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Refus de se soumettre à un examen médical : congédiement?

Le congédiement administratif est-il justifié en cas d’un tel refus, voici un jugement à ce sujet.
12 février 2013
Charles Wagner

L’absentéisme au travail est un problème avec lequel les employeurs doivent composer constamment dans la gestion de leurs ressources humaines. Cette réalité est d’autant plus difficile à gérer parce qu’il existe de multiples sortes de causes d’absentéisme. En effet, les causes peuvent être à la fois attribuables au salarié et au contexte entourant la prestation de travail. L’absentéisme engendrant des coûts importants pour les employeurs, ceux-ci ont la responsabilité de gérer de la façon la plus efficace et efficiente possible ce problème inévitable.

À cet égard, la jurisprudence reconnaît, de façon générale, le droit de l’employeur de gérer son entreprise et ses affaires de manière à protéger ses intérêts légitimes. L’état de santé des salariés qui sont à son emploi est, dans cette optique, susceptible de constituer une préoccupation pour l’employeur.

Dans certaines circonstances, il est reconnu que l’employeur peut vérifier l’état de santé d’un salarié en exigeant qu’il se soumette à un examen médical. Donc, en principe, un employeur peut s’assurer qu’un salarié est en état d’exécuter sa prestation normale de travail de manière à ne pas représenter un danger ou un risque indu pour sa propre santé et sa propre sécurité ou pour celles d’autrui. Il en sera ainsi lorsque l’employeur a des motifs sérieux de croire que la condition physique ou mentale du salarié ne lui permet pas d’exécuter ses tâches, ou encore lorsqu’un salarié absent du travail pour cause de maladie présente des certificats médicaux imprécis ou incomplets qui ne permettent pas à l’employeur d’évaluer le bien-fondé des motifs de son absence ou de la durée de celle-ci.

Les pouvoirs de l’employeur de requérir des renseignements sur l’état de santé de ceux qui sont à son emploi peuvent également découler de l’obligation qui lui incombe, en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[1] et du Code civil du Québec.

Ce pouvoir de l’employeur d’exiger qu’un salarié se soumette à un examen médical est cependant limité par le droit de ce dernier à l’inviolabilité de sa personne et au respect de sa vie privée et de son intégrité. Au Québec, ces droits revêtent un caractère fondamental et sont consacrés à la Charte des droits et libertés[2] de la personne ainsi qu’au Code civil du Québec.

La jurisprudence reconnaît que les éléments relatifs à l’état de santé d’un individu sont une composante de sa vie privée. Cependant, le droit au respect de la vie privée, comme les autres droits fondamentaux, n’est pas un droit absolu. Outre le fait que le salarié peut y renoncer, ce droit doit être analysé à la lumière de celui de l’employeur, dans le cadre du contrat individuel de travail, de voir à la protection de ses intérêts légitimes.

Dans l’éventualité où l’employeur exige qu’un salarié se soumette à un examen médical ou, à défaut, lorsqu’il requiert un tel examen médical en vertu de ses droits de gérance pour des motifs raisonnables, celui qui refuse d’acquiescer à une telle demande légitime de l’employeur pourra se voir imposer une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’à son congédiement.

Un arbitre de grief a récemment rendu une décision validant un congédiement administratif. Dans la décision, Syndicat des travailleuses et travailleurs des centres d’hébergement du Grand Montréal – CSN et Résidence Navarro, s.e.c. (9168-4282 Québec inc.)[3], l’employeur a congédié administrativement une salariée parce qu’elle avait refusé de se soumettre à un examen médical. Dans cette décision, la salariée, une secrétaire-réceptionniste, avait un taux d’absentéisme que l’arbitre considère comme « vertigineux » et « ahurissant », soit une moyenne d’absentéisme de 40,87 % en 4 ans. Étant aux prises avec des problèmes de gestion dans l’entreprise, l’employeur avait besoin d’une mise à jour de la situation de la salariée. C’est ainsi qu’il a demandé à la salariée de se faire examiner par un expert. Cependant, cette dernière a refusé en alléguant qu’elle n’était pas une accidentée du travail.

Après plusieurs tentatives de l’employeur, la salariée a toujours manifesté son refus notamment en écrivant des lettres à cet effet. De surcroît, même le président du syndicat a été incapable de la convaincre. Finalement, ce fut la vice-présidente aux griefs du syndicat qui réussit à la convaincre. Malgré cela, lors de l’évaluation, la salariée ne collabora pas, notamment en ne donnant aucune information sur sa santé et en indiquant au docteur qu’elle voulait quitter l’entrevue puisqu’elle en avait assez. En conséquence, l’employeur a mis fin administrativement à l’emploi de la salariée parce qu’il ne disposait pas de pronostic sur la capacité future de celle-ci.

L’arbitre a considéré que l’employeur avait bien agi en congédiant administrativement la salariée. Au passage, l’arbitre répond à l’argument de cette dernière en déterminant qu’un salarié n’a pas à recevoir des prestations de la CSST pour que son employeur puisse le faire examiner par un médecin de son choix. Il mentionne également que « s’il y a un fort taux d’absentéisme ou une maladie qui peut paraître “questionnable” par l’employeur, ce dernier peut requérir un examen médical par un médecin de son choix. »

Pour justifier sa décision, l’arbitre se rapporte à un article de la convention collective relatif aux pouvoirs de l’arbitre en matière administrative en mentionnant que sa compétence est limitée puisqu’il s’agit d’une mesure administrative et que, par conséquent, il ne peut casser le congédiement administratif, imposer une suspension pour insubordination ou ordonner un nouvel examen médical.

Somme toute, la décision mentionnée précédemment ouvre la porte au congédiement administratif pour avoir refusé de se soumettre à un examen médical ou démontré une absence totale de collaboration. Cela étant dit, il ne faut pas tenir pour acquis que le congédiement administratif s’applique à toutes les circonstances. Évidemment, les balises entourant cette mesure demeurent les mêmes. Cependant, cette décision est venue ouvrir la voie et élargir, d’une certaine façon, la légitimité du congédiement administratif dans des circonstances d’absentéisme excessif.

Ce problème étant une réalité inévitable pour les employeurs, il est fort à croire que certains d’entre eux s’inspirent de cette décision pour gérer certains de leurs employés. Bref, il ne serait pas surprenant de voir d’autres décisions de cette nature dans un avenir rapproché.

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Source : VigieRT, février 2013.


1 L.R.Q. c. S-21
2 L.R.Q. c. S-12.
3 D.T.E. 2012T-716

Charles Wagner