Le contexte
Lorsqu’un travailleur est indemnisé par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (ci-après, la CSST) en raison d’une lésion professionnelle subie au travail, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (ci-après, la LATMP) permet à l’employeur ou à la CSST d’exiger de ce travailleur qu’il se soumette à un examen médical par un professionnel désigné afin que ce dernier puisse statuer sur certaines questions médicales.
Un travailleur qui entrave cet examen médical ou refuse de s’y soumettre, sans raison valable, peut voir son indemnité de remplacement du revenu (ci-après, l’IRR) réduite ou suspendue par la CSST. À titre d’exemple, ce sera le cas lorsque le travailleur impose des conditions préalables au médecin examinateur pour tenir l’examen.
Ce fut le cas dans l’affaire Berrada et Commission scolaire de Montréal[2] où la travailleuse a imposé au médecin désigné par la CSST une condition préalable à la tenue de l’examen, soit celle de porter son voile en tout temps.
Les faits
La travailleuse exerce l’emploi d’éducatrice au service de garde à la Commission scolaire de Montréal lorsqu’elle subit, dans le cadre de son travail, une fracture du poignet droit et une entorse à l’épaule droite. Cet accident est reconnu par la CSST à titre de lésion professionnelle, et la travailleuse reçoit alors une IRR pendant son arrêt de travail.
La CSST se prévaut de son droit prévu à la LATMP et mandate un médecin expert afin d’examiner la travailleuse. Toutefois, cet examen ne se déroule pas comme prévu. En effet, le médecin demande à la travailleuse, qui porte un voile de style hijab, d’enfiler une jaquette par-dessus ses sous-vêtements et lui demande d’enlever son voile afin qu’il puisse examiner son épaule. Le médecin permet par ailleurs la présence d’un témoin féminin pendant l’examen. La travailleuse insiste cependant pour que le médecin procède à l’examen à travers ses vêtements et avec son voile. Elle propose de tenir le voile soulevé pendant l’examen, suggestion qui n’est pas retenue par le médecin. Après une discussion d’une durée de 40 minutes, le médecin met fin à l’examen.
Le médecin avise la CSST qu’il ne peut faire un examen adéquat à travers des vêtements, car il doit pouvoir manipuler les membres supérieurs et vérifier visuellement s’il y a déformation ou modification de la forme du membre et si la texture ou la couleur de la peau est modifiée notamment par une cicatrice.
Le lendemain, la CSST décide donc de suspendre le versement de l’IRR à la travailleuse en raison du fait qu’elle a entravé un examen médical requis par la loi sans raison valable. Cette suspension de l’IRR de la travailleuse dure une vingtaine de jours, soit jusqu’à la tenue complète d’un autre examen médical par un autre médecin.
La travailleuse conteste la décision de la CSST de suspendre son IRR à la CLP. Elle allègue que son propre médecin traitant ainsi que les autres professionnels de la santé, y compris le médecin expert de l’employeur, ont tous accepté de l’examiner avec son voile. Elle invoque qu’elle a également proposé une solution alternative de tenir son voile soulevé pendant l’examen, ce que le médecin de la CSST a refusé. À son avis, le refus de tenir l’examen est la conséquence unique du choix personnel du médecin de la CSST. Soulignons que la liberté de religion n’est pas invoquée et qu’elle ne fait donc pas l’objet d’une analyse par la CLP.
Le jugement de la CLP
La CLP doit déterminer si la suspension de l’IRR de la travailleuse était fondée. Elle doit donc d’abord trancher si le refus de la travailleuse de retirer son voile afin que le médecin de la CSST puisse procéder à l’examen de ses épaules constitue une entrave et, par la suite, si une telle entrave était justifiée par une raison valable.
D’entrée de jeu, la CLP souligne que les médecins sont liés par les principes édictés au Code de déontologie des médecins[3] qui leur impose de s’acquitter de leurs obligations professionnelles avec compétence et intégrité. De plus, les médecins ne peuvent exercer leur profession dans des circonstances susceptibles de compromettre la qualité de leurs actes ou la dignité de la profession. Enfin, ils doivent élaborer leur diagnostic avec la plus grande attention en utilisant les méthodes scientifiques les plus appropriées.
La CLP, qui est un tribunal spécialisé en matière de lésions professionnelles, est en mesure d’affirmer qu’un médecin doit pouvoir manipuler les membres supérieurs d’un travailleur et de faire les constatations qui s’imposent dans le cadre d’un examen physique objectif. Elle ne peut donc s’immiscer dans l’exercice des libertés professionnelles d’un médecin.
La CLP rappelle que la LATMP prévoit que tout travailleur victime d’une lésion professionnelle doit se soumettre à l’examen médical du professionnel de la santé désigné par la CSST[4].
De plus, l’article 142 LATMP prévoit ce qui suit en matière de suspension de l’IRR :
« 142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
(…)
2° si le travailleur, sans raison valable :
a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave; (…). »
Suivant la jurisprudence analysée, la CLP est d’avis que la notion « d’entrave » repose sur l’existence d’une action ou d’une manœuvre volontaire ayant pour effet d’entacher le résultat. Or, la travailleuse en l’espèce a imposé une condition à l’examen de l’expert, soit celui de porter son voile. Le médecin a expliqué pourquoi il ne pouvait procéder à un examen adéquat, et la CLP ne peut dicter dans quelles conditions ou de quelle manière il devait conduire son examen objectif.
De plus, ce médecin ne peut être lié par les méthodes de ceux qui ont procédé avant lui à un examen. Ainsi, le médecin de la CSST avait le droit de déterminer s’il était nécessaire ou non que la travailleuse retire son voile afin d’examiner ses épaules. Au surplus, la CLP ne peut intervenir devant le refus du médecin d’acquiescer à la suggestion de la travailleuse de tenir son voile soulevé pendant l’examen, car cette décision lui revenait. De toute manière, ce refus serait justifié du fait que les épaules de la travailleuse n’auraient pas été en position neutre et que le médecin n’aurait pas pu comparer les deux épaules.
Malgré les longs échanges lors de l’examen, la travailleuse savait que le médecin refusait de procéder à l’examen avec la condition posée et a tout de même persisté dans son refus. Contrairement à la prétention de la travailleuse, la situation ne découle pas du choix personnel du médecin de la CSST, mais des exigences de la travailleuse quant à la manière dont il devait conduire son examen.
C’est la travailleuse elle-même qui a créé un obstacle à la tenue de l’examen, ce qui constitue alors une entrave au sens de l’article 142 LATMP.
Qu’en est-il maintenant de l’existence d’une raison valable? À ce sujet, la CLP rappelle qu’il revenait à la travailleuse de démontrer l’existence de motifs expliquant son entrave à l’examen médical. Or, la travailleuse n’a donné aucune explication au soutien de son refus. Étant donné que la preuve est muette à ce sujet, la CLP n’a pas d’autres choix que de conclure qu’il y avait absence de motifs valables expliquant cette entrave, et qu’en application de l’article 142 LATMP, la CSST était justifiée de suspendre les versements de l’IRR à la travailleuse jusqu’à ce qu’un nouvel examen soit pratiqué.
Conclusion
Il faut donc retenir qu’un travailleur qui est victime d’une lésion professionnelle a des obligations légales, dont notamment celle de se soumettre lorsque la CSST ou son employeur exigent un examen médical par un professionnel de la santé. Le travailleur ne peut refuser de s’y soumettre ni entraver une telle démarche sans raison valable. En cas d’entrave ou de refus, il est possible de demander à la CSST de suspendre ou de réduire l’IRR reçue par le travailleur.
Pour obtenir des renseignements sur le cabinet ou pour consulter ses publications, cliquez ici.
Source : VigieRT, avril 2014.
1 | L.R.Q. c. A-3.001. |
2 | 2014 QCCLP 734. |
3 | L.R.Q. c. M-9, r. 17. |
4 | Article 204 LATMP. |