Les conditions financières actuelles, jumelées aux problèmes structurels et juridiques propres au régime de santé et sécurité du travail, devraient conduire à une prise de conscience on ne peut plus sérieuse. Qui plus est, le régime en est pratiquement à la croisée des chemins quant à son financement et à la raison de sa création.
Les entreprises québécoises n’ont plus la capacité financière de soutenir un tel régime. Il tient les employeurs en otage avec peu de moyens et peu de contrôle relativement à une facture qu’ils doivent supporter à plus de 100 %. En effet, compte tenu que les coûts non imputés (CNI) dont les employeurs ne sont pas responsables demeurent dans le système, les entreprises, par défaut, supportent plus que ce qu’il en coûte réellement pour le régime d’indemnisation.
La réforme de la tarification – les coûts non imputésLa proposition actuelle à l’égard de la modification de la tarification en fonction des CNI pénalisera les travailleurs ainsi que les employeurs et créera une distorsion importante sur le plan des mutuelles de prévention, produit financier mis sur pied par la CSST elle-même.
Le simple fait de vouloir retourner dans chaque unité de classification l’ensemble des CNI afférents et, au surplus, de leur appliquer un poids selon le degré de personnalisation de l’employeur, annule tout avantage à gérer efficacement les dossiers de réclamation. Essentiellement, la réforme propose aux employeurs de façon bien simpliste de payer l’ensemble des frais dont ils ne sont pas responsables et dont ils ne veulent pas l’être, par souci de saine gestion. À quoi bon gérer, dans ce cas?
Jusqu’à maintenant, les employeurs assujettis au régime rétrospectif de la cotisation et les employeurs assujettis au taux personnalisé (regroupés en mutuelle de prévention ou non), tout comme les mandataires de mutuelles de prévention, ont eu une motivation de prise en charge de la prévention et du suivi des réclamations. Les vérifications faites à ce jour peuvent témoigner de ce fait et les résultats sont là. Dorénavant, ce sera l’impact des CNI sur la tarification qui justifiera l’adhésion ou le retrait d’un employeur en mutuelle, alors que ce sont la prévention et la prise en charge du dossier SST dans son ensemble qui devraient être au centre des préoccupations. Nous voilà revenus aux seules considérations financières.
La CSST n’a plus le choix et ne peut continuer à se cacher derrière de fausses prétentions. Ce n’est pas un calcul de redistribution de la facture qui réglera tous les problèmes actuels et ce n’est certes pas en coupant dans les mutuelles de prévention qu’on trouvera les réponses. Un effort administratif à lui seul n’est pas suffisant; ignorer ce fait serait faire preuve d’une incompréhension manifeste, politiquement inacceptable. Les employeurs du Québec ont besoin d’une réévaluation de l’ensemble de la législation en matière de santé et sécurité du travail.
Les pistes de solutionIl faut donc prendre des mesures concrètes, réalistes et à la mesure des réels besoins des parties et qui tiennent compte de la capacité de payer des employeurs, dans le but de corriger et d’améliorer notre régime provincial de santé et sécurité du travail et d’en assurer la viabilité.
Une seule réponse est acceptable. Ce régime social administré par la CSST présente des faiblesses législatives importantes, caractéristiques d’une certaine désuétude. Il faut revoir le régime sur les plans tant du partage des responsabilités que du financement.
Il n’est pas nécessaire de retirer les réels avantages des travailleurs en essayant de briser ce contrat social, mais il faut tendre vers un meilleur encadrement desdits avantages, tout en conservant le souci de l’équité du régime. Le but étant de maintenir la santé financière et organisationnelle et de toujours favoriser la prévention au travail afin de protéger la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs.
De façon générale, le milieu patronal anticipe, avec cette réforme de la tarification (dans la mesure où elle est absolument nécessaire), un accompagnement législatif important, dans le but d’apporter des correctifs aux irritants actuels du régime.
Plusieurs recommandations, qui sont encore aujourd’hui très appropriées, ont déjà été formulées à la CSST au cours des dernières années. Ceci témoigne bien que la problématique n’est pas récente et que les solutions suggérées sont toujours les mêmes. Il faut à l’évidence cesser de contourner le problème et appliquer les correctifs qui s’imposent. La tarification n’est pas la seule avenue.
Les recommandations déjà formuléesVoici quelques recommandations formulées au fil des années par les principaux représentants patronaux de divers milieux. Loin de constituer une liste exhaustive, elles indiquent les ajustements nécessaires qui devraient être au centre des discussions, avant même d’aborder tout le volet financier.
Indemnité de remplacement du revenu (IRR)
Voilà sans contredit le poste budgétaire qui blesse. La réglementation à cet égard n’est plus adéquate ni appropriée. Le modèle d’indemnisation est tout à fait en marge de tout régime et n’est plus en lien avec la réalité des employeurs d’aujourd’hui.
La recommandation d’abaisser l’IRR à 80 % du revenu net a déjà été faite. Bien que ce soit l’une des possibilités, elle ne devrait pas figurer en tête de liste. Par ailleurs, le maintien de l’IRR dans le cas où un travailleur refuse son assignation temporaire ou lorsqu’il démissionne, ou à l’occasion d’une grève, d’une fermeture d’entreprise, est discutable.
De plus, le maintien de l’IRR durant un an au sens des articles 48 et 49 de la LATMP aurait avantage à être révisé.
Selon les conditions définies à l’article 142 de la LATMP, la CSST peut suspendre l’IRR. Le terme suspendre implique que la CSST peut rétablir le versement d’IRR (ce qui arrive souvent de façon rétroactive) et le fait de pouvoir le faire implique qu’elle n’y est pas obligée. Il serait opportun de revoir non pas le bien-fondé de cet article, mais la rigueur de son application.
Il faudrait également revoir l’esprit de la LATMP (ou de l’interprétation qu’on en fait) à l’égard du fait qu’un travailleur doit être indemnisé pour les jours où il aurait normalement travaillé. L’idée d’indemniser l’incapacité à travailler n’est pas erronée?; encore faudrait-il démontrer que le travailleur aurait normalement travaillé.
Enfin, il faut simplement abroger l’obligation de calculer l’IRR selon le contrat de travail. Il faut indemniser selon le salaire gagné au cours des douze derniers mois ou, à la limite, en fonction du dernier relevé 1 aux fins d’impôts.
Consolidation et durée de l’incapacité (art. 46, LATMP)
La notion de présomption décrite à cet article devrait être davantage collée à la réalité, dans le sens où la consolidation devrait référer au fait que la guérison est suffisamment complète, permettant ainsi au travailleur de reprendre progressivement son emploi.
Assignation temporaire (art. 179, LATMP)
L’application de cet article devrait être moins restrictive. Une fois l’assignation accordée, si le travailleur décide de la contester, il devrait continuer de travailler durant la procédure de contestation, à défaut de quoi l’IRR devrait être supprimée jusqu’à un éventuel retour au travail.
Avis au supérieur ou à un représentant de l’employeur (art. 265, LATMP)
Lors de la survenance d’un événement, à défaut d’aviser l’employeur ou l’un de ses représentants avant le départ du lieu de travail, la notion de présomption devrait s’annuler automatiquement.
La réadaptation
Le droit à la réadaptation tel qu’il est prévu à la LATMP est fort louable, mais trop libéral. Un plan de réadaptation devrait davantage s’en tenir aux conditions propres du travail exécuté plutôt qu’aux conditions personnelles du travailleur. Ainsi, la réadaptation au sein de l’entreprise devrait en toute logique être assumée par l’employeur. Toutefois, dans le cas d’un plan de réadaptation qui tiendrait compte davantage de la personnalité du travailleur et qui serait dirigé dans un secteur d’activité différent, telle réadaptation devrait financièrement être assumée par le fonds général.
Autres éléments de réflexion
La CSST fait l’objet de certaines critiques à l’égard de sa façon d’administrer, d’appliquer ses directives administratives selon les directions régionales. Par ailleurs, ne perdons pas de vue que le principal enjeu réside dans la réglementation et le partage des pouvoirs, et ce, presque exclusivement sur le plan du suivi médico-administratif des dossiers de lésions professionnelles, ayant pour principale assise la notion de présomption.
La porte est trop largement ouverte à la base de l’indemnisation et une politique d’acceptation quasi automatique des réclamations n’aide pas la cause. Toutes les notions de présomption viennent alourdir la gestion des dossiers. Ne devrait-on pas trouver dans la LATMP la nécessité pour le travailleur de fournir la preuve d’un lien prépondérant de causalité entre son travail et sa lésion ? Il serait logique que le travailleur ait l’obligation de démontrer les trois conditions à la présomption, soit qu’il y a blessure, que telle blessure est survenue sur les lieux du travail et que le travailleur était au travail. C’est la façon régulière de procéder dans tout régime d’assurance. Le réclamant doit démontrer et prouver qu’il a droit aux indemnités qu’il réclame.
Nouveaux barèmes de consolidation – un irritant supplémentaireEt qu’en est-il de ces nouveaux barèmes de consolidation de la CSST ? Les nouvelles données devant servir au service de l’indemnisation et ces nouveaux barèmes, tirés de données statistiques exclusivement administratives, prises d’un seul régime d’absence, seront la référence en matière de « durée normale » de consolidation.
Il serait surprenant que la communauté médicale se soit prononcée (voire ait été consultée) sur ces nouvelles « règles ». Par ailleurs, toute la procédure d’évaluation médicale nécessite d’être remodelée et actualisée aux réalités d’aujourd’hui.
Dans les faits et selon la nouvelle tendance, il ne s’agit pas de durée normale de consolidation, mais bien de délai moyen de retour au travail par suite d’une lésion professionnelle. La nuance est plus qu’évidente et il serait manifestement maladroit et contre l’esprit de la LATMP d’appliquer de tels barèmes aux fins d’une gestion de retour au travail d’un point de vue médical. Il n’est pas approprié de gérer les aspects médicaux (durée de consolidation moyenne) à partir de données statistiques administratives.
Si tel devait être le cas, il aurait été nécessaire, pour établir le temps moyen d’absence par type de lésion (ex. : l’entorse lombaire), de comparer la durée moyenne d’absence dans les régimes de santé et sécurité du travail, d’assurance-emploi, d’assurance-maladie, d’assurances collectives et, finalement, dans le cas des travailleurs autonomes ne bénéficiant souvent d’aucun régime de protection.
Pour quelle raison une entorse lombaire qui, jusqu’à aujourd’hui, guérissait en quatre semaines, nécessiterait douze semaines maintenant? Il serait extrêmement surprenant que le corps médical se soit à ce point trompé lors de l’établissement initial de ces délais ou de ces barèmes de consolidation.
En appui à cette démarche statistique, la CSST a-t-elle considéré le fait que plusieurs périodes de consolidation sont plus longues compte tenu des conditions personnelles propres aux travailleurs dont l’employeur n’est nullement responsable?
En fait, ces nouveaux barèmes ne sont là que pour contrecarrer les demandes de partage de coûts, particulièrement celles qui sont déposées en vertu de l’article 329 de la LATMP. Il est tout de même « irrégulier » d’user d’un pouvoir administratif pour venir paralyser, en bonne partie, un droit qui découle de la LATMP.
Au surplus, il est utile de rappeler que l’application de l’article 329 de la LATMP est prévue afin d’aider les employeurs et les médecins dans les démarches de partage de coûts. Cet article vise à ne pas défavoriser les personnes déjà handicapées à l’embauche. On devine aisément ce que le projet de réforme concernant les CNI aura comme effet sur ces travailleurs… et sur les méthodes de gestion à venir en imposant des restrictions sur l’application des partages de coûts.
Voilà quelques éléments de réflexion en ce qui a trait au régime provincial de santé et sécurité du travail. Il n’est pas possible de tout régler en une seule démarche avec la réforme de la tarification, mais d’une part le statu quo n’est pas une option et d’autre part les premières modifications doivent être faites au niveau législatif et non au niveau de la répartition de la facture. La grande majorité des employeurs s’accommode bien du régime actuel de tarification.
En fait, si la CSST faisait un sondage auprès des employeurs du Québec afin de leur demander ce qu’ils savent et ce qu’ils pensent de la répartition des CNI dans leur facture, elle aurait fort probablement un taux élevé de cette réponse : « Je n’en ai aucune idée ». Cependant, si elle demandait quels sont, selon eux, les irritants du régime actuel, il y aurait assurément plusieurs réponses, dont celle-ci : « Ça coûte beaucoup trop cher! »
Stéphane Labbé, CRIA, associé, Raymond Chabot SST inc.
Source : Effectif, volume 11, numéro 1, janvier/février/mars 2008.