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La période de probation prévue à la convention collective

L’embauche de personnel qualifié et compétent n’est pas chose aisée pour un employeur, particulièrement en présence d’une convention collective. L’entrevue de sélection s’avère souvent insuffisante pour cerner les compétences et les aptitudes d’un candidat non seulement quant à l’accomplissement des tâches faisant l’objet du poste, mais également quant à ses relations interpersonnelles avec les autres employés et ses supérieurs hiérarchiques ainsi que son potentiel de développement au sein de l’entreprise.

29 janvier 2008
Marc Ouellet

Afin de remédier à cette difficulté, les conventions collectives incorporent souvent des dispositions relatives à la période de probation, aussi appelée « période d’essai », à laquelle sont soumis les nouveaux employés (ou ceux ayant fait l’objet d’une mutation au sein de l’entreprise). Durant cette période, l’employé détient un statut précaire et l’employeur jouit d’une prérogative lui conférant une discrétion presque absolue sur l’appréciation de cet employé et, par voie de conséquence, sur le maintien ou la terminaison de son lien d’emploi.[1]

Nous examinerons d’abord sommairement l’interprétation donnée par la jurisprudence arbitrale quant aux droits et obligations des parties durant la période de probation. Nous nous pencherons ensuite sur certaines questions pouvant être soulevées lors de la computation du délai de probation, plus particulièrement lorsqu’un employé s’absente ou est réaffecté à un autre poste à la suite d’une maladie ou d’une lésion professionnelle.

Statut de l’employé durant la période de probation
La jurisprudence arbitrale a récemment réitéré le principe selon lequel un employeur a le pouvoir discrétionnaire de soumettre tout nouvel employé qu’il embauche à une période de probation[2]. La discrétion patronale durant cette période est presque totale. Durant la période de probation, l’employeur a le droit d’évaluer subjectivement l’employé qu’il embauche et même de se tromper dans l’exercice de ce privilège. En ce sens, en matière de rapports collectifs de travail, cette discrétion ne peut être limitée que par les dispositions impératives de la loi[3], par une disposition expresse de la convention collective ou par les exigences de la bonne foi telle qu’énoncée au Code civil du Québec[4], à savoir qu’elle ne peut être exercée de façon abusive, discriminatoire ou malicieuse. [5]

En général, les conventions collectives nient aux employés en probation dont l’emploi est terminé l’accès à la procédure de griefs[6]. Le cas échéant, une telle terminaison constituant habituellement une mesure administrative, le rôle de l’arbitre se limite alors à vérifier si la décision de l’employeur a été prise sans abus, discrimination ou sur une base foncièrement déraisonnable. [7]

La jurisprudence arbitrale n’hésite pas à reconnaître le caractère précaire du statut d’un employé pendant sa période de probation et fait souvent preuve d’une grande réticence avant de réviser la décision prise par un employeur de terminer l’emploi d’un tel employé. Ainsi, dans l’affaire Syndicat national des employés de l’aluminium d’Alma inc. et Alcan inc., usine d’Alma[8], l’arbitre a jugé que l’employeur était justifié de terminer l’emploi d’un employé pourtant compétent, mais dont l’attitude causait des conflits avec ses collègues de travail.

Comme nous l’avons mentionné, la discrétion de l’employeur ne peut cependant être exercée de manière abusive, discriminatoire[9] ou foncièrement déraisonnable. L’arbitre Rodrigue Blouin explique bien ces trois notions dans l’affaire Syndicat des employés du transport public du Québec métropolitain inc. (CSN) et Société de transport de la Communauté urbaine de Québec :

« En réalité, un salarié à l’essai peut formuler un grief lorsqu’il ne met pas en cause le pouvoir discrétionnaire de l’employeur de le renvoyer durant la période de probation, mais plutôt le fait que le renvoi est nul ab initio en raison de son caractère abusif, discriminatoire ou foncièrement raisonnable. Le fardeau de preuve appartient alors au syndicat. Il y a décision abusive notamment lorsque l’employeur agit de mauvaise foi, de façon malicieuse, pour nuire. Il y a décision discriminatoire lorsque l’employeur agit pour un motif qui contrevient notamment aux chartes. Il y a décision foncièrement déraisonnable lorsque l’employeur s’autorise de faits qui, même s’ils sont prouvés, ne pourraient amener un gestionnaire compétent, qui agit avec bon sens et dans le respect du droit et de l’équité, à retenir quelque mesure administrative ou disciplinaire en semblable circonstances, fût-elle la plus minime.  » [10]

Un employeur ne peut donc prendre une décision de mauvaise foi qui ne respecte pas le devoir d’équité qui lui incombe à l’égard de l’employé. Par exemple, dans la décision Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada) et Leggettwood St-Nicolas[11], le tribunal a jugé que l’employeur ne pouvait terminer l’emploi d’un travailleur en probation avant de lui avoir donné accès à la formation requise pour le poste occupé.

Computation de la période de probation
Il est très important de baliser le début et la fin d’une période de probation afin de déterminer avec précision le moment où l’employé en probation acquiert le statut d’employé titularisé. Généralement, les conventions collectives envisagent la période de probation comme étant une période prédéterminée de travail dans le poste occupé au sein de l’entreprise, souvent calculée en « heures » ou en « jours de travail » ou encore en « mois de service ». Le calcul de cette probation revêt une importance primordiale tant pour l’employeur que pour l’employé concerné puisqu’il détermine la fin d’une période d’incertitude pour ce dernier et la fin d’une période de réflexion et de discrétion pour l’employeur.

Certaines situations peuvent cependant jeter un doute sur la complétion effective par l’employé de sa période de probation. Nous pouvons penser ici au cas où un employé à l’essai serait victime d’une lésion professionnelle. Dans cette situation, les dispositions impératives de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles[12] (L.A.T.M.P.) ont-elles pour effet d’obliger l’employeur à comptabiliser, aux fins du calcul de la période de probation, le temps passé par l’employé à effectuer des travaux légers? Et cette Loi oblige-t-elle également l’employeur à inclure le temps écoulé alors que l’employé est absent pour cause de lésion ou de maladie professionnelle?

L’employé affecté à des travaux légers durant sa période de probation
Lorsqu’un employé est victime d’une lésion professionnelle, l’art. 179 L.A.T.M.P. permet à l’employeur, sur avis favorable d’un professionnel de la santé, de réaffecter l’employé à des travaux légers dans l’attente de sa réhabilitation. Durant cette affectation, le travailleur continue de recevoir le salaire et les avantages liés à son emploi. C’est ce que prévoit l’article 180 L.A.T.M.P. :

« L’employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.  »

Cet article impose-t-il à l’employeur l’obligation de prendre en considération, aux fins du calcul de la période de probation, la durée du travail accompli par l’employé alors qu’il était affecté à des travaux légers? La jurisprudence a répondu par la négative à cette question.

En effet, dans l’affaire Regroupement des travailleuses et travailleurs du Québec et Services d’aide Remue-ménage[13], la plaignante réclamait que lui soit reconnu, dans le calcul de sa période de probation, un certain nombre d’heures travaillées alors qu’elle était en assignation temporaire. Une disposition de la convention collective prévoyait cependant que la période de probation devait être calculée en « heures de travail chez le client ». La plaignante invoqua donc l’article 180 L.A.T.M.P. afin d’exiger la transformation de ses heures d’assignation temporaire en « heures de travail chez le client ». L’arbitre rejeta cette demande et conclut que l’article 180 L.A.T.M.P. n’était d’aucun secours à la plaignante. Selon lui, cet article ne vise qu’à sauvegarder les avantages pécuniaires d’un employé affecté à des travaux légers et ne peut avoir pour effet d’obliger un employeur à considérer les heures passées par un employé en assignation temporaire comme des heures travaillées.

Toutefois, l’issue de cette affaire n’aurait probablement pas été la même si la convention collective n’avait pas précisé la façon dont les heures de travail passées en probation devaient être accomplies, c’est-à-dire spécifiquement chez les clients de l’employeur. En ce sens, lorsqu’une convention collective mentionne simplement qu’un certain nombre d’« heures de travail » devra être accompli avant qu’une période de probation ne soit terminée, le fait que ces heures de travail aient été effectuées en assignation temporaire ou dans le cadre du poste spécifique pour lequel l’employé a été embauché ne change rien.

Ainsi, en l’absence de qualification par la convention collective de ce qui constitue des heures « travaillées », le tribunal aura tendance à confondre les heures effectivement complétées par l’employé à ses tâches ordinaires et celles passées en assignation temporaire. C’est ce qui ressort de la décision Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 3057 et Compagnie Commonwealth Plywood ltée[14]. Dans cette affaire, l’arbitre a considéré que le but d’une période de probation n’est pas seulement d’évaluer le rendement et la capacité d’un employé à occuper un poste donné, mais également d’évaluer, dans un cadre plus général, le caractère de l’employé, sa capacité à travailler en harmonie avec les autres et son aptitude générale à s’intégrer à l’entreprise. La preuve révélait également que l’employeur avait négocié avec le syndicat le type de tâches légères auxquelles un employé victime de lésion professionnelle pouvait être réaffecté et la convention collective ne faisait aucune distinction à ce sujet entre un employé permanent et un employé en probation. Par conséquent, l’arbitre en vint à la conclusion qu’il ressortait de la volonté des parties que ces heures devaient être comptabilisées. Les travaux légers ont donc été pris en compte dans le calcul de la période de probation.

Il est donc très important de vérifier, dans chaque cas, le libellé des dispositions contractuelles prévoyant les périodes de probation afin de déceler l’intention des parties quant au but de la probation et la façon dont celle-ci devra être calculée.

L’employé absent pour maladie professionnelle durant sa période de probation
Selon l’article 235 (1) L.A.T.M.P. :

« Le travailleur qui s'absente de son travail en raison de sa lésion professionnelle :

1° continue d'accumuler de l'ancienneté au sens de la convention collective qui lui est applicable et du service continu au sens de cette convention et au sens de la Loi sur les normes du travail; »

Cet article est-il d’un quelconque secours à l’employé qui doit s’absenter lors de sa période de probation en raison d’une lésion professionnelle? Encore une fois, la réponse à cette question dépendra du libellé de la convention collective.

Ainsi, dans l’affaire Provigo Distribution inc., Centre de distribution St-Laurent, Boucherville et Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501[15] ainsi que dans l’affaire Sauvageau et AFG industries ltée (Glaverbec)[16], la convention collective prévoyait une période de probation d’un certain nombre d’« heures travaillées ». Or, cette expression fait référence à des heures de travail réellement accomplies et exclut conséquemment toutes les heures pour lesquelles un employé n’a pas fourni de prestation de travail, y compris celles pour lesquelles une indemnité de remplacement du revenu a été versée en vertu de la L.A.T.M.P.

Concernant l’application de l’article 235 L.A.T.M.P., il fut décidé que les plaignants ne pouvaient prétendre avoir accumulé de l’ancienneté puisque, au moment de la survenance de leur lésion, ils étaient toujours en probation et que l’ancienneté, en vertu des conventions collectives applicables, ne commençait à s’accumuler qu’une fois cette période de probation terminée, comme il est d’ailleurs généralement prévu dans la plupart des conventions collectives. Au sujet de l’accumulation du « service continu », le commissaire nota qu’un employé en arrêt de travail en raison d’une lésion professionnelle continuait d’en accumuler au sens de la convention collective ou au sens de la Loi sur les normes du travail[17], mais que cependant, cette notion de « service continu » était distincte de celle d’« heures travaillées » utilisée dans la convention collective aux fins du calcul de la période de probation. [18]

Conclusion
En conclusion, rappelons que la jurisprudence reconnaît généralement à l’employeur un large pouvoir discrétionnaire de mettre fin au lien d’emploi avant la fin de la période de probation. Ce pouvoir découle du droit bien connu de l’employeur d’administrer et de gérer les affaires de son entreprise, lequel comprend le pouvoir d’embaucher les employés qu’il juge les plus appropriés.

Par ailleurs, et au risque de nous répéter, rappelons que les solutions que nous venons de voir quant à la computation du délai de probation, dépendent exclusivement du texte de la disposition prévoyant le calcul de la période de probation. Ainsi, si au lieu d’avoir prévu que la période d’essai se calculait en « jours de travail » ou en « heures de travail » (ce qui est parfaitement logique, car le but d’une période de probation est justement d’apprécier la prestation effective de travail d’un employé à l’essai), les parties avaient plutôt prévu qu’elle se calculait selon la « durée du service » ou en « jour de calendrier », l’issue des affaires vues ci-avant aurait probablement été différente. En effet, ces dernières notions font référence au maintien du lien d’emploi et les absences pour cause de lésion professionnelle – n’interrompant pas le lien d’emploi –, auraient sûrement été comptabilisées aux fins du calcul de la période de probation des employés concernés.

Une précaution supplémentaire consiste également à circonscrire davantage la notion de jour travaillé ou d’heure travaillée aux seules tâches faisant l’objet de la description du poste pour lequel l’employé est en probation. Cette dernière précaution aura notamment pour effet d’écarter du calcul de la période de probation la durée du travail accompli lors d’une assignation temporaire.

Marc Ouellet du cabinet Fasken Martineau

Source : VigieRT, numéro 24, janvier 2008.


1 Jacmain c. Canada (P.G.), [1978] 2 R.C.S. 15, 38; Plourde et Centre de la petite enfance Premiers Pas de La Tuque, D.T.E. 2003T-1017 (C.R.T.).
2 Université de Sherbrooke et Association du personnel administratif et professionnel de l’Université de Sherbrooke (APAPUS), D.T.E. 2008T-48 (T.A.), arbitre François Hamelin, p. 27.
3 Par exemple, un employeur ne pourrait terminer l’emploi d’une employée, prétextant qu’elle est durant sa période de probation, pour le seul motif que celle-ci est enceinte. Un tel employeur irait ainsi à l’encontre de l’article 122 (4) de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1.
4 Art. 6, 7, 1375 C.c.Q.
5 Syndicat des ouvriers du fer et du titane (CSN) et QIT-Fer et titane inc., D.T.E. 2007T-1021 (T.A.), arbitre Jean-Louis Dubé, p. 10.
6 Société des alcools du Québec et Syndicat des employés de magasins et de bureaux de la Société des alcools du Québec, D.T.E. 2006T-207 (T.A.), arbitre André Dubois; Centre hospitalier Vallée-de-l’Or et Syndicat des employés d’hôpitaux de Val-d’Or (C.S.N.), A.A.S. 2004A-57 (T.A.), arbitre André Dubois.
7 Syndicat national des employés de l’aluminium d’Alma inc. et Alcan inc., usine Alma, D.T.E. 2005T-602 (T.A.), arbitre Marcel Morin, p. 43.
8 Supra, note 8.
9 Dans l’arrêt ParrySound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157, au paragraphe 32, la Cour suprême a clairement statué que « […] le droit de diriger le personnel ne comprend pas celui de congédier un employé à l’essai pour des motifs discriminatoires ».
10 Syndicat des employés du transport public du Québec métropolitain inc. (CSN) et Société de transport de la Communauté urbaine de Québec, [1999] R.J.D.T. 966, 974.
11 D.T.E. 2007T-997 (T.A.), arbitre Jean Gauvin.
12 L.R.Q., c. A-3.001.
13 D.T.E. 2003T-190 (T.A.), arbitre André Sylvestre.
14 D.T.E. 2000T-1137 (T.A.), arbitre Jean-Guy Clément (requête en révision judiciaire rejetée : D.T.E. 2001T-279 (C.S.))
15 D.T.E. 99T-566 (T.A.), arbitre François Hamelin.
16 [1997] CALP 831, commissaire Michèle Carignan.
17 L.R.Q., c. N-1.1.
18 Voir également, quant aux notions de « cumul d’ancienneté » au sens d’une convention collective et de « jours travaillés » aux fins de la computation de la durée d’une période de probation, les affaires suivantes : Syndicat des employées et employés de l’Hôpital Royal Victoria (C.S.N.) et Hôpital Royal Victoria, A.A.S. 2004A-83 (T.A.), arbitre Mark Abramowitz; Michel Mongrain et Ébénisterie Sapele inc., AZ-50182125 (C.L.P.), 7 juillet 2003, commissaire Johanne Landry.

Marc Ouellet