Parmi les 778 conventions collectives en vigueur au Québec à la mi-août 2025, 271 arriveront à échéance dans la prochaine année[1]. Dans un contexte où les conventions collectives sont de plus en plus réécrites de fond en comble à leur échéance, la négociation de la rémunération ne peut plus se limiter à un simple échange sur les pourcentages d’augmentation des échelles salariales.
Pour les différentes parties impliquées dans ces négociations complexes, notamment parce que la rémunération globale a évolué et va au-delà du salaire de base, cela signifie que la préparation doit être plus rigoureuse que jamais. Nous proposons donc ici une réflexion sur les analyses coûts-bénéfices des demandes liées à l’organisation du travail, les coûts indirects à considérer, les simulations à réaliser et les sujets à discuter entre les parties.
Analyse coûts-bénéfices liés à l’organisation du travail
Au fil des années, les clauses encadrant l’affectation, les horaires de travail et le droit de rappel ou de priorité pour le temps supplémentaire, ainsi que le nombre de ressources requises, ont tendance à devenir très détaillées dans certaines conventions collectives. Ces dispositions sont parfois un frein à la flexibilité et génèrent des coûts pouvant être importants. À titre d’illustration, une modification des horaires de travail dans un environnement où les employés travaillent sur des quarts et visant à assurer une prestation 24/7 peut entraîner une variation de plus ou moins 5 % de la main-d’œuvre. Il s’agit d’un coût direct majeur avec des impacts indirects importants (avantages sociaux, équipements requis, etc.). Ces impacts doivent être bien quantifiés et font clairement partie de l’évaluation des coûts liés au renouvellement d’une convention collective. Cela implique de formuler des hypothèses pour évaluer adéquatement les coûts additionnels ou les gains potentiels de ce type de changement. Un employeur qui négocierait des clauses lui octroyant plus de flexibilité pourrait prendre une partie des gains générés pour répondre à des demandes syndicales sur d’autres volets.
Coûts souvent sous-estimés
Les coûts associés à une indexation de la structure salariale ne se limitent jamais seulement au pourcentage d’ajustement négocié. En effet, en plus des augmentations salariales engendrées par la progression des employés dans les échelles, l’indexation entraîne d’autres effets en cascade : impacts sur le paiement des heures supplémentaires, le temps chômé et payé (remboursement de congés non utilisés, valeur des congés différés et coûts de remplacement des employés absents), la contribution de l’employeur aux régimes de retraite et d’assurances collectives et les primes exprimées en pourcentage du salaire. Elles peuvent également influencer indirectement les conditions ou pratiques de rémunération des autres conventions collectives et celles du personnel non syndiqué au sein de l’organisation.
Par ailleurs, dans certains cas, les protocoles de retour au travail sont oubliés dans le cadre des négociations, ce qui peut entraîner des coûts imprévus importants pour l’organisation (par exemple, le paiement des sommes d’argent reliées aux vacances planifiées pendant une grève ou un lock-out). Dans le même ordre d’idées, les coûts liés à la gestion d’une convention collective complexe sont généralement ignorés ou sous-estimés.
Importance des simulations
Pour bien estimer les coûts réels entourant la signature d’une nouvelle convention collective, il est essentiel d’effectuer des simulations financières détaillées. Celles-ci doivent être réalisées au début du processus, idéalement avant que la partie patronale ne dépose son offre initiale, et ce, afin que l’organisation soit en mesure de définir ses marges de manœuvre et de bâtir des scénarios réalistes. Pour déterminer les scénarios à simuler, il peut être utile de sonder des gestionnaires pour déterminer les principaux enjeux en termes de relations de travail et d’identifier de façon formelle (par exemple, avec un cahier de demandes syndicales) ou informelle (par exemple, lors des discussions en comité des relations de travail) les demandes syndicales. Certaines organisations vont jusqu’à faire approuver par le conseil d’administration, avant le début des négociations, plusieurs scénarios incluant des enveloppes globales (plutôt que seulement un pourcentage d’ajustement des échelles salariales) et des ajustements potentiels selon les premières demandes syndicales; ces décisions du conseil d’administration se doivent d’être reflétées dans les simulations. Enfin, il est vital que la partie patronale prépare des simulations pour renforcer sa crédibilité et s’assurer qu’aucun élément d’intérêt ne soit omis.
Angles morts fréquents
En plus des composantes mentionnées précédemment, d’autres éléments sont fréquemment ignorés et peuvent avoir des conséquences importantes sur l’équité interne, le positionnement de l’organisation par rapport au marché et la viabilité financière des ententes conclues. Par exemple, les « clauses IPC », qui lient l’indexation des échelles salariales à l’inflation, sont souvent mal définies et parfois difficiles à mettre en œuvre; elles gagneraient à être formulées plus rigoureusement. Par ailleurs, dans certaines conventions collectives, on observe l’ajout de primes s’appliquant à tous les employés et prises en compte dans le calcul de la valeur de l’ensemble des composantes de la rémunération globale; bien que de telles primes se trouvent généralement dans des annexes ou des lettres d’entente, il s’agit en fait de salaire déguisé et cela contribue à l’augmentation de la masse salariale.
Thèmes des négociations
Les demandes syndicales sont le reflet de leur époque, elles ont évolué pour aller bien plus loin que le salaire de base et la stratégie de négociation devrait donc être vue sous l’angle de la rémunération globale. Par exemple, la flexibilité des horaires et la réduction du temps de travail sont traitées de plus en plus fréquemment lors du renouvellement d’une convention collective. De plus, la question des comparateurs à utiliser pour déterminer le positionnement de la rémunération de l’organisation par rapport au marché peut être abordée; si les deux parties s’entendent sur le recours à un groupe de comparaison pertinent, un éventuel processus de médiation ou d’arbitrage sera grandement facilité.
En conclusion, la négociation de la rémunération dans le cadre du renouvellement d’une convention collective exige une approche rigoureuse, stratégique et multidimensionnelle. En anticipant les coûts-bénéfices liés à l’organisation du travail, les coûts indirects, en intégrant des simulations financières et en élargissant les sujets abordés, les organisations peuvent ainsi prendre des décisions éclairées. Par conséquent, cela permet de mieux maîtriser les impacts des décisions pour favoriser des ententes durables et équitables.
- Selon l’Indice de croissance des taux de salaire négociés.