Étant donné l’impact d’un revirement aussi radical en matière de droit du travail, la Cour suprême du Canada a autorisé l’appel de cette décision. Le 25 juillet 2014, elle a annulé la décision de la Cour d’appel et rétabli le droit applicable en matière de paiement d’un préavis de fin d’emploi lorsqu’un employeur refuse qu’un salarié travaille jusqu’à la date d’entrée en vigueur de sa démission.
Dans la décision Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins Inc.[2], la Cour suprême du Canada fait un résumé intéressant des obligations incombant aux employeurs et aux salariés.
Le 18 février 2008, l’employeur, ayant été informé que le salarié quittait son emploi pour travailler chez un concurrent, a décidé de négocier avec lui de nouvelles conditions de travail pour tenter de le faire changer d’avis. Le lendemain, en apprenant que le salarié avait refusé de rester, l’employeur lui a demandé de quitter immédiatement le travail et ne lui a versé aucune rémunération ni indemnité de fin d’emploi. La Commission des normes du travail a donc intenté un recours au nom du salarié dans lequel elle réclamait à l’employeur le paiement de l’indemnité compensatrice tenant lieu de préavis de fin d’emploi en vertu de l’article 82 et 83 de la Loi sur les normes du travail. En matière de contrat de travail à durée indéterminée, ces obligations perdurent jusqu’à la fin du contrat de travail. La Cour confirme donc que le contrat et les obligations qui en découlent ne sont pas modifiés par l’annonce d’une démission ou d’un congédiement qui prendra effet à l’expiration du préavis. La Cour retient trois raisons permettant à la personne qui rompt le contrat de travail de se mettre à l’abri des poursuites judiciaires en matière de préavis : Dans cette affaire, la Cour indique qu’un employeur qui reçoit une démission accompagnée d’un préavis ne peut pas y renoncer en refusant de recevoir la prestation de travail du salarié et en ne le rémunérant pas. Il peut toutefois, à son tour, mettre fin unilatéralement au contrat de travail en lui donnant soit un préavis soit une indemnité qui en tient lieu[7]. Cependant, dans cette éventualité, le délai raisonnable du préavis ne peut pas être inférieur à ce qui est prévu à l’article 82 LNT : En conséquence, si l’employeur persiste dans son intention de ne pas laisser travailler le salarié pendant la période de préavis et de ne pas le payer, il met fin au contrat de travail. Il n’est donc plus question d’une démission, mais bien d’une fin d’emploi à son initiative. La Cour suprême explique comment l’employeur doit agir lorsqu’il ne souhaite pas que le salarié travaille durant le préavis : De cette façon, la Cour reconnaît que l’objectif d’un préavis est de prévenir le salarié que le lien d’emploi sera bientôt rompu et de lui consentir un délai raisonnable pour lui permettre de se trouver un nouvel emploi. Pour l’employeur, ce préavis permet d’atténuer les inconvénients dus au départ d’un salarié. Finalement, la Cour souligne qu’il existe une exception à cette règle générale qui dépend de la façon dont le salarié s’est exprimé lors de sa démission. En effet, si le salarié informe l’employeur que sa démission prend effet sur-le-champ, mais qu’il lui offre de rester quelque temps, l’employeur est en droit de refuser l’offre sans indemniser le salarié. Ainsi les deux parties se seront entendues pour que le contrat se termine immédiatement[9]. Illustrations de l’application de ces principes Comme le droit du travail est intimement lié aux faits, il subsiste des situations où il faudra encore s’interroger sur l’application à donner à ce jugement. En voici quelques-unes : Un salarié embauché par une entreprise concurrente Un salarié donne un préavis durant lequel il sera en vacances Un salarié commet une faute grave durant le préavis La modification substantielle des conditions de travail durant le préavis En terminant, il faut noter que l’employeur qui choisit de dispenser le salarié d’exécuter sa prestation de travail durant le préavis n’est pas exempté de verser le plein montant dû au salarié en raison du fait que ce dernier a déjà commencé son nouvel emploi. Source : VigieRT, décembre 2014.
Le 15 février 2008, le salarié a annoncé sa fin d’emploi et informé l’employeur que son dernier jour travaillé serait le 7 mars 2008, ce qui lui permettait de faire le transfert harmonieux des dossiers qu’il traite.
La Cour suprême rappelle que le contrat de travail entraîne des obligations pour les employeurs, à savoir permettre aux salariés d’exécuter leur prestation de travail et leur verser une rémunération, tout en protégeant leur santé, leur sécurité et leur dignité. Quant aux salariés, ils ont le devoir d’exécuter leur prestation de travail avec prudence, diligence et loyauté[3].
« Cet avis est d’une semaine si le salarié justifie de moins d’un an de service continu, de deux semaines s’il justifie d’un an à cinq ans de service continu, de quatre semaines s’il justifie de cinq à dix ans de service continu et de huit semaines s’il justifie de dix ans ou plus de service continu. »
« Un employeur peut refuser qu’un salarié se présente sur les lieux de travail pour la durée du délai, mais il doit néanmoins le rémunérer pour cette période, dans la mesure où le délai-congé fourni par le salarié est raisonnable. L’employeur peut également choisir de mettre fin au contrat moyennant un délai de congé raisonnable ou une indemnité correspondante, le tout conformément à l’art. 2091 C.c.Q. et en vertu des articles 82 et 83 de la Loi sur les normes du travail. »[8]
Les employeurs peuvent dès maintenant prendre connaissance de ce jugement pour bien gérer les cas de démission de leurs salariés. Ils doivent aussi s’inspirer des conclusions de la Cour suprême dans toute situation de même nature.
Un salarié qui quitte son emploi pour aller travailler chez un concurrent ne commet pas automatiquement une faute grave libérant l’employeur de l’obligation de le laisser travailler durant le préavis. Pour que l’employeur puisse refuser de recevoir la prestation de travail du salarié et de le rémunérer, il devra prouver la fraude ou l’intention de nuire du salarié[10]. Ce type de preuve sera très difficile à faire puisqu’elle devra avoir été amassée avant de prendre la décision de mettre fin à l’emploi du salarié. Dans ce cas, on recommande à l’employeur de verser au salarié le montant équivalent au préavis en le dispensant de sa présence au travail.
Il peut arriver qu’un salarié donne un préavis de démission qui inclut une période de vacances. Dans ce cas, l’employeur ne serait pas justifié d’exiger du salarié qu’il exécute sa prestation de travail durant toute la période du préavis. En effet, comme les vacances doivent être planifiées au préalable, l’employeur devrait déjà avoir pris des mesures pour pallier l’absence du salarié durant ses vacances. Ainsi, il ne serait pas justifié de réclamer un délai supplémentaire pour atténuer les inconvénients dus au départ du salarié.
Étant donné que le contrat de travail se poursuit durant le préavis, les obligations de l’employeur et du salarié restent les mêmes. Si, pendant cette période, l’employeur constate par exemple que le salarié le vole, il pourra renoncer à recevoir les services de cet employé dès ce moment et cesser de le rémunérer, sans avoir à craindre une condamnation judiciaire pour le paiement du préavis résiduel.
L’employeur ne peut pas choisir de réduire de façon substantielle les heures de travail du salarié durant son préavis. La modification substantielle des conditions de travail essentielles, telles que le nombre d’heures travaillées ou le taux horaire du salaire, a été interprétée comme étant un congédiement déguisé. En d’autres termes, il s’agit d’une fin d’emploi à l’initiative de l’employeur. Conséquemment, si l’employeur décide d’agir de cette façon durant la période de préavis du salarié, l’article 82 LNT s’applique, et l’employeur doit verser la différence entre le montant reçu par le salarié et le montant qu’il aurait dû recevoir, n’eût été la modification, ou doit verser la totalité de ce dernier montant si le salarié refuse de travailler dans ces conditions[11].
1 Asphalte Desjardins Inc. c. Commission des normes du travail, 2013 QCCA 484 2 2014 CSC 51 3 Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins Inc., 2014 CSC 51, par. 28. 4 Article 1439, Code civil du Québec. 5 Article 2094, Code civil du Québec. 6 Article 2091, Code civil du Québec. 7 Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins Inc., 2014 CSC 51, par. 41. 8 Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins Inc., 2014 CSC 51, par. 44. 9 Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins Inc., 2014 CSC 51, par. 61-63. 10 Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins Inc., 2014 CSC 51, par. 68; voir à titre d’exemple : Commission des normes du travail c. 9043-5819 Québec Inc., 2013 QCCQ 12264. 11 Meerovich c. Normand, 2013 QCCS 6311, 3 décembre 2013. Requête pour permission d’appeler rejetée.