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L’incapacité à travailler dans un avenir prévisible justifie-t-elle une fin d’emploi?

Dans la décision Syndicat de l’enseignement du Lac St-Jean c. La Forge, 2015 QCCS 896, la Cour supérieure a rejeté la requête en révision judiciaire déposée par le syndicat pour contester la décision d’un arbitre. Dans cet arrêt, il avait tranché que l’employeur avait le droit de mettre fin à l’emploi d’une enseignante incapable de fournir sa prestation de travail dans un avenir prévisible.

14 avril 2015
Rhéaume Perreault, CRIA, Mohamed Badreddine, CRHA, et Olivier Lamoureux

A. FAITS
L’employeur est une commission scolaire. La plaignante était une enseignante régulière à temps plein au primaire. Elle travaillait sur la base de contrats à durée déterminée.

Le 12 novembre 2007, l’enseignante s’est absentée de son travail pour cause de maladie. Le 10 décembre 2007, son médecin de famille a posé un diagnostic de dépression majeure. Elle devait alors être absente du travail jusqu’en octobre 2009.

Au cours de cette absence, le psychiatre de l’employeur, après avoir examiné à son tour la travailleuse, a suggéré un retour progressif au travail à l’automne 2009. Ainsi, le 1er octobre 2009, elle est revenue en poste à raison d’un jour par semaine. Cependant, elle s’est absentée de nouveau moins de quatre semaines après son retour, soit le 27 octobre 2009. S’est ensuivi une nouvelle période d’absence jusqu’au mois d’août 2010.

L’employeur lui a suggéré de tenter un second retour progressif, s’échelonnant sur une année, au cours de laquelle l’employée serait amenée à travailler un, deux, puis trois jours par semaine. C’est ainsi qu’à partir du 30 août 2010, l’enseignante a effectué un retour progressif au travail.

Le 22 septembre 2010, l’enseignante a signé un contrat d’engagement à temps plein pour la période du 1er juillet 2010 au 28 juin 1011.

Le 3 mars 2011, l’enseignante a rencontré le psychiatre de l’employeur, lequel a conclu que, nonobstant le retour au travail de l’employée, celle-ci ne pourrait jamais travailler à temps plein et que sa capacité de travail serait de deux ou trois jours par semaine, conclusion à laquelle s’est opposé le médecin de l’enseignante.

Dans une ultime tentative d’accommodement, l’employeur a alors offert à la travailleuse un poste à temps partiel, sans succès.

À la suite de ce refus, le 25 mai 2011, l’employeur a alors informé l’enseignante qu’il ne la réengagerait pas compte tenu notamment des rapports d’expertise médicale n’offrant aucune expectative raisonnable quant au fait qu’elle puisse assumer régulièrement et pleinement ses responsabilités.

Le 7 juin 2011, le syndicat a transmis une copie du rapport de l’expert de l’employeur à son propre psychiatre, lequel a mentionné ne pas pouvoir conclure à une invalidité permanente chez l’enseignante.

Le 21 juin 2011, le syndicat a déposé un grief contestant le non-renouvellement du contrat de la travailleuse. Le 13 mai 2013, l’arbitre a rejeté le grief.

Le syndicat a demandé la révision judiciaire de la décision de l’arbitre, argumentant notamment que celui-ci avait erré dans son appréciation de la preuve ainsi qu’à l’égard des principes entourant l’obligation d’accommodement de l’employeur.

B. DÉCISION

La sentence arbitrale
L’arbitre a rejeté le grief en décidant notamment que :

  • La décision de l’employeur n’était pas discriminatoire en raison du handicap de l’enseignante;
  • L’employeur avait suggéré et mis en place amplement de mesures d’accommodement à l’égard de l’enseignante;
  • Le fait que l’enseignante ne pouvait pas travailler plus de jours par semaine constituait une contrainte excessive pour l’employeur, considérant également qu’elle réclamait du même coup le maintien du lien d’emploi à temps plein.

C’est ainsi que l’arbitre a écrit ce qui suit :

[221]   Dans le cas sous étude, il appert que l’employeur a été très actif à rechercher des accommodements susceptibles d’aider madame Tremblay à revenir au travail en santé. Il y a d’abord les deux retours progressifs. L’employeur a prévu des modalités, qui, de l’avis du tribunal, étaient propices à faciliter et à assurer le retour au travail. Ainsi, l’acceptation d’une dérogation au principe d’affectation de l’école est une mesure importante qui répondait même à une demande particulière de madame. C’est elle qui avait requis cette mesure d’exception.
[…]
[229]   Comment se fait-il qu’avec un si bon encadrement, la salariée n’a pas réintégré son emploi. La seule réponse se trouve dans les expertises médicales et, pour les motifs ci-haut mentionnés, le tribunal a choisi de retenir la dernière expertise du Dr Jobidon. La situation actuelle n’est pas due au fait de l’inaction de l’employeur ou son défaut d’offrir un accommodement raisonnable. Madame Tremblay, au moment où la décision de non-rengagement est prise, est toujours incapable d’effectuer un retour et de fournir une prestation de travail raisonnable dans un délai prévisible. De plus, mis à part l’expertise du Dr Jobidon, les médecins sont incapables de fournir une date de retour au travail dans un avenir raisonnable.
[…]
[231]   Il ne s’agit plus d’une situation temporaire où l’employeur doit aménager des accommodements. Il n’est plus question non plus de coûts de remplacement, de difficultés de réaménager des effectifs ou convenir d’autres dérogations à la convention collective.
[…]
[236]   Le Tribunal ne peut conclure, comme le fait le syndicat, que l’employeur a agi avec empressement, bien au contraire. La preuve démontre que la commission a non seulement mis en place des accommodements, mais a également accepté, sans plus de formalité, de les ajuster à la simple demande de madame Tremblay. […]
[…]
[241]   Nous ne sommes pas dans un cas où il y a défaut ou insuffisance d’accommodements ou encore une situation où la contrainte excessive ne serait pas rencontrée. Il s’agit d’une triste situation où le salarié est dans l’impossibilité de fournir sa part de contrat, soit une prestation de travail normale dans un avenir prévisible.
[…]
[246]   Dans le cas dont nous sommes saisis, l’employeur avait également offert à madame Tremblay un emploi, il est vrai à temps partiel, mais un emploi qui respectait les limitations alors connues. Il s’agissait là d’un ultime accommodement. Cette proposition sera rejetée.
[247]   Le but d’un accommodement notamment dans des situations d’absentéismes est de permettre à l’employé de reprendre son travail dans un avenir raisonnablement prévisible. Cela peut se faire par retour progressif ou par l’aménagement de la charge de travail ou du lieu de travail. Au moment prévu à la convention collective pour décider d’un non-rengagement, le pronostic sur la capacité de fournir une prestation de travail raisonnable dans un délai prévisible était défavorable. La décision de non-rengagement n’était donc pas de la discrimination fondée sur un handicap, mais le constat que madame ne serait pas en mesure de respecter son obligation de fournir sa prestation de travail.

La décision de la Cour supérieure
Rappelons que le syndicat a soulevé deux arguments au soutien de sa requête en révision judiciaire. Le premier concerne l’appréciation de la preuve par l’arbitre. Le second au sujet du fait l’employeur a manqué à son obligation d’accommodement raisonnable envers l’enseignante. La Cour supérieure a rejeté ces deux arguments et conséquemment, la requête en révision judiciaire.

Sur la question de l’appréciation de la preuve par l’arbitre, la Cour a évoqué que les raisons pour lesquelles l’expertise de l’employeur fut retenue au détriment de celle du syndicat sont raisonnables puisqu’aucun expert du côté de la partie syndicale n’avait pu se prononcer sur le moment auquel l’employée aurait pu revenir au travail.

La Cour a rejeté également la prétention du syndicat selon laquelle l’employeur ne s’est pas acquitté de toutes ses obligations d’accommodement raisonnable. La Cour a souligné que l’arbitre était fondé à conclure que l’employeur n’avait plus l’obligation d’accommoder la travailleuse afin de l’aider à fournir sa prestation de travail. Soulignant qu’on ne peut imposer à l’employeur d’accommoder ce qui ne peut l’être, la Cour s’est exprimée en ces termes au sujet de l’obligation de l’employeur :

[75] La juge Thibault dans l’affaire Québec (Procureur général) c. Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), rappelle qu’un employeur est en droit de congédier une plaignante si celle-ci ne peut établir qu’elle sera en mesure de travailler dans un avenir prévisible.

[76] Le même raisonnement s’applique quant à l’historique d’absentéisme de madame Tremblay. Qu’il ne soit pas identique à celui de la plaignante dans Hydro-Québec n’a aucune conséquence puisque l’Arbitre conclut sur la base d’une expertise médicale que madame Tremblay est incapable de fournir une prestation de travail à plein temps dans un avenir prévisible.

[77] Enfin, la juge Deschamps dans Hydro-Québec écrit :
[19] (…) L’obligation d’accommodement qui incombe à l’employeur cesse là où les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail ne peuvent plus être remplies par l’employé dans un avenir prévisible.
[78] Ainsi, dès l’instant où l’Arbitre retient de la preuve médicale que madame Tremblay n’est plus en mesure, dans un avenir prévisible, de fournir comme par le passé la même prestation de travail, la Commission n’a plus d’obligation de l’accommoder afin de l’aider à fournir sa prestation de travail.

[Références omises]

Enfin, la Cour a rappelé que l’employeur n’avait pas à prouver que les autres mesures d’accommodement proposées par le syndicat, à savoir l’embauche d’une suppléante pour pallier les absences futures de la travailleuse, représentaient une contrainte excessive. De fait, son obligation d’accommodement cesse là où les obligations qui y sont rattachées ne peuvent plus être remplies par la travailleuse dans un avenir prévisible.

C. CONCLUSION
L’employeur a une obligation d’accommodement raisonnable à l’égard d’un employé de retour d’un congé de maladie qui tente de reprendre progressivement ses fonctions au travail. Cependant, cette obligation d’accommodement est limitée aux cas où elle ne représente pas une contrainte excessive pour l’employeur.

L’incapacité d’un employé de fournir sa prestation normale de travail dans un avenir prévisible, malgré les tentatives d’accommodement d’un employeur, peut justifier une fin d’emploi.

Cependant, il est fortement recommandé que la décision d’un employeur de mettre fin à l’emploi d’un employé en raison de son incapacité à fournir sa prestation de travail soit soutenue par un rapport d’expert objectif.

L’employeur est aussi en droit de s’attendre à ce que, dans le contexte des tentatives d’accommodement de l’employé, celui-ci y participe activement afin d’en faciliter la mise en œuvre.

Source : VigieRT, avril 2015.


Rhéaume Perreault, CRIA, Mohamed Badreddine, CRHA, et Olivier Lamoureux