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Le « whistleblowing » : toujours d’actualité!

L’utilisation du terme whistleblowing est fort répandue en milieu de travail. Il se définit comme la dénonciation publique par un employé de renseignements concernant son employeur et de pratiques de ce dernier jugées illégales ou contraires à l’intérêt public. Cette dénonciation peut porter sur plusieurs sujets : actes frauduleux ou dérogatoires, non-respect des lois pertinentes en matière de relation d’emploi, abus de systèmes, pots-de-vin, injustices flagrantes, etc.[1].

24 septembre 2013
Marie-Hélène Dorion

De nombreux articles ont été écrits à ce sujet à la suite de différents scandales qui ont éclaboussé le monde financier depuis le début du 21e siècle. Plus récemment, des événements nous ont rappelé que ce phénomène est toujours d’actualité. En effet, nul besoin de chercher bien loin : il suffit de penser à la Commission Charbonneau qui, bien qu’elle ne traite pas exclusivement de questions relatives à l’emploi, a pour objet de faire la lumière sur les allégations de corruption dans la gestion et l’octroi de contrats publics dans le domaine de la construction. Ainsi, le phénomène du « whistleblowing », même s’il existait auparavant, prend de nouveau son importance dans ce contexte.

L’obligation de loyauté et le droit à la liberté d’expression
La dénonciation en milieu de travail a pour particularité de mettre en opposition l’obligation de loyauté[2] de l’employé envers son employeur et son droit à la liberté d’expression prévu par la Charte québécoise des droits et libertés[3]. Rappelons que l’obligation de loyauté de l’employé implique, entre autres, que ce dernier doit agir avec fidélité, discrétion et bonne foi afin de ne pas porter préjudice à son employeur. Toutefois, bien que l’obligation de loyauté limite en quelque sorte la liberté d’expression d’un employé, elle n’anéantit pas son droit de dénoncer des pratiques jugées illégales au sein de l’entreprise pour laquelle il travaille. Ce droit est néanmoins subordonné à certaines conditions.

Les conditions d’application
Ainsi, le « whistleblowing » est généralement une défense qu’un employé invoque contre l’imposition d’une mesure disciplinaire à la suite d’une dénonciation publique qu’il a faite. Toutefois, afin que cette défense soit pertinente, un certain nombre de facteurs doivent être considérés. De ce fait, afin de déterminer si l’employé pouvait outrepasser son obligation de loyauté en recourant à la dénonciation publique de son employeur, nous tiendrons compte notamment des facteurs suivants :

  1. du fait que la dénonciation publique doit être exercée de manière exceptionnelle et en dernier recours après que l’employé a épuisé tous les moyens internes mis à disposition;

  2. de la bonne foi de l’employé qui ne doit pas recourir à ce moyen par simple vengeance ou avec l’intention de nuire et qui doit plutôt justifier son comportement par des motifs sérieux et objectifs;

  3. de l’ampleur de l’intervention de l’employé par rapport à l’objectif poursuivi;

  4. de l’exactitude des éléments dénoncés et du fait que l’employé croit comme véridique ce qu’il dénonce (il doit prendre les moyens pour s’assurer de la véracité de ce qu’il dénonce).

La jurisprudence démontre que nous ne pouvons reprocher à l’employé, lorsque les conditions mentionnées sont remplies, l’ampleur médiatique[4] que peut prendre cette dénonciation.

Récemment, dans l’affaire Association des employés du Nord québécois c. Commission scolaire Kativik (2013 CanLII 26260 QC SAT), le droit à la dénonciation publique a été invoqué dans le cadre d’un grief déposé par un employé à l’encontre de son employeur afin de réclamer des dommages et autres mesures (lettre de recommandation, excuse publique, etc.) pour atteinte à la réputation.

Dans cette affaire, le plaignant, un enseignant, avait décidé de dénoncer dans les médias la situation de violence dont les enseignants dans le Grand Nord étaient victimes. Après cette dénonciation, une série d’articles ont été écrits à ce sujet. Tant l’employeur que le syndicat, de même que d’autres dénonciateurs anonymes, ont partagé leurs vues sur le sujet à travers les médias, ce qui a engendré une vague de titres accrocheurs à caractère péjoratif. En raison de certaines déclarations de l’employeur, le syndicat l’a alors mis en demeure alléguant qu’il avait mis en doute le professionnalisme du plaignant.

Dans le cadre de l’audition, selon l’employeur, le plaignant avait lui-même porté atteinte à la réputation de la Commission et violé son obligation de loyauté. Le plaignant, quant à lui, alléguait qu’il avait épuisé tous les recours internes, que la sécurité des enseignants était une question d’intérêt public et que, dans ce contexte, il pouvait recourir au « whistleblowing ».

Dans cette affaire, la décision de l’arbitre soutient que le plaignant a respecté tous les facteurs permettant le « whistleblowing ». Selon elle, le fait que le plaignant n’ait pas déposé de grief dénonçant la violence n’empêche pas que le plaignant ait exercé des recours équivalents en signalant la situation auprès de toutes les instances susceptibles d’agir. Ainsi, le recours à l’arbitrage, dans ce contexte, n’était pas essentiel. Par conséquent, l’arbitre a fait droit au grief et a accordé des dommages de 15 000 $ pour l’atteinte à la réputation du plaignant avec l’obligation à l’employeur de lui fournir une lettre de recommandation attestant de son professionnalisme.

Les protections législatives
Au Québec, certaines lois régissant les relations d’emploi prévoient des recours particuliers pour les employés qui s’estiment être victimes de mesures de représailles à la suite de la dénonciation publique d’une pratique qu’ils jugent illégale et qui est exercée au sein de l’entreprise pour laquelle ils travaillent. C’est le cas de la Loi sur les normes du travail[5] (ci-après « L.N.T. ») et de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[6] qui, par l’intermédiaire de leurs dispositions, confèrent une certaine immunité aux employés dénonciateurs. L’article 122 (7) de la L.N.T. prévoit qu’il est interdit à un employeur ou à son agent de congédier, de suspendre ou de déplacer un salarié, d’exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou des représailles ou de lui imposer toute autre sanction en raison d’une dénonciation qu’il a faite d’un acte répréhensible ou de sa collaboration à une vérification ou à une enquête portant sur un tel acte. Mentionnons toutefois que les dispositions de ces outils législatifs, bien qu’elles permettent l’annulation d’une mesure de représailles imposée par l’employeur, ne visent pas directement à punir ce dernier. Pour ce faire, il faudra plutôt se référer aux dispositions qui se trouvent au Code criminel[7], lesquelles criminalisent l’imposition de sanctions à des dénonciateurs et sanctionnent l’employeur directement.

Comment favoriser la dénonciation interne
Afin de s’assurer que certaines situations ne sont pas rendues publiques par leurs employés, il est préférable que les employeurs prévoient des mécanismes favorisant la dénonciation interne de manière confidentielle, de telle sorte qu’un employé ne soit pas dans l’obligation de recourir à la dénonciation publique.

Le meilleur moyen demeure de se doter d’une politique d’entreprise encadrant la dénonciation. Une telle politique a pour avantage de définir les étapes de la dénonciation interne ainsi que de la favoriser et de l’encourager. Il demeure essentiel d’assurer aux employés le traitement diligent et impartial de la dénonciation, soit la préservation, autant que possible, de l’identité du dénonciateur, de même que le respect de la confidentialité. En sus de ce qui précède, l’employeur devrait également prévoir dans sa politique un processus d’enquête interne et externe, au besoin.

Conclusion
En cas de dénonciation interne, il faut prendre au sérieux toute allégation d’actes répréhensibles susceptibles de nuire à l’entreprise et utiliser tous les moyens afin d’éviter que la dénonciation devienne publique. À l’inverse, tout employé qui effectue une dénonciation devra respecter les conditions susmentionnées s’il ne veut pas se voir imposer des mesures disciplinaires. Le fait de ne pas avoir respecté les conditions d’application ne donnera toutefois pas nécessairement ouverture à un recours en diffamation contre l’employé.

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Source : VigieRT, septembre 2013.


1 À ce sujet, voir l’ouvrage : CANTIN I et J-M, La dénonciation d’actes répréhensibles en milieu de travail ou whistleblowing, Éditions Yvon Blais, 2005.
2 Article 2088 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64.
3 Charte des droits et libertés de la personne , c. C -12, article 3.
4 Voir notamment : Société canadienne des postes et Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2005, RJDT, 1284, page 1308 et Association des employés du Nord québécois c. Commission scolaire Kativik, 2013 CanLII 26260 (QC SAT).
5 L.N.T., c. N-1.1, article 122 (7).
6 L.S.S.T., c. S-2, article 30.
7 C. cr., L.R.C. (1985), ch. C-46, article 435.1.

Marie-Hélène Dorion