En vertu de l’article 123 L.N.T., un salarié qui croit avoir fait l’objet d’une sanction en raison de l’exercice d’un droit peut déposer une plainte pour pratique interdite. Le tribunal compétent pour trancher un tel recours ainsi que celui visant à contester un congédiement sans cause juste et suffisante (art. 124 L.N.T.) est la Commission des relations du travail (CRT).
Parce qu’il serait en pratique impossible pour un salarié de prouver qu’il a été sanctionné en raison de l’exercice d’un droit qui lui est octroyé par la Loi, le législateur a prévu, à l’article 123.4 L.N.T., une présomption qui le dispense de faire la preuve des motivations illicites de son employeur. Pour bénéficier de cette présomption, le plaignant doit prouver qu’il est un salarié, qu’il a fait l’objet d’une sanction, qu’il a exercé un droit prescrit parla Loi et qu’il existe une certaine concomitance entre l’exercice de ce droit et la sanction. L’employeur pourra repousser la présomption s’il démontre l’existence d’une autre cause juste et suffisante à l’origine de la mesure imposée au plaignant.
Par ailleurs, il est possible de contester un congédiement imposé à la suite d’un congé de maladie ou pendant celui-ci au moyen d’une plainte en vertu de l’article 124 L.N.T. Dans ce cas, le mécanisme de la présomption ne s’applique pas. Il revient alors à l’employeur de prouver que sa décision de rompre le lien d’emploi se fondait sur une cause juste et suffisante.
L’obligation de renseignement de l’employeur
Lizotte et Animations Pace-Âge[2]
Directrice d’un organisme communautaire, la plaignante s’est absentée pendant plusieurs mois pour cause de maladie. Elle a déposé une plainte à l’encontre d’un congédiement imposé pour un motif illégal. L’employeur a soutenu qu’à partir d’un certain moment, la plaignante avait cessé de lui remettre des documents justifiant son absence, ce que nie cette dernière.
Décision : quelle que soit la version retenue, l’omission de l’employeur d’indiquer à la plaignante, verbalement ou par écrit, que le défaut de produire les documents demandés était susceptible d’entraîner des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’à son congédiement est fatale. L’employeur a justifié sa décision de la congédier en disant qu’il présumait que la plaignante, en tant que directrice, devait connaître son obligation de produire des certificats médicaux. La présomption n’est pas suffisante quand il s’agit de procéder à un congédiement. Les messages transmis doivent être clairs quant à la faute, aux mesures correctives attendues et aux conséquences d’une dérogation. Cela n’a pas été le cas dans la présente affaire. La plainte est accueillie.
L’application rigoureuse d’une politique d’absentéisme
Dieux et Cicame Énergie inc.[3]
La plaignante a travaillé dans l’usine de l’employeur pendant environ quatre ans. À la suite de son congédiement, elle a déposé une plainte, alléguant que cette mesure lui avait été imposée à cause de l’exercice du droit prévu à l’article 79.1 L.N.T. L’employeur a admis que les absences répétées de la plaignante (9 jours en 2 mois) avaient conduit à sa cessation d’emploi. Il a invoqué une politique obligeant les salariés à remettre un billet médical afin de justifier chaque absence.
Décision : la politique n’a pas été appliquée avec rigueur. Si l’employeur voulait exiger la production de certificats médicaux, il devait le faire au moment de chaque absence et de façon ponctuelle. Devant la CRT, la plaignante a produit les attestations de visites médicales qu’elle aurait pu fournir à l’époque pertinente si on lui en avait fait la demande. Elle n’a pas consulté de médecin pour l’une de ses absences, mais a indiqué qu’elle s’était blessée chez elle. Même si une autre journée d’absence n’était peut-être pas justifiée, cela ne constituait pas une cause juste et suffisante de congédiement. L’employeur n’a pas repoussé la présomption en faveur de la plaignante puisqu’il n’a pas fait la preuve d’absences répétées qui n’étaient pas motivées par des raisons de santé.
Cyr et Caisse populaire Desjardins de Ville-Émard[4]
La plaignante, une agente externe au service d’une institution financière, comptait 28 ans de service. Congédiée pour avoir refusé de motiver son absence du travail, elle a déposé une plainte en vertu de l’article 124 L.N.T.
Décision : malgré l’existence d’une politique prévoyant la perte d’emploi après trois jours d’absence sans avis, l’existence d’une cause juste et suffisante doit être démontrée conformément à l’article 124 L.N.T., qui est d’ordre public. La plaignante connaissait la politique de l’entreprise et savait qu’elle devait motiver son absence. Le délai de trois jours que l’employeur lui a accordé pour fournir un certificat médical était raisonnable dans les circonstances. Elle n’avait aucune raison valable de refuser d’obéir à une demande légitime de son employeur. La plainte est rejetée.
La nécessité d’obtenir l’avis d’un médecin avant d’écarter un certificat médical fourni par le salarié
Pelletier et Présentoirs MG inc.[5]
Le plaignant, un journalier, s’est absenté pendant presque six mois en raison d’une invalidité. L’employeur a refusé de le reprendre au travail, car il avait des doutes quant à sa capacité d’occuper son emploi. Congédié peu de temps après, le plaignant a déposé une plainte en vertu de l’article 122 L.N.T. pour sanction illégale.
Décision : le plaignant bénéficie de la présomption selon laquelle son congédiement lui a été imposé à cause de l’exercice d’un droit prévu à la Loi, soit celui d’être réintégré dans son emploi au terme d’une absence pour maladie (art. 79.4 L.N.T.). L’employeur a invoqué plusieurs raisons pour justifier sa décision de congédier le plaignant, dont son incapacité physique. Ce motif a été contredit par le certificat du médecin traitant autorisant le retour au travail. Rien ne permet d’affirmer que le plaignant avait obtenu ce document par complaisance. Même si tel était le cas, seuls un médecin ou une contre-expertise médicale contraire pouvaient justifier le refus de réintégration. Un motif illégal de congédiement suffit pour accueillir la plainte.
Ayotte et Alarmes Perfection inc.[6]
La plaignante occupait un poste de directrice du service à la clientèle chez l’employeur, une entreprise de vente et d’installation de systèmes de sécurité. Elle a été congédiée durant une absence pour cause de maladie, d’où le dépôt de plaintes en vertu des articles 122 et 124 L.N.T. L’employeur a prétendu qu’il avait mis fin à l’emploi de la plaignante pour un motif disciplinaire, soit son manque d’intégrité et de loyauté, qui a entraîné la rupture du lien de confiance. La plaignante a soutenu que l’employeur avait fait une erreur en considérant que ses déclarations sur son compte Facebook étaient incompatibles avec son état de santé.
Décision : l’employeur a commis une erreur grossière en congédiant précipitamment la plaignante sans avoir fait une enquête sérieuse. S’il a le droit d’être en désaccord avec une opinion médicale, il ne peut la contester en s’appuyant simplement sur une croyance subjective de profane. Le médecin traitant avait diagnostiqué une « laryngite bronchite aiguë » et prescrit un arrêt de travail de cinq jours. Aucune preuve ne permet de conclure à un certificat de complaisance. La remise en cause de l’inaptitude au travail était juridiquement indéfendable. L’incompatibilité entre les activités exercées par la plaignante, ses publications sur son compte Facebook et son état de santé n’a pas été démontrée de façon probante. Les plaintes sont accueillies.
Pelletier c. Accès santé mentale cible au travail[7]
La plaignante était intervenante chez l’employeur. Estimant avoir été congédiée durant son absence pour cause d’invalidité, elle a déposé des plaintes en vertu des articles 122 et 124 L.N.T.
Décision : nonobstant ses doutes quant à la réalité de l’invalidité alléguée, un employeur ne peut s’improviser médecin. S’il estime que les documents remis par le salarié ne sont pas concluants, il doit exiger un certificat comportant un diagnostic et indiquant la nature des traitements. Il doit également aviser le salarié que son omission de fournir un tel document est susceptible d’entraîner des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement. Les messages transmis par un employeur doivent être clairs quant à la faute reprochée, aux mesures correctives attendues et aux conséquences d’une dérogation. Supposer qu’un salarié connaît son obligation de produire des certificats médicaux comportant un diagnostic n’est pas suffisant. Les plaintes sont accueillies.
Cossette et Moisson Mauricie/Centre-du-Québec[8]
Directrice générale d’un organisme sans but lucratif, la plaignante s’est absentée du travail pour soigner un cancer. Environ cinq mois plus tard, elle a remis un certificat médical attestant sa capacité de travailler. L’employeur a refusé de la réintégrer compte tenu de son état de santé. Il a estimé que le document établissant l’aptitude au travail de la plaignante constituait un certificat médical de complaisance.
Décision : le refus de reprendre la plaignante, fondé sur la seule croyance de l’employeur qu’elle était physiquement inapte à exercer ses fonctions, ne repose que sur des considérations subjectives et n’est soutenu par aucune preuve médicale. Rien ne permet de conclure qu’elle a obtenu un certificat médical de complaisance. En l’absence d’une expertise médicale, la décision de l’employeur était injustifiée, arbitraire et fondée sur une conception stéréotypée des personnes souffrant du cancer. Les plaintes en vertu des articles 122 et 124 L.N.T. sont accueillies.
Le droit d’exiger un examen médical
Rousseau et Métro Richelieu inc.[9]
Le plaignant, un commis principal, allègue avoir été congédié à la suite de l’exercice de son droit de s’absenter pour cause de maladie. Durant son absence de près de trois mois, il a remis des certificats médicaux ne comportant aucun diagnostic, ni plan de traitement, ni date de retour au travail. Il a omis de se présenter à un examen médical demandé par l’employeur. Il ne s’est pas rendu au travail à la date fixée. Devant la CRT, il a soutenu que l’article 79.2 L.N.T. ne permettait à l’employeur que de demander un document attestant le motif de son absence et non un examen médical. Il a également allégué que le fait d’exiger qu’une personne se soumette à un examen médical violait son droit à la vie privée.
Décision : exiger d’une personne qu’elle se soumette à un examen médical constitue une intrusion dans sa vie privée. Cependant, certaines situations peuvent permettre une telle intrusion. Ainsi, un employeur a le droit de valider le bien-fondé d’une absence pour cause de maladie. Il peut exiger qu’un salarié se présente à un examen médical si les circonstances le justifient et si sa demande n’est pas abusive, discriminatoire, arbitraire ou dictée par la mauvaise foi. La rupture du lien d’emploi découle du refus du plaignant de se soumettre à un examen médical que l’employeur avait le droit de requérir et non de son absence pour cause de maladie. Il n’appartient pas à la CRT de se prononcer sur la rigueur de la sanction en regard de la gravité de la faute reprochée. L’objectif de la Loi est de protéger un salarié contre un geste illégal et non contre l’exercice légitime d’un droit de direction. L’employeur ayant établi une autre cause juste et suffisante de congédiement, la plainte est rejetée.
La force probante d’un document médical
Mansouri et Sœurs du Bon-Pasteur de Québec[10]
La plaignante occupait un poste de préposée aux bénéficiaires dans un centre de soins et d’hébergement. Pendant qu’elle se trouvait en congé au Maroc, elle a donné sa démission, un fait qu’elle a désavoué par la suite. Dans le contexte de son recours à l’encontre d’un congédiement illégal, elle a produit des documents afin d’établir son incapacité de contracter en raison de son état de santé (vice de consentement).
Décision : des documents signés par un médecin et un psychologue recommandant du repos ne sont pas considérés comme des « certificats médicaux » étant donné qu’ils ne mentionnent aucun diagnostic ni traitement. En outre, aucune valeur probante ne leur est accordée, car il est impossible d’en vérifier le contenu, les signataires se trouvant au Maroc. En l’absence de preuve d’un congédiement, la plainte en vertu de l’article 122 L.N.T. est rejetée.
Établir sa capacité de reprendre le travail
Desrosiers et Centre d’hébergement Bon-Pasteur inc.[11]
La plaignante était préposée aux bénéficiaires (de nuit) dans un centre d’hébergement pour personnes âgées. À la suite de son congédiement, elle a déposé une plainte, alléguant qu’il s’agissait d’une sanction illégale imposée en raison de l’exercice d’un droit prévu à la Loi, soit celui de s’absenter du travail pour cause de maladie. L’employeur a affirmé l’avoir congédiée pour des motifs liés à une faute dans l’exécution du travail et à son refus de fournir un certificat médical plus précis.
Décision : la plaignante n’a pas été congédiée parce qu’elle s’est absentée pour cause de maladie (4 mois), mais en raison de son refus de fournir un certificat médical plus détaillé que celui, laconique, qu’elle a remis afin de confirmer son aptitude à reprendre son poste. L’employeur voulait ainsi s’assurer que son état de santé lui permettait d’accomplir toutes ses tâches durant le quart de nuit. La plainte en vertu de l’article 122 L.N.T. est rejetée.
Des expertises médicales contradictoires
Duval et Elopak Canada inc.[12]
Le plaignant occupait le poste de coordonnateur au support commercial. Il a été congédié alors qu’il était absent du travail pour cause de maladie. L’employeur lui a reproché d’avoir feint une invalidité.
Décision : les expertises médicales produites ne permettent pas de retenir la prétention de l’employeur selon laquelle le plaignant aurait simulé la maladie après avoir fait l’objet d’une évaluation négative de son rendement. La seule preuve de l’employeur du désaccord de son expert ne suffit pas pour convaincre qu’il était fondé à mettre fin à l’emploi du plaignant. En présence d’opinions médicales contradictoires, l’employeur doit apporter des éléments supplémentaires en vue de démontrer une cause juste et suffisante de congédiement permettant de repousser la présomption établie en faveur du plaignant. D’autre part, le rapport de filature n’est d’aucun secours à l’employeur puisqu’il vient corroborer les explications du plaignant sur ce qu’il a fait, avait de la difficulté à faire et était incapable de faire. Par ailleurs, un motif illégal de congédiement aux termes de l’article 122 L.N.T. ne constitue pas une cause juste et suffisante de congédiement en vertu de l’article 124 L.N.T. Les plaintes sont accueillies.
Source : VigieRT, mai 2015.