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La perte temporaire d’un permis de pratique peut entraîner un congédiement

Dans l’affaire Hôpital Santa Cabrini et Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ)[1], l’arbitre a rejeté un grief qui contestait le congédiement d’une infirmière causé par la radiation temporaire de son permis de pratique.

8 octobre 2013
Me Anne-Marie Bertrand, CRIA

Les faits
La fin d’emploi de la salariée est survenue à la suite d’une décision du conseil de discipline de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec du 19 juillet 2011 alors qu’il la déclarait coupable d’avoir contrevenu à l’article 16 du Code de déontologie des infirmières et infirmiers suivant lequel une infirmière doit s’abstenir d’exercer sa profession alors qu’elle est dans un état susceptible de compromettre la qualité des soins et des services qu’elle prodigue. Le conseil la radiait du tableau de l’Ordre pour une période de six mois. Cette décision lui a été signifiée le 26 juillet 2011 alors qu’elle était en période de congé annuel.

Le 4 août 2011, la salariée adressait à l’employeur une demande de congé à traitement différé pour la période de sa radiation. Un représentant de l’employeur a avisé la salariée de façon verbale que cette demande était refusée puisque le préavis de deux mois n’avait pas été respecté.

Par la suite, la salariée a adressé verbalement une demande de congé sans solde, d’une durée équivalant à sa radiation, auprès d’un représentant de l’employeur. La salariée indique qu’elle n’a pas fait de demande écrite pour ce congé sans solde. Elle pensait qu’une demande verbale serait suffisante.

Le 23 août 2011, l’Ordre avisait formellement la directrice des soins infirmiers de l’employeur de cette radiation, qui prenait effet le 26 août 2011.

À la suite de la réception de cette sentence, l’employeur a décidé de procéder à la fermeture administrative du dossier de la salariée au motif que cette situation ne lui permettait plus d’exercer sa profession d’infirmière et par conséquent d’occuper son poste.

La convention collective
La convention collective liant les parties prévoit la possibilité pour une infirmière de se prévaloir d’un congé à traitement différé. La convention prévoit que la salariée qui désire en bénéficier doit en faire la demande par écrit au moins deux mois à l’avance. Elle doit préciser la durée de sa participation au régime de congé à traitement différé, la durée du congé qu’elle recherche et la date à compter de laquelle elle veut s’absenter. La convention ajoute que ces modalités doivent faire l’objet d’une entente avec l’employeur et qu’elles doivent être consignées sous la forme d’un contrat écrit.

La convention collective prévoit également la possibilité d’obtenir un congé sans solde. Les conditions d’obtention de ce congé sans solde sont prévues dans les dispositions locales. Suivant celles-ci, la salariée qui désire un congé sans solde de plus de quatre semaines doit en faire la demande au moins soixante jours à l’avance. L’employeur doit l’informer de sa réponse par écrit dans les trente jours qui suivent la demande. Les dispositions locales prévoient spécifiquement qu’une infirmière peut demander un congé sans solde lorsque son permis de pratique est suspendu. Toutefois, les parties ont pris soin d’ajouter que cette disposition n’a pas pour effet d’empêcher l’employeur d’imposer une suspension ou un congédiement.

La position des parties
Devant l’arbitre, il y a eu un débat entre les parties quant à la nature de cette mesure, à savoir s’il s’agissait d’une mesure administrative ou d’une mesure disciplinaire. L’employeur affirmait qu’il s’agissait d’une mesure administrative. La salariée a été remerciée parce qu’elle ne satisfaisait plus aux conditions requises pour exercer sa profession, ayant perdu son permis de pratique. Il s’agissait d’un élément essentiel au maintien de son lien d’emploi. Or, celui-ci n’existait plus. L’employeur alléguait que la salariée ne pouvait plus travailler pour celui-ci comme infirmière et qu’il n’était alors plus tenu de la garder à son emploi. Par conséquent, les pouvoirs d’intervention de l’arbitre dans le cas d’une fin d’emploi pour des motifs non disciplinaires sont limités. L’arbitre ne pouvait modifier la mesure administrative que s’il en venait à la conclusion que l’employeur avait agi de façon abusive, discriminatoire ou déraisonnable.

Le syndicat prétendait quant à lui qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire et même d’une double sanction puisque l’employeur avait été l’instigateur de la plainte devant l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec et que la salariée avait fait l’objet d’une suspension disciplinaire pour les mêmes manquements en 2007.Il était également d’avis que le congédiement de la salariée contrevenait à la Charte des droits et libertés de la personne puisque ces manquements s’expliquaient, à cette époque, par une dépendance de la salariée à l’alcool. Cette dépendance constituait un handicap. Le syndicat prétendait donc que l’employeur avait remercié la salariée en raison des conséquences liées à son ancienne dépendance.

De plus, le syndicat soutenait que l’employeur avait fait preuve de mauvaise foi et d’un comportement abusif à l’endroit de la salariée en refusant les différents congés. L’employeur avait, selon le syndicat, l’obligation de lui offrir l’option d’un congé sans solde. Le syndicat finalement a fait valoir que l’employeur a vu dans la sanction de l’Ordre, une occasion de se défaire de la salariée dont il était insatisfait. Par conséquent, le comportement de l’employeur dans les circonstances de la présente affaire pouvait être qualifié d’opportuniste. L’opportunisme selon le syndicat est contraire à la bonne foi.

La nature de la mesure
L’arbitre conclut qu’il est évident que l’employeur a imposé une mesure non disciplinaire, donc une mesure administrative. Il retient que le motif du congédiement de la salariée est sa radiation provisoire de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec. Tant en raison de la Loi sur les infirmières et infirmiers[2] que de la convention collective, l’infirmière doit être titulaire d’un permis d’exercice valide si elle entend pratiquer sa profession. De plus, la description de l’emploi apparaissant à la convention collective est claire à cet égard, en ce que l’infirmière « doit détenir son permis d’exercice de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec ».En raison de la décision du conseil de discipline, la salariée ne pouvait plus exercer sa profession, et l’employeur tant en raison de la Loi que des dispositions de la convention collective ne pouvaient l’autoriser à assumer les tâches et les responsabilités d’une infirmière.

Il ne s’agit pas d’une double sanction
L’argument de la double sanction est rejeté. La double sanction consiste en l’imposition de deux sanctions disciplinaires pour un même manquement, alors que la première a un caractère définitif et qu’elle rend imprévisible l’imposition de la seconde. Les deux sanctions doivent être d’une même nature. Un même événement peut en effet entraîner une mesure disciplinaire et une mesure non disciplinaire, s’il révèle l’incapacité du salarié à accomplir son travail et met en cause sa compétence. Le cas échéant, ce salarié ne peut prétendre avoir fait l’objet d’une double sanction. Finalement, les deux mesures doivent concerner le même employeur, le même salarié et la même faute. L’arbitre conclut que, dans la présente affaire, la première mesure imposée par l’employeur à la suite des manquements de la salariée (soit une suspension) et le grief à l’encontre de celle-ci ont déjà fait l’objet d’un règlement. En effet, l’hôpital s’était engagé à retirer la lettre qui avisait la plaignante de sa suspension et des motifs pour lesquels elle avait été relevée de ses fonctions et à l’indemniser pour sa perte de salaire. La deuxième mesure, soit la décision à l’origine de la fermeture de son dossier et de la fin de son emploi, est une décision du conseil de discipline de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec. Il s’agit d’un ordre professionnel sur lequel l’employeur n’a aucun contrôle ni aucune prise, qui a sanctionné un manquement à une obligation légale de la salariée prévue à son Code de déontologie. L’arbitre conclut donc que la décision de l’employeur ne punit pas une seconde fois la plaignante. Elle est plutôt la conséquence d’une décision prise par un tiers qui rendait la salariée inhabile à exercer sa profession. Les mesures prises par l’Ordre et l’employeur ne sont pas d’une même nature et ne l’ont pas été par les mêmes personnes.

La Charte des droits et libertés de la personne ne peut être invoquée
L’arbitre rejette l’argument suivant lequel la salariée aurait été pénalisée en raison de son problème de dépendance à l’alcool en 2007, et ce, contrairement aux règles découlant de la Charte. D’une part, la salariée nie avoir un problème de dépendance et d’autre part, la décision de l’employeur ne s’appuie pas sur une condition qui handicapait la salariée en 2007. Elle résulte des conséquences d’une décision rendue par un conseil de discipline qui avait pour effet d’empêcher la salariée d’exercer son emploi.

L’arbitre conclut qu’« un employeur peut indiscutablement mettre fin à l’emploi d’un salarié qui, en raison d’une décision de son ordre professionnel, est incapable d’exercer sa profession. Un des éléments nécessaires à la subsistance de son lien d’emploi n’existe plus »[3].

La bonne foi
L’arbitre rappelle toutefois que cette faculté de mettre fin à un emploi, dont dispose l’employeur, demeure assujettie à l’obligation de bonne foi prévue au Code civil du Québec. Ainsi, un employeur ne peut exercer d’une manière abusive son droit de mettre fin à l’emploi d’un salarié pour un motif non disciplinaire. L’arbitre rappelle que la bonne foi est une notion difficile à cerner :

« Elle a un sens subjectif et un sens objectif. Dans le premier cas, elle suppose l’absence d’intention malicieuse ou d’intention d’agir de façon contraire à la loi. Selon Baudoin et Jobin, la bonne foi dite objective a un sens beaucoup plus large, soit celui de la norme de comportement acceptable. Une personne peut donc être de bonne foi parce qu’elle agit sans une intention de nuire, mais agir tout de même à l’encontre des exigences de la bonne foi parce qu’elle viole des normes de comportement objectives et généralement admises dans la société. [...][4]  »

L’arbitre conclut que, dans les circonstances, la décision de l’employeur de refuser à la salariée un congé à traitement différé qu’elle sollicitait peut paraître intempestive. Par contre, cette décision n’a pas été contestée au moyen d’un grief. Elle est donc devenue définitive, et la salariée tout comme le syndicat ne peuvent la remettre en question. L’arbitre rappelle que la décision du conseil de discipline fait en sorte que la salariée ne pouvait plus exercer sa profession pour une période de six mois et qu’aucune disposition de la convention collective ni aucune clause des dispositions locales n’obligeaient l’employeur de l’affecter dans un autre service ou de la replacer dans d’autres fonctions. L’arbitre termine en rappelant que les dispositions locales prévoient certes que l’employeur peut accorder un congé sans solde à une infirmière dont le droit de pratique a été suspendu par l’Ordre. Par contre, la salariée n’a jamais formellement, par écrit, fait une pareille demande. Elle a préféré faire une demande de congé à traitement différé. Lorsqu’elle a été avisée que ce congé lui était refusé, elle n’a pas contesté cette décision, elle a présumé que sa demande serait traitée comme une demande de congé sans solde. Or, les modalités pour demander un congé sans solde n’ont pas été respectées puisqu’il doit y avoir une demande écrite au moins soixante jours à l’avance. Par conséquent, dans les circonstances, l’arbitre conclut qu’il ne peut se convaincre que l’employeur a fermé le dossier de la salariée pour une raison différente de celle qu’il invoque et que sa radiation n’était qu’un prétexte pour la congédier.

Il rejette par conséquent le grief au motif qu’il ne peut trouver de raison pour casser la décision de l’employeur sans s’immiscer dans le droit de l’exercice de ces prérogatives de direction. Il termine en affirmant que le syndicat ne l’a pas convaincu que cette décision heurte des normes de comportement généralement admises dans la société ou plus particulièrement en milieu hospitalier.

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Source : VigieRT, octobre 2013.


1 Griefs nos 644298, 644299 et 644302 (Rolande Gagnon).
2 L.R.Q. c. I -8.
3 Précitée, note 1, p. 24.
4 Précitée, note 1, pp. 24-25.

 


Author
Me Anne-Marie Bertrand, CRIA Avocate associée Monette Barakett senc