L’article 2089 C.c.Q se lit comme suit :
2089. Les parties peuvent, par écrit et en termes exprès, stipuler que, même après la fin du contrat, le salarié ne pourra faire concurrence à l’employeur ni participer à quelque titre que ce soit à une entreprise qui lui ferait concurrence.
Toutefois, cette stipulation doit être limitée, quant au temps, au lieu et au genre de travail, ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur.
Il incombe à l’employeur de prouver que cette stipulation est valide.
Les tribunaux ont été, depuis quelques années, divisés en deux courants : l’un exigeant l’application des critères de l’article 2089 C.c.Q et l’autre exigeant le contraire. Cependant, sous réserve de ce qui suit et de certaines mises en garde, il semble loisible de prétendre que, depuis la décision Payette, les clauses de non-sollicitation, tous contrats confondus, n’ont pas besoin de comporter une portée territoriale.
En septembre 2004, une entreprise se spécialisant dans la location de grues achète les actifs d’une entreprise concurrente. Le contrat de vente d’actifs comporte des engagements distincts de non-concurrence et de non-sollicitation de la part des actionnaires vendeurs, dont l’appelant.
Afin de faciliter une transition harmonieuse, il est également prévu que l’appelant sera à l’emploi de l’acheteur à titre de consultant pendant une certaine période, après quoi la relation d’emploi pourrait se poursuivre selon la volonté des parties. Dans les faits, il sera à l’emploi de celui-ci jusqu’au 3 août 2009, soit le moment de son congédiement sans cause.
Le 29 mars 2010, l’appelant conclut un contrat de travail avec une entreprise concurrente de l’acheteur, qui intente un recours en injonction afin de le forcer à respecter les obligations de non-concurrence et de non-sollicitation contenues au contrat de vente d’actifs de 2004. Ces clauses restrictives devaient être respectées pendant cinq ans à partir de la fin de l’emploi de l’appelant chez l’acheteur.
Dans une décision unanime sous la plume du juge, la plus haute Cour du pays arrive à la conclusion que c’est en raison de la vente d’actifs que l’appelant s’était engagé à ne pas concurrencer l’acheteur. Dans ces circonstances, les critères de validité des clauses restrictives dans un contrat de travail contenus au C.c.Q. ne sont pas applicables. Dans le contexte d’une transaction commerciale, une clause restrictive est valide à moins que l’on puisse établir, par une preuve prépondérante, que sa portée est déraisonnable compte tenu du contexte dans lequel elle a été négociée.
Cela dit, la Cour se penche également sur la validité d’une clause de non-sollicitation n’ayant aucune portée territoriale. À la lumière des clauses restrictives, le juge conclut qu’une clause de non-sollicitation n’a pas besoin d’être assortie d’une portée territoriale pour être valide puisque la portée territoriale « peut être aisément circonscrite par l’analyse de la clientèle ciblée ». Ainsi, la Cour semble affirmer que la portée territoriale d’une clause de non-sollicitation n’a pas besoin d’être explicitement citée puisqu’elle est déterminable par, le cas échéant, l’énumération de la clientèle ciblée. Au soutien de sa décision, le juge mentionne que « l’économie moderne et notamment les nouvelles technologies » ne limitent plus la clientèle d’un point de vue géographique, ce qui témoigne généralement du caractère obsolète d’une limitation territoriale dans une clause de non-sollicitation. » La réalité commerciale rend en effet la rédaction de clauses de non-sollicitation comportant une limite territoriale pour le moins complexe, tant sur le plan théorique que pratique. À l’heure de la mondialisation des marchés, les notions de sollicitation et de frontières géographiques sont plus ou moins conciliables aux yeux de la Cour.
Toutefois, les employeurs ne peuvent crier victoire aussi rapidement. Ce constat semble à priori régler la controverse jurisprudentielle existante relativement à l’application des critères de l’article 2089 C.c.Q. (et ce, par opposition aux clauses de non-concurrence). En effet, cette controverse concernait le fait que les employeurs devaient appliquer les critères de l’article 2089 C.c.Q. Les critères permettant d’évaluer la raisonnabilité des clauses sont les suivants : la clause doit être limitée quant au temps, au lieu et au genre de travail. Cependant, très rares sont les situations où les tribunaux se sont penchés sur l’obligation d’inclure une portée territoriale à la clause de non-sollicitation en raison de la mobilité de la clientèle à l’ère de la mondialisation.
Cependant, comme nous l’enseigne la Cour suprême dans Payette, il est essentiel d’évaluer le contexte des clauses restrictives. En l’espèce, le contrat comportait des engagements distincts de non-concurrence et de non-sollicitation. Ainsi, la présence de ces clauses différentie ce type de contrats d’emploi de ceux comportant uniquement une clause de non-sollicitation qui pourrait, dans certaines circonstances, s’apparenter à une clause de non-concurrence, notamment par la présence de termes tels « faire affaire ». Dans une telle situation, il est raisonnable de croire que les critères de l’article 2089 C.c.Q. s’appliqueraient. Ce faisant, un tribunal pourrait déterminer que les clauses de non-sollicitation s’apparentent plutôt à des clauses de non-concurrence et donc rendrait nécessaire l’application des critères de 2089 C.c.Q. À cet égard, force est de constater que l’article 2089 C.c.Q. réfère, non pas à la concurrence de façon générique et abstraite, mais plutôt à une « stipulation de non-concurrence ». En somme, une clause de non-sollicitation rédigée avec une portée tellement large qu’elle empêche, dans les faits, le salarié de rendre des services à certaines personnes pourrait être assimilée à une clause de non-concurrence et pourrait, par conséquent, devoir être strictement limitée dans le temps, au lieu et au genre de travail. Ainsi, il revient à l’employeur de démontrer au tribunal la validité de ces stipulations selon les exigences cumulatives prévues à l’article 2089 C.c.Q.
La Cour affirme qu’en présence d’un contrat comportant un engagement de non-concurrence ET d’un engagement de non-sollicitation, cette dernière n’aurait pas besoin d’une portée territoriale. Dans ces circonstances, sous réserve de ce qui est mentionné précédemment, il appert que les employeurs pourraient rédiger leur clause de non-sollicitation sans nécessairement avoir besoin d’inclure une portée territoriale. Cela dit, le contexte de la rédaction et le contenu des clauses restrictives sont des éléments essentiels à analyser avant d’en arriver à une telle conclusion.
Par ailleurs, les commentaires de la Cour semblent s’appliquer tant à l’égard des clauses contenues dans un contrat de travail que de celles contenues dans un contrat de vente d’actifs. Bien que certains soient tentés de distinguer cet arrêt sur la base du fait que l’analyse de la Cour portait sur des clauses restrictives contenues dans un contrat de vente d’actifs, une lecture complète de la décision démontre que la position et les commentaires de la Cour valent également pour de telles clauses incluses dans un contrat de travail, notamment parce que la Cour cite, dans ses motifs, des décisions s’apparentant au droit de l’emploi.
Cette décision vient ainsi tracer une nouvelle avenue eu égard à l’interprétation des clauses de non-sollicitation qui sera probablement définie davantage par les tribunaux lors de leurs prochaines décisions. En effet, il est légitime de s’attendre à ce que les tribunaux étudient en profondeur la question de la portée territoriale à la suite de ce récent arrêt de la Cour suprême.
Source : VigieRT, octobre 2013.
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