient pas imputées au dossier de l’employeur.
Par la modification de sa politique, la CSST estime dorénavant que les IRR versées entre la date de consolidation médicale et la date de la prise de connaissance par le travailleur de sa capacité à rependre son emploi seront versées avec droit et conséquemment, elles demeurent imputées au dossier de l’employeur. Autrement dit, les décisions n’auront plus de portée rétroactive, et toutes les prestations seront imputées au dossier financier de l’employeur.
Ainsi, en l’absence de contestation de la décision de capacité, l’employeur verra son dossier financier imputé des coûts du versement des IRR jusqu’à la date de la décision de capacité, peu importe la date de consolidation ou l’absence de séquelles.
Qu’adviendra-t-il des dossiers litigieux dans lesquels l’employeur conteste la date de consolidation, la date de capacité et l’existence de limitations fonctionnelles? Dans les jours suivant la mise en vigueur de ces nouvelles politiques, plusieurs questions se posaient, notamment quant à savoir si, dans le cadre d’une entente ou d’une décision faisant rétroagir la date de capacité, la CSST réclamerait l’IRR versée au travailleur.
En date des présentes, il appert qu’à la suite d’un accord ou d’un jugement déterminant que le travailleur n’aurait pas dû bénéficier de la prestation, la CSST ne récupèrera pas l’IRR versée « sans droit » au travailleur. Cette application de la politique semble logique, puisqu’elle est conforme à l’article 363 LATMP[3] qui prévoit que l’IRR perçue de bonne foi ne peut être recouvrée par la CSST. L’indemnité de décès et les prestations versées dans le cadre d’un plan individualisé de réadaptation ne seront également pas recouvrées par la CSST.
La situation sera toutefois différente pour les frais d’assistance médicale.
2. Le droit à l’assistance médicale
La LATMP prévoit qu’un travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à l’assistance médicale requise. La loi prévoit également ce qu’est l’assistance médicale. Il s’agit notamment des services professionnels de la santé, des divers traitements fournis par un établissement de santé, des médicaments, des prothèses et autres[4].
La nouvelle politique de la CSST concerne le droit à l’assistance médicale, plus précisément la fin de ce droit. Selon la règle générale, lorsque la lésion d’un travailleur est consolidée sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle par son médecin traitant (rapport médical final), le droit à l’assistance médicale prend fin à la date de la consolidation médicale. En effet, selon la CSST, lorsqu’une lésion est consolidée sans séquelle, le travailleur est « guéri » et il n’a donc plus besoin de soins ou de traitements.
Dans sa politique, la CSST prévoit que lorsque la date de consolidation et l’absence de limitations fonctionnelles sont déterminées à la suite d’un avis du BEM ou lorsque l’absence de séquelles est connue ultérieurement à la date de consolidation, le droit à l’assistance médicale prend fin à la date à laquelle la CSST en informe le travailleur.
En effet, depuis l’entrée en vigueur de cette nouvelle politique, la CSST rend dorénavant une nouvelle décision. En plus de la décision de capacité, la CSST rend également une décision distincte portant sur le droit à l’assistance médicale. Ainsi, en cas de processus du BEM portant sur la date de consolidation, les employeurs doivent maintenant contester non seulement la décision portant sur la date de capacité, mais également celle sur la fin du droit à l’assistance médicale.
Par l’effet de cette nouvelle décision et en l’absence de litige, les frais liés à l’assistance médicale seront versés au travailleur et imputés au dossier de l’employeur jusqu’à la date de cette décision.
Or, la même question se pose. Qu’adviendra-t-il des dossiers litigieux et des conciliations? La CSST réclamera-t-elle les frais d’assistance médicale versés postérieurement à une date de consolidation et de capacité fixée rétroactivement? Pour certains frais, la réponse est oui.
Ainsi, dans le cas où une décision de la CLP (y compris un accord) aurait pour effet de déclarer qu’un travailleur n’aurait pas dû bénéficier de certaines prestations d’assistance médicale ainsi que du remboursement des frais de déplacement et de séjour en lien avec celles-ci, la CSST estimera qu’ils ont été reçus sans droit et recouvrera auprès du travailleur les sommes versées. Conséquemment, les frais suivants seront réclamés au travailleur par la CSST[5] :
- Frais des médecins désengagés de la RAMQ;
- Frais des pharmaciens, des dentistes et des optométristes;
- Les soins et les traitements reçus à l’extérieur d’un établissement de santé;
- Les médicaments et les prothèses;
- Les frais de déplacement;
- Les frais de physiothérapie et d’ergothérapie lorsque la clinique n’a pas d’entente avec la CSST;
- Les frais d’imageries médicales faites au privé.
La CSST enverra donc une décision au travailleur afin de lui réclamer ces frais.
Conclusion
Ces nouvelles politiques de la CSST ont donc une incidence importante sur le dossier financier des employeurs, mais également sur le travailleur qui pourrait être contraint de rembourser des sommes considérables à la CSST en cas de jugement lui étant défavorable.
Les conciliations de dossier portant sur la date de consolidation, la date de capacité et l’existence de limitations fonctionnelles seront également affectées. Il sera maintenant inexact de dire à un travailleur que la rétroaction de la date de consolidation de sa lésion n’a aucun effet pour lui. Les employeurs devront possiblement être enclins à rembourser au nom du travailleur les frais d’assistance médicale afin d’économiser sur le coût des IRR pour avoir des ententes portant sur les dates de consolidation et de capacité.
Et que feront les juges de la CLP face à ces nouvelles politiques? Ces derniers ne sont pas liés par les politiques de la CSST, mais iront-ils dans le même sens que la décision Morissette (précitée) rendue par la Cour d’appel du Québec?
Plusieurs questions et inquiétudes financières émanent de ces nouvelles politiques de la CSST. Les prochains mois permettront aux employeurs de mieux en connaître les conséquences. Toutefois, les conciliations quasi quotidiennes des dossiers portant sur une date de consolidation seront sans aucun doute plus ardues. Ces politiques auront peut-être pour effet de judiciariser davantage les dossiers en la matière. Ainsi, avant de recourir au processus du BEM, les employeurs devront en évaluer les coûts afin de prendre une décision éclairée.
Sachez que ces nouvelles politiques de la CSST s’appliquent à toutes décisions rendues après le 20 avril 2015. Les décisions antérieures sont soumises à l’ancien régime.
Source : VigieRT, juin 2015.