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L’ADN du conseiller syndical

Le conseiller syndical doit plus que jamais faire preuve de créativité, de flexibilité, d’écoute et de diplomatie pour s’adapter aux nouvelles réalités de son métier. Trouver des solutions demeure son premier objectif, voire sa principale motivation.

14 mai 2012
Étienne Plamondon-Émond

Ainsi, Daniel Cloutier, permanent au Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCCEP), rapporte qu’il a reçu, la veille de Noël, un appel d’employés sur le point d’utiliser leur droit de refus, disant que la santé et la sécurité des travailleurs étaient en danger. L’usine risquait d’être paralysée. De son côté, le patron a fait pression sur lui en disant que la suite des choses ne se déroulerait pas rondement si l’entreprise arrêtait ses activités en cette journée. « Tu ne peux pas te contenter de dire : “Débrouillez-vous!” », observe Daniel Cloutier. Il raconte être intervenu pour convaincre les employés que le problème, déjà noté par le syndicat, pouvait attendre deux semaines et que le moment était stratégiquement mal choisi pour faire valoir ces revendications. Même si une telle expérience ne constitue pas la règle, voilà une situation extrême dans laquelle le conseiller syndical travaillant pour une centrale peut parfois se retrouver de manière impromptue.

À la recherche de solutions gagnant-gagnant
Nancy Hénault, CRIA, conseillère syndicale à la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), voit dans son métier l’exigence de maintenir une ambiance propice aux ententes. « C’est peut-être notre rôle de savoir jauger les situations pour bien faire cheminer les revendications, dit-elle. Le conseiller n’est pas là simplement pour se faire le messager des revendications des membres; il doit aussi – et de plus en plus – concevoir de nouvelles possibilités de solution pour les problèmes rencontrés. »

De son côté, Murielle Tessier-Dufour, CRIA, conseillère syndicale en organisation du travail, recherche toujours des solutions pour la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). Constamment, elle utilise le fruit de ses recherches et de ses observations pour poser un juste diagnostic, assorti de propositions, sur l’organisation du travail. Reste à persuader les directions d’établissement, souvent frileuses, de prêter l’oreille à ses suggestions. « Il faut être capable de convaincre les employeurs qu’on n’est pas là pour détruire. Au contraire, on est là pour construire avec eux. On partage des objectifs », argue-t-elle.

Elle ajoute que les modèles d’organisation qu’elle soumet sont tout aussi valables que ceux de consultants privés, en plus d’être moins coûteux et d’assurer un suivi une fois l’application réalisée. « Quand j’ai réussi à convaincre l’employeur de travailler avec notre modèle, que nous sommes arrivés à nous entendre sur un diagnostic, que nous avons évité de nous rendre en arbitrage, que nous avons amélioré la situation des travailleuses et, surtout, que nous avons trouvé des solutions pour assurer la qualité et la sécurité des soins pour les patients, pour moi, ça vaut une année de salaire », dit-elle, débordante de passion.

La dynamique de travail du conseiller syndical reste parfois fortement influencée par l’attitude des autres acteurs. Lorsque Catherine Faucher, CRIA, a commencé sa carrière au Syndicat de l’enseignement de la Pointe-de-l’île, un syndicat local membre de la FAE, les relations s’embourbaient. Avec des directeurs qui ne voulaient rien entendre et ne la rappelaient pas, la jeune recrue n’avait d’autre choix que de déposer grief après grief. Une situation qui a bien changé depuis, assure-t-elle. Aujourd’hui, ses vis-à-vis s’avèrent beaucoup plus ouverts à la discussion. Catherine Faucher en conclut tout de même « qu’il faut ajuster notre stratégie en fonction de notre vis-à-vis. Il faut percevoir comment il faut lui parler ».

L’écoute d’abord… puis la diplomatie
Même si leurs réalités et leurs tâches diffèrent bien souvent, les conseillers syndicaux partagent tous un même constat : être conseiller syndical nécessite une bonne habileté en communication. Et tout ça commence par une écoute attentive de ses vis-à-vis, mais aussi des membres. Murielle Tessier-Dufour y voit la clé pour poser un bon diagnostic sur l’organisation du travail. Pour sa part, Catherine Faucher insiste sur l’empathie qu’exige le métier. «Quand quelqu’un nous téléphone, il faut l’écouter jusqu’au bout. Même si nous considérons que le problème n’est pas si grave que ça, il peut l’être pour la personne.»

Un constat que partage Éric Gagnon, CRIA, conseiller syndical à la Centrale des syndicats démocratiques (CSD). « Il faut toujours garder en tête que les personnes avec qui on parle vivent une réalité différente des autres groupes. Donc, il faut toujours décoder ce que les gens recherchent, pour qu’ils se sentent écoutés, mais aussi pour bien comprendre ce qu’ils veulent. »

Qui dit bonne communication, dit aussi parler avec tact. Évidemment, la patience demeure nécessaire dans le cadre d’une négociation. « Il ne faut pas être prompt. Souvent on ne sera pas d’accord avec ce que l’autre partie avance, mais il ne faut pas tout de suite dire non. Il faut faire preuve de diplomatie pour établir une relation de confiance. Sinon, on n’arrivera à rien », juge Catherine Faucher. En effet, le conseiller syndical doit s’assurer du respect de la convention collective au jour le jour, mais il garantit aussi une continuité à long terme dans la relation patronale-syndicale. Permanent plutôt qu’élu, il s’assure que les démarches ne s’enveniment pas, notamment dans des dossiers qui prennent des années à se régler.

Diplomate, le conseiller syndical se doit aussi de l’être avec les membres de son syndicat. « Il y a des gens – et c’est humain – qui pensent qu’ils valent beaucoup plus que ce qu’ils font, analyse Éric Gagnon. De notre côté, nous connaissons le secteur économique et nous voyons bien la différence entre ce que les gens disent et ce que le marché du travail annonce. Ce qui est difficile, c’est de les ramener à la réalité, parce qu’avant de parler avec l’employeur, nous voulons être dans les meilleures dispositions avec la meilleure crédibilité possible. » Une position qui pousse le conseiller syndical à peser ses mots tout en ayant de la répartie. «En assemblée générale, lorsque les gens se présentent et posent des questions, ils savent parfois ce qu’ils veulent entendre. À la CSD, on tente toujours d’être le plus honnête possible», explique-t-il.

À l’ère d’Internet…
Le conseiller syndical joue aussi un rôle de vulgarisateur auprès des membres. « Nous sommes toujours dans les conventions collectives et cela semble simple. Mais pour la personne qui nous téléphone ou qui vient nous rencontrer au bureau, c’est du chinois», soutient Catherine Faucher. Elle ajoute que «ce n’est pas rare d’expliquer cinq ou six fois la même chose ».

De son côté, Daniel Cloutier constate qu’une nouvelle donne vient complexifier l’approche pédagogique du conseiller syndical auprès des membres : Internet. D’abord, l’utilisation de plus en plus importante du numérique comme source d’information incite le conseiller à faire preuve d’une plus grande transparence, puisque les membres n’associent plus systématiquement tout ce que le syndicat leur dit à la vérité.

«Plutôt que d’arriver avec un problème sans solutions, les gens ont aujourd’hui tendance à arriver avec un problème et également des pistes de solution. Ils vont dans Internet pour connaître la jurisprudence», note aussi Daniel Cloutier. Le conseiller syndical doit parfois faire le ménage dans les informations recueillies par les membres et souvent déconstruire de fausses interprétations. « Dans plusieurs cas, c’est comme avec la santé : lorsque les gens indiquent leurs symptômes dans Internet, ils en ressortent avec 22 maladies. Il faut à certains moments dédramatiser. »

Nouvelles réalités
Internet n’est pas le seul élément qui est venu bousculer les tâches du conseiller syndical. « L’environnement juridique a changé », affirme Éric Gagnon. Le phénomène d’une judiciarisation des relations du travail est en effet souligné par plusieurs conseillers. « Les associés locaux sont de moins en moins à même de représenter leurs membres sans eux-mêmes faire appel à des conseillers plus spécialisés ou à des avocats », constate Daniel Cloutier. Au-delà de maîtriser la convention collective, le conseiller syndical doit dorénavant connaître la jurisprudence. « En négociation, dans la préparation du cahier des charges, il faut inclure ces éléments pour continuer à protéger les salariés », remarque Éric Gagnon.

Daniel Cloutier remarque aussi que, dans l’entreprise privée, les employeurs adressent de plus en plus régulièrement des doléances pour que l’usine demeure compétitive. « Autrefois, c’était rare de gérer des demandes de l’employeur. La plupart du temps, c’était le syndicat qui nous adressait des demandes et avec qui nous en venions à des ententes dans lesquelles il y avait nécessairement des améliorations pour les travailleurs », compare-t-il.

Du côté du secteur public, que ce soit en éducation ou en santé, tant Nancy Hénault que Murielle Tessier Dufour signalent que l’environnement de travail complexe et les changements rapides diversifient les sujets qu’elles doivent aborder. Les deux conseillères considèrent que leur capacité d’adaptation est de plus en plus sollicitée.

Un métier exigeant, mais passionnant
Le conseiller syndical doit donc demeurer flexible. Daniel Cloutier reprend l’expression de « cordonnier mal chaussé ». « Nous avons des bonnes conditions de travail, mais si je considère seulement les heures de travail, je pense que nous, les conseillers, nous ne pourrions pas avoir des horaires comme ceux qu’on négocie pour les membres. » Une réalité pour certains permanents au sein de centrales syndicales, comme Éric Gagnon, qui doivent régulièrement participer à des rondes intensives de négociation à l’extérieur de la ville.

Murielle Tessier-Dufour, même si elle ne participe pas directement aux négociations, effectue aussi de longues heures de travail et doit constamment se rendre dans les établissements de santé pour analyser ce qui se passe sur le terrain. « On doit se déplacer. On doit modifier des ordres du jour rapidement. On doit se retourner à toute vitesse, on doit répondre à des imprévus de toutes sortes, mais ce n’est rien de nouveau », dit la conseillère à l’enthousiasme inébranlable. « Je trouve que c’est un privilège de pouvoir faire le travail que je fais. Tout le reste, on arrive à passer au travers », dit-elle.

Chaque conseiller syndical considère important d’adhérer aux valeurs de son organisation, qu’elle soit plus militante ou plus démocratique. Un aspect qui incite Nancy Hénault à conseiller, à ceux qui se lancent dans ce métier, de « bien cibler son secteur et d’aller voir le milieu, parce que c’est un milieu qui doit être collé à ses valeurs. Il faut considérer cet aspect pour bien choisir l’organisation ».

Étienne Plamondon-Émond, journaliste indépendant

Source : Effectif, volume 15, numéro 2, avril/mai 2012.


Étienne Plamondon-Émond