Les faits
Le gouvernement du Québec a mis un terme à l’emploi de deux employés syndiqués à statut précaire ayant acquis plus de deux années de service continu au sens de l’article 124 L.n.t. Le syndicat était d’avis qu’il s’agissait de congédiements sans cause juste et suffisante et il a donc déposé deux griefs pour contester la décision du gouvernement. Cependant, la convention collective régissant les conditions de travail de ces deux employés ne permettait pas à ceux-ci de contester la fin de leur emploi par voie de grief. L’employeur a contesté la compétence de l’arbitre au motif que les griefs pour congédiement injustifié relevaient de la compétence de la Commission des relations du travail (CRT). Le syndicat, pour justifier de la compétence de l’arbitre pour trancher le litige, a plutôt plaidé l’incorporation implicite de la norme d’ordre public prévue à l’article 124 L.n.t. à toutes les conventions collectives.
Les décisions des tribunaux inférieurs
Chacun des griefs des employés à statut précaire a été entendu par un arbitre. Les arbitres avaient des opinions divergentes quant à l’objection soulevée par l’employeur. En effet, dans une des sentences, l’arbitre Maureen Flynn a donné raison à l’argument syndical en statuant que la norme substantielle de l’article 124 L.n.t. était incorporée à la convention collective alors que, de son côté, l’arbitre Pierre Laplante a accueilli l’objection patronale et s’est déclaré incompétent pour entendre le grief.
En révision judiciaire de ces deux sentences arbitrales, la Cour supérieure a conclu que les arbitres de griefs avaient une compétence exclusive en matière de griefs disciplinaires.
En Cour d’appel, la conclusion prétend plutôt que l’article 124 L.n.t. ne peut être implicitement incorporé à toutes les conventions collectives : le libellé de l’article prévoit l’irrecevabilité d’une plainte à la CRT d’un salarié régi par une convention collective. Enfin, la Cour d’appel souligne l’importance de respecter l’intention du législateur qui, selon elle, a choisi de donner compétence exclusive à la CRT pour disposer d’une plainte sous l’article 124.
La question soulevée par le pourvoi
La Cour suprême devait déterminer si la norme substantielle d’ordre public prévue à l’article 124 L.n.t. interdisant le congédiement sans cause juste et suffisante d’un salarié possédant deux années de service continu faisait partie du contenu implicite de toutes les conventions collectives.
L’arrêt de la Cour suprême du Canada
La majorité est d’avis qu’il ne s’agit pas d’une question d’intégration implicite. Il s’agit plutôt d’un pourvoi concernant la hiérarchie des sources du droit du travail québécois et de l’effet d’ordre public de la L.n.t. sur le contenu des conventions collectives et, par conséquent, sur la compétence des arbitres de griefs chargés de leur application.
Selon la majorité, lorsqu’une convention collective prévoit une procédure de grief pour contester une fin d’emploi, un arbitre sera compétent pour se saisir du grief d’un employé ayant accumulé deux années de service continu au sens de l’article 124 L.n.t., malgré l’existence d’une clause prévoyant l’impossibilité pour ce dernier de contester une fin d’emploi par voie de grief. En effet, une telle clause serait contraire à l’article 124 L.n.t., disposition dite d’ordre public et, par le fait même, frappée de nullité absolue.
Par contre, si une convention collective ne prévoit pas de recours équivalent (procédure de grief) pour l’employé, celui-ci devra déposer sa plainte devant la CRT, puisque cette dernière a un pouvoir subsidiaire en la matière.
Ainsi, la majorité dispose du pourvoi en s’appuyant non pas sur l’intégration implicite, mais sur la théorie de la hiérarchisation des sources du droit ainsi que sur la cohérence législative. Selon la majorité, si le législateur avait voulu intégrer la norme substantielle de l’article 124 L.n.t. à toutes les conventions collectives, il l’aurait clairement exprimé. Il l’a d’ailleurs fait à l’article 81.20 L.n.t. en matière de harcèlement psychologique, en utilisant l’expression « sont réputées faire partie intégrante de toutes conventions collectives ». Sur ces notions, le juge LeBel, qui était du même avis que la majorité, mentionne que :
« Interprété de façon étroite, le caractère d’ordre public de la L.n.t. signifierait uniquement que les parties ne peuvent convenir de supprimer le recours que l’art. 124 L.n.t. offre aux salariés. Une telle interprétation paraît trop restreinte. Ce caractère d’ordre public attribué par le législateur à cette disposition interdit et prive de tout effet les stipulations d’une convention individuelle ou collective qui empêchent un salarié justifiant de deux ans de service continu de contester un congédiement décidé par un employeur sans cause juste et suffisante. La convention subsiste, mais ses dispositions incompatibles avec la norme minimale sont privées d’effet. Elles sont réputées non écrites, ainsi que le prévoient les art. 62 et 64 C.t., et la convention doit être examinée, interprétée et appliquée en conséquence. En d’autres termes, la loi restreint pour autant la liberté contractuelle des parties, en privant d’effet toute stipulation incompatible avec les normes d’ordre public qu’elles ont incluse dans l’entente ou en les obligeant à adopter des conditions de travail à tout le moins aussi avantageuses pour les salariés que celles prévues à la L.n.t. L’ordre public législatif produit donc ses effets sur le contenu même du contrat de travail ou de la convention collective, et non uniquement sur son encadrement juridique. »
La partie dissidente est plutôt d’avis qu’une convention collective ne peut légalement prévoir la possibilité pour un employeur de congédier un employé ayant deux années de service continu sans cause juste et suffisante, puisque cela irait à l’encontre de l’article 124 L.n.t. Cependant, une convention collective qui limite à certains employés l’accès à la procédure d’arbitrage n’est pas pour autant contraire à la L.n.t.; l’employé n’est pas privé de la norme substantielle prévue à l’article 124 L.n.t.; il doit simplement déposer sa plainte devant l’instance appropriée, à savoir la CRT.
Sur cette question, le juge Deschamps, de l’avis de la partie dissidente, mentionne :
« Les limites à la procédure d’arbitrage ne sont pas contraires à l’ordre public parce qu’elles ne privent pas les employés de la protection de la norme et du recours prévus à la LNT. La reformulation de la convention collective reposerait sur l’hypothèse que le législateur a rédigé la LNT de façon incohérente. Elle tiendrait aussi pour acquis que le législateur québécois a retenu le modèle de la compétence exclusive de l’arbitre pour tous les litiges liés à l’application des normes législatives impératives. Ces hypothèses ne sont pas fondées. Les parties à une convention collective ont la faculté d’intégrer une protection adéquate qui a pour effet d’écarter le tribunal subsidiaire prévu à l’art. 124 LNT. Cette faculté n’a toutefois pas été exercée pour les employés concernés dans les présents pourvois. »
Conclusion
L’arrêt S.F.P.C. c. Québec vient clarifier l’état du droit du travail au Québec, le contenu minimal des conventions collectives et la compétence des arbitres de griefs en matière de congédiement, en justifiant sa décision sur la hiérarchie des sources. Dorénavant, une convention collective de travail ne pourra empêcher un employé ayant accumulé deux années de service continu au sens de l’article 124 L.n.t. d’avoir le droit de contester un congédiement fait sans cause juste et suffisante. D’ailleurs, la présence d’une telle clause dans une convention collective existante est désormais réputée de nullité absolue.
Toutefois, il sera intéressant d’observer la tendance des tribunaux d’arbitrage sur cette question dans les prochaines années. Considérant que cette décision a été rendue à cinq juges contre quatre, il n’est pas impossible que certains arbitres se rangent du côté de la dissidence, bien qu’en principe ils soient liés par les enseignements de la majorité. Néanmoins, certains arbitres pourraient être tentés de faire droit à une objection patronale sur leur absence de compétence et ainsi respecter la volonté des parties en refusant d’annuler une clause de la convention collective dûment négociée entre elles.
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Source : VigieRT, octobre 2010.
1 | Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général), 2010 CSC |