Les employés sont la force vive d’une organisation, ses bras, ses jambes, ses poumons. Plusieurs éléments peuvent influencer la performance et le bien-être des travailleurs, autant du côté personnel que professionnel. Selon le Portrait 2022 de la santé mentale des travailleuses et travailleurs de PME au Canada, environ 55 % des répondants rapportent vivre avec au moins une difficulté de santé mentale.
De plus, saviez-vous que la conciliation vie personnelle-travail est une source de stress importante pour 52 % des travailleurs ayant des responsabilités familiales[1]? C’est l’une des données éloquentes du dernier sondage Concilivi auprès de 3000 parents travailleurs et proches aidants. Le stress a un impact direct sur la santé mentale et physique. Selon une étude de l’INSPQ (2019) portant sur la CFT chez les femmes, la détresse psychologique est deux fois plus élevée chez celles qui ont de la difficulté à concilier en comparaison à celles pour qui c’est plus facile. Par exemple, une forte proportion des travailleurs (femmes et hommes confondus) se disent de plus en plus souvent trop fatigués (49 %) ou trop vidés émotionnellement (35 %) pour participer à des activités familiales ou aux responsabilités familiales en revenant du travail[2]. De plus, les conflits de CFT augmentent d'environ 90 % les risques de mauvaise santé physique autodéclarée[3].
Protéger la santé mentale implique nécessairement d’agir sur la conciliation vie personnelle-travail, car c’est à la fois un facteur de protection et un facteur de risque pour la santé psychologique. Avec la pandémie, la détresse globale s’est accentuée alors il est primordial d’être attentif au bien-être des travailleurs.
Les conflits de CFT ont un impact négatif sur la santé psychologique, notamment une hausse du stress, de l’anxiété, et de la fatigue. En faisant preuve d’ouverture et en mettant en place des mesures de CFT concrètes, une organisation aura un levier pour agir sur la santé psychologique de ses employés en plus d’avoir plusieurs autres avantages. Selon les données de Concilivi, les travailleurs ayant des responsabilités familiales affirment que l’ouverture de leur employeur quant à leurs besoins de CFT a un impact considérable sur leur satisfaction au travail (90 %) et une propension à rester plus longtemps à l’emploi (85 %).
En tant qu’organisation, ne pas se soucier de la santé mentale de ses employés entraîne des conséquences néfastes et des coûts non négligeables. Par exemple, plusieurs professionnels s’accordent sur le fait que le coût de remplacement d’un employé sera de 30 % à 200 % du salaire de celui-ci en frais directs ou indirects. Cela en plus de l’impact sur le climat de travail et la santé organisationnelle.
Une responsabilité partagée
Certains trouvent légitime de se demander si la santé psychologique est une responsabilité qui incombe à l’employeur. Le mythe selon lequel les personnes en emploi doivent agir seules en matière de CFT et de santé psychologique est faux. En fait, il s’agit d’une responsabilité partagée. Il est vrai que les travailleurs ont tout à gagner d’être proactifs. Toutefois, avoir des collègues et des gestionnaires sensibilisés aux diverses réalités de la vie hors travail, des organisations engagées envers la CFT, des services accessibles ainsi que des lois et des règlements clairs font aussi partie de la solution.
L’approche holistique de la CFT (figure 1) illustre la responsabilité partagée en matière de CFT. Elle inclut les sphères du travail, de la famille, de la collectivité et du gouvernement dans un écosystème. La personne en emploi est au centre de la CFT et, dans chacune des sphères, il y a des acteurs de soutien (pour aller plus loin, consultez l’article de Chrétien & Létourneau, 2006 cité dans les références). C’est l’implication positive de plusieurs acteurs qui favorise la CFT.
Figure 1 : L’approche holistique de la conciliation famille-travail[4]
En même temps, chaque personne peut agir sur plusieurs éléments afin de maintenir une harmonie de vie selon son contexte particulier. Par exemple :
- Surveiller les signes pour éviter le surmenage : fatigue, anxiété, tristesse, irritabilité, difficulté à décrocher, problèmes de sommeil, maux de tête, difficulté à se concentrer, etc.
- Mettre en place des stratégies adaptées à sa réalité : créer et entretenir un réseau de soutien, s’informer sur les ressources disponibles, établir des priorités, éliminer les tâches non essentielles, gérer ses attentes, etc.
Et maintenant, comment contribuer en tant qu’organisation?
L’organisation : un acteur clé de soutien
Plusieurs études ont documenté l’impact du soutien organisationnel sur la santé psychologique et la CFT[5]. En effet, les organisations peuvent faire plusieurs choses pour s’acquitter de cette responsabilité. Il est important de reconnaître et nommer les enjeux de santé psychologique et de conciliation, de sensibiliser et outiller les gestionnaires et les collègues et d’évaluer périodiquement la charge de travail. Peu importe le nombre et la qualité des mesures de conciliation qu’on mettra en place, si les employés sont continuellement en surcharge, il sera difficile pour eux de s’en prévaloir. Au quotidien, les gestionnaires peuvent offrir une oreille attentive, ouvrir le dialogue sans jugement, informer et prendre conscience de leurs propres idées préconçues.
En agissant ainsi, l’organisation adopte une approche de prévention. L’un des gestes clés est l’implantation de mesures de CFT qui répondent aux besoins du personnel. Selon un rapport de l’Institut de la statistique du Québec, les personnes ayant accès à une grappe de cinq mesures de CTF ou plus semblent avoir une meilleure santé mentale[6].
Évidemment, considérées individuellement, les mesures de CFT peuvent ne pas convenir à tous les secteurs d’activités ni à tous les besoins individuels. Il est donc nécessaire d’évaluer les besoins des travailleurs et de tenir compte des contraintes organisationnelles pour faire un choix judicieux.
Afin de créer un cadre favorable pour que les personnes et les organisations assument leur responsabilité partagée, il faut :
- Déconstruire les préjugés.
- Obtenir un engagement réel de la direction (allocation des ressources, formalisation de pratiques).
- Sensibiliser et outiller les employés et les gestionnaires.
- Connaître les besoins des employés et mettre en place des pratiques qui correspondent à leur réalité.
- Établir des balises claires et bien les communiquer.
- Faire des suivis réguliers et évaluer les actions.
Au-delà des personnes et des organisations, la collectivité et les gouvernements ont aussi un rôle à jouer à un autre niveau afin de faciliter la CFT au quotidien.
Un investissement qui porte ses fruits
Chaque action pour appuyer la CFT favorisera par ricochet la santé psychologique des travailleurs et aura un effet positif. Ces actions sont des atouts tant pour les personnes que pour les organisations. Selon une analyse des coûts réalisée en Suisse auprès de grandes entreprises, on estime que le retour sur le capital investi dans une politique CFT est de l’ordre de 8 %. De plus, plusieurs mesures de CFT peuvent être mises en place à coût nul ou faible, comme démontré par les données du dernier sondage auprès de 1000 employeurs. Un bien meilleur investissement que d’accumuler les coûts de roulement des employés!
Au-delà des mesures elles-mêmes, une politique de CFT ne peut exister ou être utile sans le soutien et l’ouverture des gestionnaires. S’il règne une culture de performance au détriment de la santé psychologique dans une organisation et que les employés ne sont pas encouragés et appuyés à se prévaloir des mesures qui peuvent contribuer à leur bien-être et à un meilleur équilibre vie personnelle-travail, aussi merveilleuses soient-elles, elles ne n’auront les effets escomptés.
D’un autre côté, il est crucial de soutenir les gestionnaires dans leur double mission de favoriser la CFT dans leur équipe tout en préservant leur propre équilibre. Il ne faut pas hésiter à les sensibiliser et les outiller par le biais de formations, d’outils et simplement le soutien des pairs. De cette façon, ils donnent l’exemple et, comme le disait Albert Schweitzer « l’exemplarité n’est pas une façon d’influencer, c’est la seule ».
Références
- Boulet, M. (2013). Les pratiques de conciliation travail et vie personnelle : un outil pour atténuer la détresse psychologique des salariés. Québec : ISQ. 33 p.
- Chaire de recherche Relief en santé mentale, autogestion et travail (2022). Portrait 2022 de la santé des travailleuses et travailleurs de PME au Canada. (Rapport de recherche). Repéré à https://crrsmat.ca/wp-content/uploads/2022/03/Chaire_recherche_2022_Sante_mentale_PME_Rapport_complet.pdf
- Chrétien, L., (2005). La conciliation travail-famille dans les MRC de Bellechasse, Lévis et Lotbinière, Rapport final, Étude réalisée pour le compte du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale du Québec, Université Laval, 2005.
- Chrétien, L., et Létourneau, I. (2010). La culture organisationnelle et les préoccupations des parents travailleurs concernant le soutien de l'employeur en matière de conciliation travail-famille. Revue multidisciplinaire sur l'emploi, le syndicalisme et le travail (REMEST) Vol. 5, p. 70-94.
- Chrétien, Lise et Isabelle Létourneau, « Du poids des contraintes au partage concerté des ressources : Quelques témoignages des acteurs centraux de la conciliation travail-famille. » Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, Vol. 8, no 2, 2006, DOI : https://doi.org/10.4000/pistes.3024.
- Chrétien, Lise et Isabelle Létourneau, « Du poids des contraintes au partage concerté des ressources : Quelques témoignages des acteurs centraux de la conciliation travail-famille. » Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, Vol. 8, no 2, 2006, DOI : https://doi.org/10.4000/pistes.3024.
- Concilivi (mai 2021), Sondage auprès des travailleurs du Québec, Réseau pour un Québec Famille
- Goh, J., Pfeffer, J., & Zenios, S. A. (2015). Workplace stressors & health outcomes: Health policy for the workplace. Behavioral Science & Policy, 1(1), pp. 55–66.
- Institut national de santé publique (2019), Conciliation travail-vie personnelle : point de vue de travailleuses et pistes d’action pour des contextes de travail plus favorables à la santé mentale (Rapport de recherche). Repéré à https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/2618_conciliation_travail_point_vue_femmes.pdf
- Prognos SA : Analyse coûts-bénéfices d’une politique d’entreprise favorable à la famille. Étude auprès d’un échantillon d’entreprises suisses, Bâle 2005
- Concilivi (2021, mai)
- Idem
- Goh, J., Pfeffer, J., & Zenios, S. A. (2015)
- Chrétien et Létourneau (2006)
- Chrétien, L., (2005); Chrétien, et Létourneau (2010)
- Boulet, M. (2013).