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Au-delà des horaires : repenser l’organisation du travail

Il est nécessaire d'avoir de nouveaux repères pour aborder le défi de gestion qui découle du retour au travail. Ce texte en propose afin d'offrir aux travailleurs, aux cadres et aux organisations des pistes concrètes de réinvention.
20 septembre 2021

La pandémie de COVID-19 a bouleversé les organisations. Maintenant, un retour au travail unique dans l’histoire humaine se dessine, apportant son lot d’inquiétudes. De fait, on se retrouve devant l’inconnu. Voici des pistes de solution et de réflexion amenées par Chantal Gravel, CRHA, présidente de Chantal Gravel Management.

Après un an et demi de télétravail pour un grand nombre d’employés et employées, le retour au travail est bien plus complexe qu’une simple question d’horaire, souligne Chantal Gravel.

« D’entrée de jeu, il importe de réaliser que le retour au travail n’est pas un retour à la normale et que l’organisation d’avant la pandémie n’existe plus. Trop de choses ont changé dans notre société. Il faut repenser l’organisation de demain, aujourd’hui… et c’est urgent. Il est temps de nous demander si nous disposons des bons repères pour attirer et fidéliser notre personnel, dit-elle. Il importe aussi de se demander en quoi les professionnels et les gestionnaires en ressources humaines peuvent devenir des moteurs d’une réorganisation qui nous semble incontournable. »

Autrement dit, comment allons-nous relever les défis d’aujourd’hui que sont l’attraction, la fidélisation, la responsabilisation des travailleurs, l’innovation, la créativité, l’engagement des talents, le développement des compétences, la pénurie de main-d’œuvre et la santé psychologique?

« Tous ces défis étaient là avant la pandémie, mais celle-ci a braqué les projecteurs tout particulièrement sur nos carences dans la gestion des personnes. Nous ne pouvons plus les nier ni les sous-estimer. Accentués par la pénurie de main-d’œuvre, les défis qu’affrontent les organisations les obligent à se doter de nouvelles pratiques de gestion du capital humain plus intégrées, plus puissantes, plus créatives et agiles », ajoute-t-elle.

Revoir le processus de prise de décision

« Trois grandes défaillances dans le processus de décision sont à l’origine de ce constat préoccupant, explique Chantal Gravel. Premièrement, nous prenons des décisions à court terme, avec le réflexe de régler momentanément les problèmes, en remettant les vraies solutions à plus tard, pour en arriver à des crises internes. Par exemple, on ne remplace pas les congés de maladie jusqu’à ce que les remplaçants, en surcharge, tombent au combat, eux aussi.

Deuxièmement, nous ne considérons pas suffisamment les effets à long terme et les impacts collatéraux d’une décision. Par exemple, le cercle vicieux des non-remplacements fait fuir la main-d’œuvre potentielle et provoque un affaiblissement ou une image négative de la marque employeur, aggravant du coup la situation et restreignant les avenues de solutions.

Troisièmement, nous travaillons en vase clos, par silo. C’est la responsabilité du gestionnaire, ou des RH, ou du syndicat, ou de l’employé. On morcelle la responsabilité commune réussite/bien-être en territoire cloisonné de sorte que les solutions sont incomplètes et inefficaces. »

De nouveaux ancrages de la gestion du capital humain

Il faut des ancrages solides pour orchestrer le retour au travail qui favorise autant la performance organisationnelle que la réussite et le bien-être des travailleurs, suggère Chantal Gravel.

« Pour penser autrement l’organisation du travail, il importe de travailler simultanément sur deux axes : l’axe réussite, c’est-à-dire s’assurer qu’un employé pourra accomplir adéquatement sa tâche, ses mandats et contribuer pleinement à l’atteinte de la mission organisationnelle. Et l’axe bien-être puisque en même temps, il est nécessaire de veiller au bien-être des employés, en recherchant l’équilibre entre les objectifs et les performances attendus, la capacité du travailleur à les rencontrer (compétences, expertises, expérience) ainsi que les ressources dont il dispose (temps, outils, processus, technologie, informations, encadrement). »

« Autrement dit, gérer par les deux axes réussite/bien-être permet une performance accrue des travailleurs et favorise leur épanouissement professionnel sans qu’ils risquent d’y “laisser leur peau”. Ces deux axes doivent être à la base de toutes les décisions managériales et s’appliquent autant au travailleur qu’au personnel d’encadrement; ils favorisent l’engagement, la fidélisation, la performance et la satisfaction et évitent les décisions contre-performantes. »

Les conditions de réussite

Selon Chantal Gravel, le contexte de production est le premier facteur à considérer dans la réorganisation des modes de travail. Les critères d’évaluation de ce facteur se définissent par la nature de la relation avec les clientèles (interne ou externe), la nature du produit ou du service, la fiabilité des processus de production, et enfin, par le degré d’interdépendance des tâches et de coordination, nécessaires à la production d’un bien ou d’un service.

Les performances pertinentes au contexte de production sont la qualité du service et la fluidité des activités de production. Ces performances prennent leur source dans l’adhésion du travailleur à la mission, à la vision, aux valeurs de l’organisation et aux plans stratégiques et opérationnels tout autant qu‘en matière de professionnalisme de l’employé. Ce qui nous amène à nous questionner sur le degré de connaissance et d’adhésion des employés au projet organisationnel ce que Madame Gravel appelle le facteur d’appropriation.

Selon Madame Gravel, l’appropriation entraîne le sentiment d’appartenance et suscite l’engagement et la fidélisation, car il donne un sens au travail.

« Durant le confinement, chez les nouvelles recrues embauchées en télétravail exclusif, l’appropriation est faible sinon inexistante. C’est un des grands pièges du télétravail à temps plein. Plus le travailleur est coupé de son organisation et de ses collègues, moins il se sent partie prenante d’une organisation. Moins il développera un sentiment d’appartenance et plus il sera volatil ».

L’autre élément de l’axe réussite/bien-être, c’est la tâche elle-même, qui relève directement de la qualité de l’encadrement.

« On est dans la notion de réussite. Les mandats confiés, que ce soit en présentiel, en télétravail ou en mode hybride, comportent les mêmes enjeux de réussite. En confiant des mandats, on doit s’assurer que les personnes ont les outils, les informations et les compétences, bref, tous les atouts pour réussir. Sans ceux-ci, on augmente le stress et les risques de burn-out, car nous plongeons l’employé dans une mission impossible. L’autonomie et la marge de manœuvre jouent un rôle primordial dans la capacité à résoudre des problèmes, à s’adapter aux situations et à développer de la créativité. Chez la recrue, cette autonomie est limitée. Cela accentue les difficultés d’adaptation et d’intégration et augmente le stress. »

Quête de sens

Le tissu social, l’engagement et le bien-être

Le tissu social des organisations a été bouleversé par le télétravail.

« Nous avons perdu de vue nos collègues, la dynamique d’équipe, les conversations. Cette perte est loin d’être négligeable, car c’est par le tissu social que l’on construit l’engagement affectif. Je connais beaucoup de gestionnaires et de travailleurs qui ne quittent pas leur organisation parce qu’ils aiment leur équipe, leur patron, parce qu’ils y trouvent l’entraide et le soutien, personnel ou professionnel, parce qu’ils se sentent appréciés. La construction d’un tissu social fort fait partie intégrante des stratégies d’attraction, de rétention de la main-d’œuvre et de fidélisation; il doit être développé de façon innovante dans les nouveaux modes de travail. »

« Le confinement a permis aux gens d’avoir une réflexion sur leur relation avec leur travail et de mesurer les enjeux de l’équilibre travail-famille. Bien des gens ont réalisé qu’ils pouvaient travailler et vivre autrement aussi, ils ne veulent pas revenir en arrière. D’autres espèrent un retour à la vie au bureau. Quelles que soient les modalités de retour au travail, c'est l’aspiration à la réussite et au bien-être qui constituera la pierre d’angle du retour au travail. »

« Les axes réussite/bien-être nous éloignent irrémédiablement de la simple question de l’organisation des horaires, avec un choix arbitraire, sans critères précis. Ce genre de décision risque de provoquer des conflits et nuire à la fluidité des processus de production. Pourquoi un employé sera-t-il présent au bureau deux jours par semaine et un autre, trois jours et que les équipes ne se retrouvent jamais ensemble? Pourquoi lui et pas moi? »

Tellement plus qu’une question d’horaire

Les décisions en ce qui concerne l’organisation du travail, les modes choisis et les horaires qui en découlent doivent reposer sur des critères précis, élaborés en tenant compte du contexte de production, de l’équilibre tâches/capacités/ressources, du niveau d’autonomie et d’appropriation de l’employé, explique Madame Gravel.

« La construction ou le maintien du tissu social et de la proximité des équipes de travail font partie des critères qui feront passer un probable retour au travail chaotique à la rencontre désirée d’un nouvel univers de travail accueillant, organisé, performant, souple et agile.

Un retour au travail graduel et planifié, un soutien plus intensif du supérieur hiérarchique (lui aussi mieux préparé), des activités stimulantes en groupe pour reconstruire le tissu social et le plaisir du soutien du groupe, une promotion des valeurs de l’organisation, des comportements managériaux qui valorisent la personne s’avèrent incontournables. Enfin, beaucoup de reconnaissance et de compréhension favorisent un sentiment de sécurité et de confiance et permettent de rebâtir la fierté et le lien d’appartenance ».

« Le bien-être au travail comprend aussi la nécessité de s’épanouir et de consolider son identité professionnelle et son image de soi au travail, comme professionnel et comme personne. Le retour au travail doit donc se déployer de façon à ce que le travailleur reconnaisse sa place dans son organisation, qu’il soit dans un contexte de réussite et de dépassement et qu’il exerce ses talents de façon à être accepté, valorisé, apprécié, équilibré et performant, dans un environnement sain et sécuritaire », de clore Madame Gravel.