Que ce soit dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail en vertu de la Loi sur la santé et sécurité au travail (LSST) et de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) ou encore dans le cadre des relations de travail suivant les dispositions de la Loi sur les normes du travail (LNT), de la Charte des droits et libertés de la personne (CDLP) ou même des conventions collectives, on constate que les droits, obligations et responsabilités de l’employeur sont plus étendus que l’on pourrait le croire. À cet égard, quelles sont les responsabilités de l’employeur en matière d’activités sociales, ou plus précisément, des « Partys de bureau »?
Santé et sécurité au travail
Évidemment, dans le cadre d’une soirée de Noël, il serait assez improbable qu’un accident de travail rencontre les critères de l’article 28 LATMP, soit une blessure qui arrive sur les lieux de travail alors que le travailleur est à son travail, et donne application à une présomption de lésion professionnelle. Par ailleurs, il est aussi plutôt rare de pouvoir attribuer un accident « par le fait »[1] du travail puisque, en général, les gens ne travaillent pas lors d’activités sociales de la sorte. Donc, pour qu’il s’agisse d’un accident du travail au sens de la Loi, il faudrait considérer qu’un évènement imprévu et soudain arrive « à l’occasion du travail ».
D’ailleurs, c’est ce que certains décideurs[2] de la Commission des lésions professionnelles ont conclu à l’égard de blessures survenues dans le cadre d’activités de Noël. Les critères de base de la jurisprudence, s’il s’agit d’un évènement qui arrive « à l’occasion du travail », sont les suivants :
- Le lieu de l’évènement;
- Le moment de l’évènement;
- L’existence et le degré d’autorité ou de subordination de l’employeur lorsque l’évènement ne survient ni sur les lieux ni durant les heures de travail;
- La finalité de l’activité exercée au moment de l’évènement, qu’elle soit incidente, accessoire ou facultative aux conditions de travail;
- La connexité ou l’unité relative de l’activité en regard de l’accomplissement du travail.
(Nos soulignements)
Il ressort de la jurisprudence que les critères de la finalité et de la connexité exercent une large influence sur la décision des juges administratifs de la CLP alors que les lieux, le moment de l’évènement et le degré d’autorité voire la rémunération du travailleur sont des critères relégués au second plan dans l’analyse. En ce qui concerne la finalité de l’évènement, dans la décision Battram et Min. de la Justice[3], la juge administrative se prononçait à cet égard :
« [26] Est-il nécessaire de faire remarquer que dans nombre de lieux de travail, organismes, ministères ou entreprises du secteur privé, il arrive souvent que de leur propre initiative les employés se réunissent pour souligner le départ d’un ou d’une collègue ou pour fêter Noël ensemble comme compagnons de travail. Pourquoi ces rencontres auraient-elles lieu si ce n’est pour fraterniser, échanger entre collègues et cultiver les liens qui, en définitive, facilitent le travail pour chacun? Pour sa part, l’employeur profite de ces initiatives.
[…]
[31] Compte tenu de sa finalité, des circonstances du temps et de lieu que l’on connaît et, aussi, compte tenu de la participation active des juges dont l’autorité “fonctionnelle” à l’égard de leur secrétaire fait en sorte qu’au moins la travailleuse les décrivent comme leur “patron”, on ne peut raisonnablement conclure que la réception échappait à la sphère du travail. Il ne s’est pas fait de travail lors de cette soirée, cela va de soi, mais il s’est réalisée une activité utile à l’accomplissement du travail des membres du groupe et, pour cette raison, en donnant une interprétation large et libérale à la loi, il y a lieu de conclure que la réception a fait partie intégrante de la vie professionnelle de ceux et celles qui y ont participé. »
Bref, il appert de la jurisprudence que l’organisation d’une activité sociale de laquelle l’employeur tire un bénéfice ou la participation à une telle activité seront considérées comme relevant de la sphère professionnelle. Donc, une blessure qui survient dans le cadre d’un tel évènement serait vraisemblablement interprétée comme arrivée « à l’occasion du travail ».
Une activité sociale qui aurait lieu sur les lieux de travail, et ce, malgré le fait que l’employeur n’ait pas eu de droit de regard sur l’activité en question pourrait engager sa responsabilité selon la LATMP. En effet, dans De Palma et Commission scolaire des affluents[4], il fut convenu, en ces termes, qu’une blessure survenant lors d’une activité d’intégration du personnel pourrait être considérée comme étant advenue « à l’occasion du travail » :
« [30] Le tribunal ne peut en effet faire abstraction, malgré une participation volontaire et malgré une absence de droit de regard de la direction, qu’il s’agit d’une activité bien implantée depuis la fondation de l’école, qui se déroule sur les lieux du travail et qui a pour seul objectif l’intégration du nouveau personnel.
[…]
[34] L’activité est enfin connexe aux activités de l’employeur puisqu’elle favorise la qualité de l’enseignement offert aux élèves, mission poursuivie par l’employeur. En effet, il ne s’agit pas d’une simple activité récréative, une fête ou un souper pour souligner un évènement spécial, mais bien d’une tradition bien implantée pour intégrer le nouveau personnel, créer un esprit d’équipe et améliorer l’atmosphère de travail, ce qui ne peut ultimement que se refléter sur la qualité de l’enseignement. »
Ainsi, il n’est pas nécessaire qu’une activité soit l’initiative de l’employeur pour conclure à une lésion professionnelle.
Bien que l’analyse des évènements lors d’une soirée de Noël laisse sous-entendre qu’une blessure qui y survient serait considérée comme un accident de travail, l’application des critères mentionnés ci-haut peut mener à une autre conclusion. Ainsi, en d’autres circonstances[5], mais toujours dans le cadre d’activités sociales ou de soirées de Noël, la CLP a déterminé que comme jouer aux quilles ou encore déplacer des tables n’engendre pas de bénéfice pour l’employeur, il s’agit d’activités hors de la sphère professionnelle.
Harcèlement psychologique
Comme il est reconnu par la CLP que les soirées de Noël font partie intégrante de la sphère professionnelle, il semble qu’il en soit de même pour la Commission des relations du travail (CRT) en ce qui concerne le harcèlement psychologique. En fait, la mise en preuve d’évènements survenus lors de telles soirées semble être automatiquement acceptée par les juges administratifs de la Commission [6].
L’obligation de l’employeur de maintenir un climat de travail sain et exempt de harcèlement psychologique se prolonge ainsi à ces activités. Souvent, les éléments de harcèlement allégués lors d’une soirée de Noël font partie d’un continuum, l’obligation de l’employeur se rattache donc facilement au cadre du milieu de travail. Mais qu’en est-il dans le cas d’un évènement ponctuel?
Dans l’affaire S…H… c. Compagnie A[7], la plaignante fait la démonstration que lors d’une soirée de Noël, un seul évènement a eu un effet nocif continu ce qui l’amena à quitter son emploi. La direction de l’établissement pour lequel la plaignante travaillait organisait une soirée à thème érotique. Pendant l’échange de cadeaux, deux paires de menottes pour enfant ont été offertes. Dès lors, les employés ont commencé, à la blague, à s’attacher à divers endroits. Le propriétaire du commerce a lié les mains de la plaignante dans son dos, puis il a inséré un glaçon dans son bustier, allant toucher l’extrémité de son sein à deux reprises.
Suivant cet évènement, tant la relation de la plaignante avec son employeur que sa vie personnelle ont été affectées. L’atteinte à la dignité de la plaignante dans cette affaire est telle qu’elle a quitté son emploi. La Commission est donc arrivée à la conclusion qu’il s’agissait bel et bien de harcèlement psychologique.
Consommation d’alcool
En ce qui concerne la consommation d’alcool, nous sommes couverts par le régime sans égard à la responsabilité de la société d’assurance automobile du Québec. Néanmoins, dans l’affaire Childs c. Desormeaux[8], la Cour a repris les critères de l’arrêt Anns sur la question de l’obligation de diligence raisonnable en ces termes :
« (1) y a t il un lien “suffisamment étroi[t] entre les parties” ou un rapport de “proximité” justifiant l’imposition d’une obligation, et dans l’affirmative,
(2) existe t il des considérations de politique générale exigeant de restreindre ou de rejeter la portée de l’obligation, la catégorie de personnes qui en bénéficient ou les dommages auxquels un manquement à l’obligation peut donner lieu?
Dans l’arrêt Succession Odhavji c. Woodhouse, [2003] 3 R.C.S. 263, 2003 CSC 69 (CanLII), la Cour a confirmé le critère énoncé dans Anns et le juge Iacobucci a fait état des trois conditions suivantes : la prévisibilité raisonnable, l’existence d’un lien suffisamment étroit et l’absence de considérations de politique générale dominantes qui écartent l’obligation prima facie dont l’existence est établie par la prévisibilité et le lien de proximité étroit. »
Bien que l’arrêt Childs porte sur la question de l’obligation sociale d’un hôte, les critères énoncés par la Cour suprême concernant la diligence raisonnable sont bien présents et nous invitent à la prudence.
D’ailleurs, l’affaire Hunt c. Sutton Group[9] avait fait couler beaucoup d’encre. Après une soirée de Noël à bar ouvert, la plaignante avait quitté les lieux au volant de son véhicule, s’était arrêtée en chemin pour prendre quelques verres dans un pub, puis était repartie et avait ensuite eu un accident. La Cour supérieure avait alors considéré qu’autant l’employeur que le débit de boisson devaient assumer la responsabilité de cet incident (25 % chacun).
Évidemment, ces évènements ont eu lieu dans un contexte juridique différent, mais ils peuvent très bien nous indiquer la voie à suivre pendant les activités sociales : prudence!
Source : VigieRT, janvier 2015.
1 | Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (RLRQ, c. A-3.001) article 2 al. 1. |
2 | Fafard et Commission scolaire des Trois-Lacs, 2014 QCCLP 6156 (CanLII); Boivin et Centre communautaire juridique de l’Estrie, 2011 QCCLP 2645 (CanLII); Battram et Min. de la Justice du Québec, 2007 QCCLP 4450 (CanLII). |
3 | 2007 QCCLP 4450 (CanLII). |
4 | 2012 QCCLP 7802, révision rejetée 2013 QCCLP 6489. |
5 | Turenne et Héroux-Devtek inc., C.L.P. 275326-62-0511, 12 janvier 2007, R. L. Beaudoin, révision rejetée, 14 novembre 2007, B. Roy.; Desjardins et EMD Construction inc., C.L.P. 289166-71-0605, 24 janvier 2007, J.-C. Danis.; Environnement Canada et Lévesque, C.L.P. 143288-72-0101, 7 mai 2001, D. Gruffy. |
6 | Roy et Maisons Laprise, 2008 QCCRT 86 (CanLII); Firas Cheikh-Bandar et Pfizer Canada inc., 2008 QCCRT 124 (CanLII); Voir aussi Racicot et Clinique médicale Maisonneuve-Rosemont, 2009 QCCLP 6268 (CanLII) |
7 | 2007 QCCRT 348 (CanLII). |
8 | 2006 CSC 18 (CanLII). |
9 | Hunt (Guardian of) v. Sutton Group Incentive Realty Inc., 2002 CanLII 45019 (ON CA). |