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Santé et enjeux psychologiques du retour au bureau

Le retour au bureau ne doit pas être considéré comme un simple « retour à la normale ». La direction doit concevoir et communiquer un plan de retour au bureau le plus tôt possible dans le processus de transition.
20 septembre 2021

À l’issue de la pandémie, des équipes de direction seront tentées de voir le retour au bureau comme un simple « retour à la normale » — un retour à « l’avant » qui, en principe, ne devrait pas poser de difficultés. Ce serait une erreur, prévient Éric Provencher, CRHA, psychologue organisationnel à la firme de consultation HUMANA conseil.

« Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis mars 2020, poursuit-il. La réalité à considérer est celle d’aujourd’hui et non celle d’avant. Certaines personnes seront heureuses à l’idée de retourner au bureau, alors que d’autres seront neutres ou même déçues. »

Pour beaucoup, le quotidien pandémique est devenu LA nouvelle normalité. Une normalité qui leur a fait découvrir et apprécier le télétravail, entre autres choses. « C’est avec cette perspective-là que devront jongler les spécialistes des ressources humaines et les gestionnaires lors du retour au bureau », explique le psychologue organisationnel.

Une autre variable à considérer est « l’accumulation des changements » qui se sont produits dans la dernière année et demie dans le monde du travail. Du jour au lendemain, le personnel de bureau a été catapulté en télétravail sans y être vraiment préparé. Le masque et la distanciation physique sont devenus des normes sur les lieux de travail demeurés ouverts. Des parents se sont retrouvés avec des enfants fréquemment confinés à la maison en raison des politiques strictes de gestion des symptômes à l’école et à la garderie. Et ainsi de suite.

Cette accumulation a un coût. Les symptômes d’un épuisement collectif se font sentir dans divers sondages. En août 2020, près de 70 % des personnes sondées en Ontario par l’Association canadienne pour la santé mentale ont affirmé que leur province se dirigeait vers « une grave crise de la santé mentale au sortir de la pandémie ». Au Québec, dans un sondage Léger mené en mai 2021, plus d’une personne sur deux (52 %) ont déclaré ressentir « un certain degré d’anxiété » relativement au retour à leur quotidien pré-COVID. « Tous ces indicateurs nous font comprendre qu’il y a un enjeu de santé mentale sur la table en ce moment et qu’il faut le gérer », insiste le CRHA. C’est en abordant ces enjeux de front que les organisations pourront réussir leur retour au bureau, et ce, peu importe le modèle retenu.

Reprioriser les facteurs humains

À ce moment-là, le défi de bien des gestionnaires sera de « reprioriser les facteurs relationnels », annonce Éric Provencher. « Je ne vous livre pas un secret des dieux. Bien souvent, je vois des gestionnaires qui sont concentrés à la tâche, qui sont débordés et qui n’ont pas le temps de gérer le facteur humain. Des conflits sont amorcés; ils contaminent l’ambiance au travail, et puis ça dérape. Gérer des processus, ça prend du temps, mais gérer des personnes aussi. »

Sur le plan individuel, reprioriser le facteur humain exige des gestionnaires de porter une plus grande attention aux signes de détresse psychologique chez les membres de leur équipe de travail : tristesse, irritabilité, découragement, dévalorisation de soi, changement subit de comportement. Évidemment, voir au bien-être psychologique des membres d’une équipe ne repose pas sur les seules épaules des gestionnaires. « Mettez en place des réseaux d’entraide par les pairs et des groupes de sentinelles, conseille le psychologue organisationnel. Ce sont autant d’yeux et d’oreilles sur le terrain — on a tous, dans nos milieux de travail, des gens qui ont une plus grande facilité dans l’aide aux autres. »

Plus largement, les équipes de gestion doivent savoir reconnaître les situations qui génèrent du stress au sein de leur organisation. Éric Provencher propose ici de se référer à la méthode C.I.N.É., mise au point par Sonia Lupien, chercheure en neurosciences et directrice du Centre d’études sur le stress humain, pour déterminer les stresseurs : contrôle faible, imprévisibilité, nouveauté et ego menacé. « En période de gestion de changement, consulter redonne du contrôle aux membres de l’équipe; consulter permet aussi d’informer et de faire évoluer. En consultant et en communiquant davantage, on se trouve à réduire les stresseurs au sein d’une organisation. »

De plus, les gestionnaires doivent connaître les facteurs psychosociaux favorisant le bien-être du personnel, qui sont déjà bien connus et largement documentés par l’Institut national de santé publique du Québec : une charge de travail adéquate, le soutien de l’équipe de supervision, le soutien des collègues, l’autonomie décisionnelle et la reconnaissance. « Lors du retour au travail, il faut prendre le temps de bien définir les tâches liées à la sécurité au travail, car elles vont s’ajouter au flot de travail régulier », illustre le CRHA.

Reprioriser les facteurs relationnels, cela veut aussi dire pour un gestionnaire de s’intéresser à l’évolution de son équipe de travail en tant « qu’entité ». À cet effet, Éric Provencher rappelle les quatre stades de développement d’une équipe :

  • Dépendance et inclusion
  • Affirmation et affrontements
  • Confiance et structure
  • Performance

« Lors du retour au bureau, on va venir “rebrasser” des systèmes qui fonctionnaient déjà. Au premier stade de développement, on demande aux gestionnaires ou à l’employeur de clarifier leurs règles de fonctionnement. Au deuxième stade, l’individualité s’exprime davantage, et il y a des risques d’affrontement. Notre défi à nous tous, c’est d’amener les gens au troisième stade — à la confiance et la structure, de stabiliser les systèmes, puis d’envisager un retour à la performance, au quatrième stade. »

Un plan de retour sous le signe du dialogue

Comme on l’a vu précédemment, les membres d’une organisation ont besoin d’un minimum de prévisibilité pour se sentir bien au travail. D’où l’importance pour la direction de concevoir et de communiquer un plan de retour au bureau le plus tôt possible dans le processus de transition.

Ce plan ne doit toutefois pas être pensé en vase clos. Éric Provencher invite les équipes de direction à réfléchir d’abord à leurs contraintes de production, pour ensuite sonder les membres de leur personnel sur leurs préférences quant à l’organisation du travail. « Si on fait un lac-à-l’épaule en équipe, les employés devraient tout de même être rencontrés individuellement par la suite. Idéalement, chaque employé devrait être rencontré par son gestionnaire, qui lui demandera comment il voit ce qui s’en vient, s’il est à l’aise avec les changements à venir, s’il a le sentiment d’avoir tous les outils pour y faire face. Et, aussi, comment il a vécu la période de la COVID. »

Aussi détaillé puisse-t-il être, le plan de retour au bureau devra tout de même offrir de la souplesse dans son déploiement. « Si une organisation a des directives globales, il est sans doute possible de laisser un peu de latitude aux gestionnaires à l’intérieur de leur équipe », illustre le CRHA.

On revient donc ici à la notion d’autonomie décisionnelle : les membres d’une organisation s’engageront dans la transition grâce au sentiment d’avoir leur mot à dire sur la manière dont elle est menée.