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Priorités et défis 2024 : une main-d’œuvre diversifiée pour déjouer la pénurie

Pourvoir les postes vacants sera encore un défi important pour de nombreuses entreprises québécoises cette année. Heureusement, plusieurs bassins insoupçonnés de main-d’œuvre peuvent les aider à dénicher du nouveau personnel.
27 février 2024
Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

La situation sur le marché de l’emploi s’est améliorée vers la fin de 2023. On observe une hausse de la population active, attribuable en partie à l’arrivée de nombreuses personnes immigrantes temporaires. Le ralentissement économique a eu pour effet de rehausser le taux de chômage québécois à 5,2 %, soit le plus haut taux enregistré depuis plus de deux ans.

Des signes encourageants, mais qui ne signifient pas que la pénurie de main-d’œuvre est derrière nous, prévient Annie Lebeau, CRHA consultante. « Jusqu’en 2030, les personnes qui partent à la retraite vont continuer à être plus nombreuses que les jeunes qui arrivent sur le marché du travail, ce qui va faire perdurer la crise », explique-t-elle. En revanche, ce ne sont plus tous les types de travailleuses et travailleurs qui manquent à l’appel, mais surtout des employées et employés auxquels on demande peu de scolarité et peu de compétences. La solution se retrouve peut-être au sein de certains bassins sous-exploités de ressources, à son avis.

Le personnel d’expérience

Un de ces bassins de main-d’œuvre se trouve chez le personnel d’expérience. Au Québec, il y aurait jusqu’à 77 000 personnes retraitées de 60 ans et plus qui désireraient réintégrer la force de travail si on leur en donnait la possibilité, selon le Conseil du patronat du Québec. « Non seulement elles sont disponibles, mais elles sont volontaires », souligne Annie Lebeau.

De plus, ces personnes offrent plusieurs avantages aux employeurs si on les compare aux autres types de travailleuses et travailleurs, rappelle la conseillère. Par exemple, elles sont généralement plus autonomes, font preuve de plus de loyauté et nécessitent moins d’encadrement que le personnel plus jeune.

Elles ne sont pas non plus démunies lorsque vient le temps d’adopter de nouvelles façons de faire, soutient-elle. « Attention aux idées préconçues! Ce n’est pas vrai que les personnes expérimentées sont des dinosaures sur le plan de la technologie. Il faut seulement prendre le temps de les former comme toutes les autres », prévient-elle.

Au contraire, ces éléments arrivent avec un bon bagage d’expérience qui pourra être transmis au reste du personnel si on leur donne la chance d’assumer un rôle de mentorat au sein de l’organisation. « Ils ont un réel désir de donner au suivant », indique-t-elle.

En fait, employer du personnel d’expérience offre très peu de désavantages pour les employeurs, sinon qu’ils doivent parfois faire preuve de flexibilité pour satisfaire leurs besoins particuliers, affirme la consultante en ressources humaines.

« En même temps, n’est-ce pas quelque chose qui est largement demandé, peu importe la génération? »

Les talents issus de la neurodiversité

De 10 à 15 % de la population environ ferait partie de la neurodiversité, ce qui représente donc un énorme bassin de main-d’œuvre sous-exploité, fait remarquer Annie Lebeau. Il s’agit des personnes qui ont un développement ou un état neurologique qui est à l’extérieur de la norme. Par exemple, il peut s’agir de gens qui vivent avec un trouble du spectre de l’autisme, la douance, un TDAH, la dyslexie, la dyscalculie ou le syndrome Gilles de la Tourette.

« Ces personnes ont des caractéristiques propres à chacune de leur condition qui peuvent être super intéressantes pour les entreprises. Certaines seront plus créatives, auront des pensées originales ou une capacité de concentration soutenue au-delà de la moyenne », explique-t-elle.

Les employeurs font toutefois preuve de beaucoup de préjugés à leur égard, ce qui rend très difficile pour ces personnes l’intégration du marché du travail. La conseillère croit qu’il est donc important que les donneurs d’emplois s’ouvrent à leur réalité et adaptent leur processus de recrutement pour les accommoder.

« C’est évident que ce ne sont peut-être pas les meilleures personnes en entrevue; elles peuvent avoir de la difficulté à s’exprimer ou à vendre leur candidature, observe-t-elle. Mais est-ce que l’on veut des personnes qui sont bonnes en entrevue ou des personnes qui seront capables de faire le travail? »

Les personnes judiciarisées

Le Québec compte environ 800 000 personnes qui ont un casier judiciaire. Beaucoup d’entre elles peinent à se trouver un emploi même s’il n’est généralement pas légal d’écarter leur candidature pour cette raison en vertu de la Charte des droits et libertés. En effet, il est seulement permis d’écarter une candidature lorsque les infractions criminelles ont un lien direct avec l’emploi pour lequel elle est considérée.

Annie Lebeau y va d’un principe : « Il faut donc que les employeurs s’assurent de ne faire les vérifications d’antécédents qu’à la toute fin du processus de recrutement pour éviter de biaiser leur perception. »

Au-delà des considérations légales, elle rappelle que les personnes judiciarisées sont souvent très compétentes et peuvent avoir reçu des formations techniques durant leur incarcération. Elles sont généralement motivées et font preuve d’une grande flexibilité au travail.

« De plus, il existe de nombreux organismes qui peuvent les accompagner et accompagner leur employeur pour aider à ce que leur réinsertion dans le monde du travail se passe bien », précise-t-elle.

Les titulaires d’un doctorat

Nombre d’employeurs sont réticents à l’idée d’embaucher des personnes qui ont fait de longues études comme celles qui ont décroché un doctorat. Elles font face à plusieurs préjugés qui ne sont toutefois pas avérés dans la réalité, avise Annie Lebeau. Par exemple, on pourrait croire qu’elles demanderont des salaires très élevés ou qu’elles ne cherchent qu’à boucler leurs fins de mois en attendant de décrocher un travail de professeur ou de chercheur dans une université, mais ce n’est généralement pas le cas.

« C’est faux de penser que toutes les personnes ayant un doctorat veulent travailler dans le milieu académique et, même si c’était le cas, il n’y a pas suffisamment d’emplois dans les universités pour les accueillir », remarque-t-elle.

Bien au contraire, beaucoup de titulaires de doctorat ne demandent rien de mieux que de faire profiter l’entreprise qui leur donnera une chance de démontrer leurs nombreuses compétences acquises durant leurs études, mentionne Annie Lebeau. Par exemple, elles et ils ont généralement un esprit analytique et un esprit critique très développés, en plus de faire montre d’un grand leadership et d’aptitudes pour le travail d’équipe.

« Donc, peu importe le poste que vous avez à pourvoir, se dire qu’une personne est beaucoup trop scolarisée pour nos besoins n’est pas la bonne approche à avoir; il faut encore une fois faire preuve d’ouverture à ce point de vue. »

Au bout du compte, quel que soit le bassin de main-d’œuvre, la clé est de ne pas se limiter au CV de la personne pour décider de ce qu’elle pourrait apporter à notre entreprise, remarque Annie Lebeau. « Il faut discuter avec les candidates et candidats pour voir quels sont leurs champs d’intérêt, leurs compétences et ce qu’elles et ils recherchent. Vous aurez tout à y gagner », conclut-elle.


Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

Source :
  1. Institut de la statistique du Québec, 2021
  2. Blanchet, A. & Denault, V. 2022. « Les diplômés de doctorat : Pour le développement et l’innovation des entreprises ». Revue RH. Volume 25, Numéro 5
  3. Freslon, C. 2014. « Et si vous embauchiez des personnes judiciarisées? », Revue Gestion, HEC Montréal
  4. Institut du Québec, Rapports 2023, 2024
  5. Institut du Québec, Rareté de main-d’œuvre au Québec : plan d’action pour transformer les déséquilibres en opportunité, 2021
  6. Statistique Canada, 2023
  7. Carrefour RH