Pourquoi une entreprise devrait-elle offrir ce mode de travail à son personnel et surtout comment doit-elle s’y prendre ? L’article qui suit présente le télétravail comme solution d’affaires et propose une marche à suivre pour maximiser le succès d’un tel programme.
Les avantages classiques
Parmi les avantages d’affaires les plus souvent cités, on retrouve la réduction des frais immobiliers, la hausse de productivité et la réduction de l’absentéisme.
Plusieurs entreprises d’envergure rapportent des économies impressionnantes sur le plan immobilier. Lucent Technologies estime que chaque dollar investi dans l’établissement d’un bureau à domicile engendre une économie de deux dollars sur les frais immobiliers1. IBM a réduit ses espaces alloués aux bureaux de vingt-deux millions de pieds carrés réalisant une économie annuelle de cinquante millions de dollars1. AT&T affirme avoir économisé trente-quatre millions en frais immobiliers en 2004, parce qu’une partie de son personnel travaille à distance2. L’entreprise a pu regrouper ses bureaux et ainsi mettre fin à plusieurs baux. Même résultat chez Bell Canada qui a déployé en 2005 un important projet de bureaux satellites3.
L’optimisation de l’utilisation des bureaux au moyen du télétravail peut aussi être réalisée lors de fusions ou d’acquisitions d’entreprises ou lorsque la croissance d’une entreprise est sur le point de l’obliger à déménager dans des locaux plus grands.
En ce qui concerne la productivité et l’absentéisme, il est plus difficile de cerner tous les facteurs ayant une influence directe ou indirecte sur ces résultats et d’isoler l’effet du télétravail comme tel. Néanmoins, plusieurs entreprises rapportent des résultats positifs en ce domaine, soit par des mesures quantitatives ou par les commentaires obtenus des télétravailleurs ou de leurs gestionnaires. IBM révèle des hausses de productivité variant de 20 à 50 %4, 5. Pour sa part, la firme de logiciels JD Edwards affirme que ses télétravailleurs sont de 20 à 25 % plus productifs que ses employés travaillant au bureau5. Au Québec, une étude du Centre francophone d’informatisation des organisations (CEFRIO), à laquelle participaient sept entreprises, rapporte des gains de productivité variant de 10 à 30 %6.
Les avantages moins connus
Au-delà des économies en pieds carrés et des gains de productivité typiquement recherchés, plusieurs autres besoins d’affaires et défis de gestion devraient inciter les gestionnaires des opérations et des ressources humaines à considérer le télétravail comme une solution de choix, notamment :
- assurer le maintien ou la reprise des opérations en cas de sinistre (feu, alerte à la bombe, panne d’électricité) ou de problèmes climatiques affectant la circulation (tempête de neige ou de verglas, inondation, glissement de terrain)7, 8;
- se préparer aux risques de pandémie (réduire les risques de contagion, gérer le niveau de stress collectif) 9, 10, 11;
- offrir un accommodement raisonnable aux personnes handicapées ou à mobilité réduite (sur une base temporaire ou permanente)12, 13;
- faciliter le retour au travail progressif, après une chirurgie, une maladie ou un accident13;
- augmenter ses atouts de recrutement et de fidélisation de personnel14 :
- pour les employés de centres d’appels travaillant avec des horaires brisés ou variables;
- pour les nouveaux diplômés qui recherchent la flexibilité offerte par la technologie et les moyens de communication à distance;
- pour assurer un service dans des régions éloignées;
- pour recruter une personne avec des compétences de pointe qui ne peut pas déménager;
- en offrant un avantage concurrentiel par rapport à d’autres employeurs;
- soutenir les efforts en matière de protection de l’environnement (réduction des émissions de gaz à effet de serre, désengorgement du réseau routier)15.
Les facteurs de succès
Le télétravail présente un attrait indéniable pour bien des entreprises et il existe une abondante littérature sur le sujet. Pourtant, plusieurs hésitent encore à l’offrir, car il n’est pas facile de savoir par où commencer et ni quels pièges éviter. Voici donc dix facteurs à considérer pour obtenir le succès souhaité lors de l’implantation d’un programme de télétravail.
Impliquer toutes les parties prenantes dès le départ - Les trois principaux joueurs à réunir dans un projet de télétravail sont : 1) les responsables de la technologie (informatique et téléphonique) pour mettre en place les équipements et services qui permettront aux télétravailleurs d’accéder à distance aux systèmes de l’entreprise; 2) les responsables des services immobiliers pour évaluer les opportunités d’optimisation des espaces de bureau et les économies possibles; 3) le service des ressources humaines pour gérer le côté humain d’un tel projet et ses impacts sur la gestion du personnel. Selon la grosseur et la nature de votre entreprise, la contribution des experts en santé et sécurité, du service juridique, de conseillers en relations industrielles et de représentants syndicaux pourrait aussi être sollicitée.
Identifier les besoins et définir les objectifs - Avant d’entreprendre l’implantation d’un programme de télétravail, il importe d’identifier les besoins auxquels cette solution doit répondre et de définir les objectifs visés dans son contexte d’affaires. Cette étape est utile pour promouvoir le projet et pour évaluer si le programme répond aux attentes. Cette affirmation peut sembler fort simple, mais il arrive encore souvent qu’une solution soit déployée en espérant qu’elle offrira un ensemble d’avantages théoriques, sans vraiment s’attarder à cibler et à mesurer ceux qui ont une importance critique dans un environnement d’affaires donné. Il faut établir dès le départ à quels besoins d’affaires on veut répondre, à qui on désire offrir cette solution (cadres, professionnels, vendeurs, soutien informatique, centre d’appels, etc.) et quels résultats on désire obtenir pour son investissement. Puis, il faut évaluer.
Obtenir le soutien de la direction et communiquer les objectifs - Une fois les objectifs du projet définis, il est important qu’ils soient endossés par la direction et qu’ils soient communiqués le plus tôt possible à l’ensemble des gestionnaires et des employés. Cette communication les aidera à comprendre le contexte dans lequel ce projet est déployé et à obtenir leur engagement envers l’atteinte des objectifs.
Gérer le changement – Assurer une bonne communication tout au long de l’élaboration et de la mise en place d’un programme de télétravail permet à toutes les personnes touchées par le changement d’anticiper et d’apprivoiser les impacts possibles. Qui va partir? Qui va rester? Comment va-t-on choisir? Comment va-t-on savoir si les employés ou les collègues travaillent? Comment va-t-on rester en contact avec eux? Mieux les personnes impliquées comprennent comment le changement les touche (personnellement, comme équipe et comme entreprise) et pourquoi ce changement survient, mieux il est accepté. Le côté humain du changement doit recevoir autant d’attention que le déploiement technologique.
Élaborer une politique cadre et un document d’entente entre l’employeur et le télétravailleur – Les professionnels de la gestion des ressources humaines ont un grand rôle à jouer afin d’expliquer et d’encadrer l’application d’un programme de télétravail. Ce travail est facilité par la rédaction d’une politique définissant les conditions sous lesquelles le télétravail peut être offert : À temps partiel? Sur une base permanente? Quels sont les critères d’admissibilité? Comment les horaires seront-ils gérés? Quels équipements seront fournis? Quels frais seront remboursés? La signature d’un document d’entente entre l’employeur et le télétravailleur est également recommandée. Ce document permet d’établir quelles sont les attentes et les responsabilités de chacun en matière de communication, de disponibilité, de santé et sécurité, d’assurances et de protection de l’information et des biens. Il peut aussi spécifier comment l’entente peut être annulée et établir certains besoins quant à la présence au bureau. Même si le domicile devient le nouveau lieu de travail habituel, il est peut être nécessaire d’assister à certaines réunions ou formations en personne, moyennant un avis raisonnable pour organiser le transport requis. Établir ces attentes dès le départ permet d’éviter que le télétravailleur considère qu’il n’a plus à se déplacer.
Choisir les emplois et les individus dont le profil est compatible avec le télétravail – Pour que le télétravail soit un succès et que le rendement de l’employé se maintienne ou s’améliore à distance, il est nécessaire de choisir les emplois et les individus possédant des caractéristiques et des aptitudes compatibles avec ce mode de travail. Les tâches peuvent-elles être exécutées à distance? Impliquent-elles le traitement d’information (rédaction, lecture, analyse, entrée de données, appels téléphoniques, traduction)? La technologie requise est-elle disponible? L’employé est-il formé et autonome dans ses tâches? Est-il capable de se motiver seul et de gérer les distractions potentielles au domicile? Supportera-t-il bien l’isolement du reste de l’équipe? Il faut identifier et communiquer les éléments qui doivent être pris en considération avant d’entreprendre le télétravail. Des questionnaires d’évaluation peuvent être mis à la disposition des employés et des gestionnaires pour les assister dans cette réflexion.
Offrir le télétravail sur une base volontaire – Comme le télétravail requiert un espace de travail adéquat au domicile, il est nécessaire que ce mode de travail soit offert sur une base volontaire. En plus de la disponibilité de l’espace, il faut aussi tenir compte de l’environnement familial de l’employé et des besoins des autres personnes qui résident à son domicile. Par exemple, il pourrait être difficile pour un télétravailleur de se concentrer sur son travail s’il héberge un parent en perte d’autonomie et que celui-ci ne comprend pas ou n’accepte pas que l’employé ne puisse s’occuper de lui pendant qu’il travaille à la maison. Ou encore, si le seul local disponible est la salle de jeu des enfants, qu’arrivera-t-il lorsqu’ils reviendront de l’école? Imposer le télétravail pourrait nuire au rendement de l’employé si l’environnement au domicile ne convient pas.
Former les télétravailleurs et les gestionnaires sur les enjeux du télétravail – Il est important de bien préparer les télétravailleurs et les gestionnaires à la réalité du télétravail. Les tâches et les rôles de chacun changent peu, mais l’impact des communications à distance sur les relations entre les personnes ne doit pas être sous-estimé. Il faut adapter, certains modes de gestion et développer ses habiletés en communication pour compenser l’absence de communication spontanée, la perte de contacts informels avec les collègues ou l’absence d’information non verbale qui permet de « voir » si quelqu’un a l’air préoccupé ou malade. Il est possible qu’il y ait aussi des changements dans les habitudes personnelles (sommeil, exercice, alimentation) et les relations avec les autres membres du foyer. Donc, pour que ce mode de travail procure les avantages professionnels et personnels attendus, il faut comprendre que certaines adaptations sont requises et s’y préparer.
Assurer la fiabilité de la technologie et le soutien à distance – Comme l’efficacité des télétravailleurs dépend en bonne partie des moyens de communication dont ils disposent, il est essentiel de leur assurer les accès dont ils ont besoin aux systèmes téléphoniques et informatiques de l’entreprise. Une technologie défaillante ou sous-performante peut compromettre sérieusement le succès d’un programme de télétravail, car les employés à distance n’arriveront pas à fournir le même rendement qu’au bureau.
Évaluer et ajuster les paramètres du programme – Comme nous l’avons déjà mentionné, il est important d’identifier dès le départ les objectifs spécifiques au contexte d’affaires et de mettre en place les mesures de succès. Il ne faut pas évaluer uniquement les coûts, la satisfaction au travail et la productivité. On peut songer aussi au pourcentage d’employés capables de travailler à distance en cas de sinistre, à la réduction moyenne du nombre de kilomètres voyagés par semaine et au nombre de tonnes de CO2 équivalent, au pourcentage d’employés utilisant le télétravail pour compenser un problème de mobilité (permanent ou temporaire). Il ne faut pas négliger l’utilisation de sondages pour obtenir des mesures subjectives et des commentaires des télétravailleurs, des gestionnaires et des collègues. Ceux-ci peuvent permettre d’identifier et de résoudre certains obstacles au succès. Ce retour sur les résultats par rapport aux objectifs et l’identification des pistes d’amélioration pourraient fort bien être déterminants pour la survie du programme.
Conclusion
Ce survol des avantages et des facteurs de succès d’un projet de télétravail démontre qu’il ne s’agit pas que d’un concept qui avantage l’employé dans son équilibre travail/famille. Les moyens technologiques dont nous disposons aujourd’hui pour transmettre l’information et les images quasi instantanément ouvrent la voie à des solutions d’affaires attrayantes pour les entreprises. La flexibilité des horaires et des lieux de travail qui s’offre aux travailleurs se traduira aisément en avantages concurrentiels pour les entreprises qui sauront en profiter. Toutefois, il faut reconnaître que le passage à l’ère du télétravail est plus qu’une question technologique. Il est nécessaire d’adapter certaines pratiques de gestion et de gérer l’impact des communications à distance sur les relations humaines pour obtenir le succès escompté.
Notes
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- Joyce, Amy. « Getting the job Done At Home – Telecommuting can Save Money and Boost Productivity »,Washington Post, 26 juin 2005, p. F4.
- Blackwell, Gerry. « Telework », EDGE, mai/juin 2006, vol. 5 n° 3 http://www.itbusiness.ca/it/client/en/EDGE/News.asp?id=39531&bSearch=True
- Bresnahan, Jennifer. « Why Telework », CIO Enterprise Magazine, 15 janvier 1998 http://www.cio.com/archive/enterprise/011598_work.html
- The Telework Coalition. « Telework Facts » http://www.telcoa.org/id33.htm
- D’Amours, Liette. Télétravail - Concilier performance et qualité de vie, Isabelle Quentin éditeur, 2001, 154 p.
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- Fortier, Bob. Telework and the Great '98' Ice Stor http://www.ivc.ca/emergencies/teleworkguys/icestorm.htm (juin 2006)
- Reh, F. John. Business Planning For A Bird Flu Epidemic http://management.about.com/od/disasterplanning/a/BirdFluPlan0506.htm (juin 2006)
- Neerdaard, Lauran. Companies Ready for Flu Pandemic AP, 2 décembre 2005 http://www.columbian.com/news/APStories/AP12022005news47520.cfm
- Rosenberg, Joyce M. « Telecommuting can be antidote when flu strikes a small business », The Associated Press, 18 janvier 2006 http://www.post-gazette.com/
- Mook, Bob. « Telecommuting launches new work opportunities for disabled », Gannett News Service, 2 novembre 2003 http://greenvilleonline.com/news/business/2003/11/02/2003110218126.htm
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