Le travail peut à la fois être source d’actualisation et d’émancipation tout comme de souffrance et de déception. D’un côté, on peut dire que « le travail, c’est la santé » et, de l’autre, dire cyniquement que « ne rien faire, c’est la conserver ». Nous verrons dans cet article que les deux réalités (émancipation et détresse) sont simultanément possibles et que certains leviers peuvent être activés pour augmenter le positif et diminuer le négatif, entre autres par les plus récentes recherches issues de la psychologie positive.
Qu’est-ce que la santé mentale? Vers une opérationnalisation de toutes les facettes
Avant de parler de ce qui augmente le bien-être ou diminue le mal-être, il est important de bien définir ce qu’est la santé et la santé mentale. L'Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité » (WHO, 2018). On voit donc que la simple absence de négatif ne fait pas de quelqu’un une personne en santé; il s’agit simultanément de la présence d’aspects positifs et de la relative absence d’éléments négatifs.
Lorsqu’il est question de santé psychologique, le modèle de la santé mentale optimale de Corey Keyes (2005) permet de visualiser toutes les possibilités. Celui-ci est graphiquement représenté ci-après.
On constate ici qu’il est possible d’avoir une santé mentale optimale avec ou sans détresse, ainsi qu’une santé mentale sous-optimale avec ou sans détresse psychologique. Ceci nous démontre bien que le bien-être et le mal-être sont des sous-composantes interdépendantes qui peuvent être vécues en différentes proportions. Le but est ici de diminuer le mal-être ET d’augmenter le bien-être, et non pas uniquement faire l’un ou l’autre.
La psychologie positive pour simultanément augmenter ce qui va bien et diminuer ce qui va mal
Au tournant des années 2000 est née la discipline de la psychologie dite « positive » qui, contrairement à ce que son nom pourrait laisser croire, est vouée à comprendre ce qui, concurremment, diminue le mal-être et augmente le bien-être. Au fil des années, l’acronyme PERMA a été développé par la communauté scientifique pour résumer l’essentiel des connaissances sur les principales constituantes de la santé psychologique et du bien-être (Seligman, 2012).
Éléments PERMA
Traduction proposée en français
Questionnements relatifs
Éléments PERMA P (Positive emotions)
Traduction proposée en français Émotions positives
Questionnements relatifs Qu’est-ce qui augmente vos émotions positives et diminue vos émotions négatives?
Éléments PERMA E (Engagement)
Traduction proposée en français Motivation/Engagement
Questionnements relatifs Comment faire correspondre étroitement vos capacités aux défis à relever, de manière à susciter un engagement plein et entier dans vos activités?
R (Relationships)
Traduction proposée en français Affiliation sociale
Questionnements relatifs Comment pouvez-vous avoir des relations interpersonnelles enrichissantes et mutuellement satisfaisantes dans vos différentes sphères de vie?
Éléments PERMA M (Meaning)
Traduction proposée en français Sens/Signification
Questionnements relatifs Quels sont les comportements, actions et aspirations qui vous procurent le plus de sens? Qu’est-ce qui est important pour vous?
Éléments PERMA A (Accomplishment)
Traduction proposée en français Compétence/Accomplissement
Questionnements relatifs Quels objectifs souhaitez-vous poursuivre et atteindre? Comment pouvez-vous célébrer vos succès en cours de route?
La théorie de l’autodétermination pour avoir une vue globale du fonctionnement optimal de l’être humain
Un modèle utile et largement utilisé pour comprendre le fonctionnement optimal de l’être humain est la théorie de l’autodétermination, qui peut être appliquée au monde comme le graphique suivant le présente.
Cette théorie est testée depuis une cinquantaine d’années et est maintenant utilisée dans plusieurs domaines de la vie (ex. : éducation, travail, sport, etc.) par près de 500 chercheurs venant de partout sur la planète. L’intérêt de ce modèle se situe dans sa capacité à expliquer à la fois le versant positif et le versant négatif du vécu humain. En somme, ce qui augmente le vécu positif de plaisir (motivation intrinsèque) et de sens (motivation identifiée) est la satisfaction des besoins innés et universels d’autonomie (être autodéterminé et percevoir des choix à l’intérieur de certaines règles et limites), de compétence (se sentir efficace et pouvoir atteindre ses objectifs) et d’affiliation sociale (avoir des relations interpersonnelles satisfaisantes). Ce vécu amène en retour la performance et le bien-être. À l’opposé, ce qui augmente le vécu mitigé ou négatif est la frustration de ces mêmes besoins (autonomie, compétence et affiliation sociale), ce qui semble augmenter les motivations relatives à la réputation (motivation introjectée) ou aux récompenses (motivation extrinsèque). Ce vécu peut mener à une performance en quantité à court terme, mais avec un coût sur le plan du bien-être. Finalement, la démotivation amène une absence de direction qui augmente dramatiquement le mal-être (Deci et al., 2017).
Les spécialistes de la gestion des ressources humaines (GRH) peuvent utiliser efficacement cette théorie en déterminant les pratiques organisationnelles (rémunération, leadership et design des emplois) qui sont les plus à même de diminuer le vécu négatif et/ou augmenter le vécu positif. L’objectif général est d’enseigner aux gestionnaires les habiletés et comportements qui sont les plus susceptibles de satisfaire les besoins psychologiques de leurs subordonnés. À titre d’exemple, une pratique gagnante pour atteindre cet objectif est d’arrimer le développement des personnes, l’appréciation de la performance et la gestion de la carrière en entreprise avec les forces des travailleurs (plutôt qu’uniquement pallier leurs faiblesses).
En plus de la recherche scientifique sur la théorie de l’autodétermination, il est également possible de s’inspirer de ressources gratuites comme le « World Happiness Report » qui relate comment il est possible de rendre des populations complètes plus heureuses.
Augmenter ce qui va bien et diminuer ce qui va mal chez le plus grand nombre
Jusqu’à maintenant, nous avons vu que la santé mentale est simultanément constituée de plus de bien-être et de moins de mal-être, que la psychologie positive nous donne des pistes d’intervention scientifiquement éprouvées, et que la théorie de l’autodétermination permet de comprendre le tout.
C’est maintenant à notre tour de prendre toutes ces connaissances, testées par la science, et de les appliquer dans notre quotidien et celui de nos travailleurs. Ce faisant, il sera possible de stimuler la performance et le bien-être chez le plus grand nombre.
Références sélectionnées
- Deci, E. L., Olafsen, A. H., & Ryan, R. M. (2017). Self-Determination Theory in Work Organizations: The State of a Science. Annual Review of Organizational Psychology and Organizational Behavior, 4(1), 19-43.
- Forest, J., Gradito Dubord, M.-A., Olafsen, A. H. & Carpentier, J. (sous presse, 2022). Shaping tomorrow’s workplace by integrating self-determination theory: A literature review and recommendations. Handbook of Self-Determination Theory.
- Keyes, C. L. (2005). Mental illness and/or mental health? Investigating axioms of the complete state model of health. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 73(3), 539-548.
- Seligman, M. E. (2012). Flourish: A visionary new understanding of happiness and well-being. New York, NY : Atria.
- Van den Broeck, A., Van Coillie, H., Forest, J., & Mueller, M. (2022). Motivé et motivant : Avec la théorie de l’autodétermination. Montréal, Canada : EDITO.
- World Health Organization. (2018). Mental Health: Strengthening our response. URL https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/mental-health-strengthening-our-response (consulté le 2022-03-23).