LATMP = Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ chapitre A-3.001 (ci-après la « LATMP »).
Charte = Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ chapitre C-12 (ci-après la « Charte »).
En effet, tout récemment, un de ses juges a fait droit à une demande de révision judiciaire d’une décision de la Commission des lésions professionnelles (ci-après la « CLP ») dans l’affaire Caron c. Commission des lésions professionnelles[1].
Afin de bien comprendre l’impact de cette décision, un résumé des faits s’impose.
Le 20 octobre 2004, le travailleur a subi une lésion professionnelle, soit une épicondylite aiguë du coude gauche. La lésion professionnelle a été consolidée le 3 avril 2006. Le travailleur a conservé une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique de 2 % ainsi que des limitations fonctionnelles. Pendant la majeure partie de son invalidité, ce dernier a été assigné temporairement à des tâches de chef d’équipe, lesquelles respectaient ses limitations fonctionnelles. Cependant, cette assignation a pris fin lorsque l’établissement où était effectuée cette assignation a fermé.
En novembre 2009, la CLP a rendu une décision déclarant que le travailleur est incapable d’exercer son emploi prélésionnel d’éducateur puisque les limitations fonctionnelles établies, et non contestées, ne pouvaient être respectés. Cette décision a été confirmée par la CLP siégeant en révision. Ainsi, la décision déclarant qu’il est incapable d’exercer son emploi prélésionnel d’éducateur est devenue finale.
Un processus de recherche d’emploi convenable chez l’employeur s’est donc mis en marche. Le syndicat et le travailleur ont fait deux propositions d’emploi convenable à l’employeur. Celles-ci n’ont toutefois pas été retenues par ce dernier puisqu’il s’agissait notamment de lui créer un poste sur mesure.
En avril 2010, la CSST a constaté que l’employeur n’avait pas d’emploi convenable disponible et a donc mis en place un processus de réadaptation. C’est cette décision qui a été contestée par le travailleur et qui a fait l’objet d’un litige.
De manière concomitante, il a déposé un premier grief afin que l’employeur l’accommode en raison de son handicap. Subséquemment, l’employeur a mis fin à son emploi. Un grief a également été déposé afin de contester ce congédiement. Les auditions de ces griefs ont été suspendues.
Lors de la contestation de la décision d’emploi convenable devant la CLP, plusieurs objections préliminaires ont été soulevées. Notamment, la procureure du travailleur alléguait que la CLP doit appliquer les dispositions de la Charte et ainsi, reconnaitre que l’employeur devait accommoder le travailleur dans le processus de la recherche d’un emploi convenable.
Après avoir reconnu qu’elle doit s’assurer que les dispositions de la Charte sont appliquées, la CLP a rejeté la demande de la procureure du travailleur d’obliger l’employeur à accommoder le travailleur dans ce dossier. Pour arriver à cette conclusion, elle s’est référée à la jurisprudence et à la doctrine dont elle a appliqué les principes aux faits du dossier.
Au mérite, la CLP a conclu que la requête du travailleur devait être rejetée sur la base de deux éléments. Tout d’abord, l’employeur n’était pas tenu de l’accommoder au-delà de ce qui avait été fait dans le contexte du processus de réadaptation et en second lieu, le droit de retour au travail était expiré.
Le travailleur a demandé la révision judiciaire de cette décision, prétendant que l’employeur avait fait preuve de discrimination à son égard dans le cadre du processus de détermination d’un emploi convenable.
La Cour supérieure a accueilli la requête en révision aux motifs que la décision de la CLP est irrationnelle puisqu’elle restreint déraisonnablement les pouvoirs de réparation conférés par la Charte en cas d’atteinte illicite aux droits de la personne.
Le juge estime que la CLP doit trancher la question relative à l’application de la Charte, et donc au devoir d’accommodement de l’employeur, dans le cadre du processus de recherche d’un emploi convenable.
Il retient également que la CLP n’a pas appliqué la Charte de manière raisonnable. En effet, l’honorable juge précise que la CLP n’a pas suivi la démarche suggérée (la balance des inconvénients par rapport à l’atteinte illicite à un droit protégé) pour déterminer si le travailleur a été victime de discrimination illicite fondée sur son handicap. Si la CLP avait fait cette analyse, le juge estime qu’elle aurait alors pu imposer la réparation appropriée, le cas échéant. Il conclut donc que la CLP a restreint les redressements autorisés par la Charte et, conséquemment, le devoir d’accommodement de l’employeur.
Analyse
Il est important de se rappeler que, dans ce dossier, la CLP avait déterminé que le travailleur n’avait pas la capacité de reprendre son emploi d’éducateur, et ce, dans une décision finale. La seule question à laquelle devait donc répondre la CLP était de savoir si l’employeur avait un emploi convenable pour ce dernier.
La notion d’emploi convenable est prévue dans la loi[2]. Il s’agit d’un emploi qui permet au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles et qui présente des possibilités raisonnables d’embauche. Le pouvoir de la CSST (et de la CLP) en matière de détermination d’un emploi convenable est de déterminer si un tel emploi pour le travailleur existe ou non chez l’employeur. La CSST n’a aucun pouvoir, en vertu de la loi, d’ordonner à l’employeur de créer un poste sur mesure pour le travailleur. Elle n’a pas de pouvoir de réparation, comme c’est le cas lorsqu’elle est appelée à juger une plainte en vertu de l’article 32 LATMP (mesures discriminatoires, représailles, congédiement, ou autres).
Le jugement de la Cour supérieure semble donc octroyer un nouveau pouvoir à la CLP, soit celui d’utiliser les redressements prévus à la Charte afin de déterminer un emploi convenable pour le travailleur.
L’honorable juge suggère même que la CLP peut, dans le cadre d’un litige sur la détermination d’un emploi convenable pouvant être offert au travailleur, annuler un congédiement. Or, les pouvoirs de la CLP siégeant en contestation d’une décision d’emploi convenable sont limités à rendre la décision qui aurait dû être rendue par la CSST. La CLP peut annuler un congédiement, mais en vertu de l’article 32 LATMP. Les conclusions de la Cour supérieure constituent donc des modifications aux fondements législatifs du processus de réparation des lésions professionnelles.
Dans ce dossier, le travailleur demande à la cour de déclarer que l’employeur a fait preuve de discrimination à son égard. L’article 32 LATMP permet de demander à la CSST, et en cas de contestation à la CLP, que cesse l’exercice d’une mesure discriminatoire par l’employeur, d’obtenir une réintégration dans son emploi et d’obtenir une réparation, à l’intérieur des limites prévues à la LATMP. Cela correspond essentiellement au pouvoir de redressement prévu à la Charte, soit le droit d’obtenir la cessation et/ou une réparation d’une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnus.
Qui plus est, le processus de détermination de la capacité, de recherche d’un emploi convenable et de réadaptation n’est-il pas un processus d’accommodement en soi? L’employeur, de pair avec la CSST et le syndicat, a évalué l’emploi prélésionnel du travailleur ainsi que les autres postes disponibles dans son établissement. Le constat, bien que malheureux pour ce dernier, indique qu’aucun emploi ne peut lui convenir.
Le travailleur aurait voulu qu’un poste soit créé pour lui ou que son emploi prélésionnel soit adapté pour qu’il puisse l’occuper à nouveau. Or, la jurisprudence a maintes fois reconnu que le devoir d’accommodement d’un employeur ne va pas jusqu’à créer un poste sur mesure pour un travailleur, et ce, peu importe le contexte.
De plus, en matière de détermination d’un emploi convenable selon la CSST, l’emploi doit présenter des possibilités raisonnables d’embauche. En adaptant un poste d’éducateur pour que le travailleur puisse l’occuper, ce critère n’aurait possiblement pas été respecté et le travailleur aurait pu, éventuellement, se retrouver sans emploi et sans possibilité d’embauche chez un autre employeur.
L’objectif de la détermination d’un emploi convenable n’est pas que le travailleur demeure chez le même employeur à tout prix. L’objectif est que le travailleur puisse exercer un emploi qui correspond à son profil, à ses capacités résiduelles et qu’il puisse gagner sa vie avec cet emploi.
Conclusion
Les conclusions de la décision du juge, si elles demeurent inchangées, auront pour effet d’alourdir le processus de détermination d’un emploi convenable par la CSST.
En effet, cette dernière, par l’intermédiaire d’un conseiller en réadaptation, devra évaluer la possibilité d’adapter un poste pour le travailleur et de l’imposer, s’il peut être adapté, afin qu’il puisse occuper un emploi convenable chez son employeur.
Les caractéristiques mêmes de l’emploi convenable devront être réévaluées afin de respecter le devoir d’accommodement de l’employeur et de la CSST. Verrons-nous apparaître une nouvelle notion d’emploi prélésionnel adapté?
La Cour d’appel se prononcera toutefois sur la question en 2015, car la CSST a obtenu la permission d’en appeler de la décision de la Cour supérieure[3]. Le débat reste donc tout entier!
Source : VigieRT, octobre 2014.
1 | 2014 QCCS 2580 (requête pour permission d’appeler accueillie : 2014 QCCA 1542). |
2 | Article 2 LATMP. |
3 | 2014 QCCA 1542. |