ressources / dossiers-speciaux / covid-19

La gestion des RH à l’ère de la pandémie : les héritages de la crise

Alain Gosselin, CRHA, Distinction Fellow et professeur honoraire à HEC Montréal, expose son point de vue sur l’héritage de la pandémie de la COVID-19, et comment les organisations peuvent se préparer pour la suite.

17 juin 2020
Jean Philippe Poirier, 37e Av.

Pour Alain Gosselin, la crise sanitaire actuelle n’est pas une crise ordinaire au sens où il y aura un avant, un pendant et un après. La pandémie a engendré une « série de crises » qui perdureront.

« On fait face à une crise planétaire profonde, qui touche des aspects économiques et sociaux, qui affecte les familles et qui force une réorganisation du travail. »

Le professeur croit que la crise sanitaire aura pour répercussion une crise économique, suivie d’une crise sociale – marquée par du désengagement et des problèmes de santé mentale – suivie d’une crise des finances publiques.

« On se trouve devant une série de crises qui vont s’ajouter les unes aux autres. Les organisations devront vivre avec ces crises et s’adapter à ce post-normal. »

Appréhender le « nouveau normal »

Dans un monde de « crises » comme celui-là, le réflexe des organisations est de mettre de côté leur plan stratégique afin de se concentrer sur les opérations. Alain Gosselin croit que les professionnels RH ont ici un rôle à jouer pour aider les organisations à prendre du recul, en « créant des moments » de réflexion.

« J’en vois deux, dit-il. Le premier concerne la gestion des risques. Selon mon expérience, les conseils d’administration arrivent à bien cerner les risques, mais ils ont plus de mal à définir ce qu’il faut faire ensuite. En poussant l’idée de plan de contingence, les professionnels RH peuvent montrer ce qu’implique un risque pour l’organisation, afin d’aider la gouvernance dans sa gestion des risques. »

La seconde piste d’intervention est d’implanter dans l’organisation une démarche d’apprentissage sur les leçons de la crise. « On sait que les organisations, comme les individus, apprennent par l’expérience, particulièrement lorsque cette expérience est négative. Cette crise-là peut amener un apprentissage organisationnel important. »

En guise d’exemple, le professeur décrit un atelier virtuel qu’il réalise avec ses étudiants au EMBA. « Je leur ai demandé de s’évaluer et d’évaluer leurs employés selon leur réaction face à une situation de crise. »

La grille d’analyse comportait deux axes de comportements, l’axe constructifs/destructifs et l’axe actifs/passifs, qui généraient quatre profils : suiveurs fidèles, promoteurs actifs, victimes blessées et voix négatives.

« J’ai ensuite demandé à mes étudiants de réfléchir à leurs expériences de crises passées et aux leçons qu’ils en tiraient. Puis, dans un deuxième temps, je leur ai demandé de réfléchir à la crise actuelle et d’identifier les bons coups, les moins bons coups, ainsi que les leçons additionnelles. »

Ce genre de démarche, basée sur la connaissance de soi, aidera les organisations à affronter les prochaines crises avec des équipes plus conscientes de leurs forces, mais aussi de leurs limites.

Vers une crise structurante

Quand on traverse une crise de courte durée, les leçons de cette crise sont vite oubliées. Alain Gosselin donne en exemple la crise du verglas. « À l’époque, beaucoup de dirigeants m’avaient parlé d’une responsabilisation spontanée de la part des employés. On me disait que la hiérarchie n’existait plus, que toute l’organisation était concentrée à servir le client ou à faire avancer un projet. Tous m’ont dit, peu de temps après la crise du verglas, que les comportements habituels étaient revenus. »

Le professeur entrevoit une issue différente, cette fois. « C’est une crise qui va durer, alors il est possible qu’elle amène des changements durables. J’y vois une opportunité extraordinaire pour les professionnels RH de pouvoir accélérer des dossiers et des changements organisationnels habituellement longs et difficiles. »

Alain Gosselin rappelle l’expression de Churchill : Never let a good crisis go to waste. (« Ne gaspillez jamais une bonne crise. ») Les professionnels RH ont notamment l’occasion de faire avancer le dossier du télétravail, qui suscitait auparavant beaucoup de réticence de la part de certains employeurs, mais qui, par la force des choses, est momentanément devenu la solution.

Le télétravail, le grand héritage de la crise

Le télétravail est d’ailleurs, selon plusieurs, le plus grand héritage de cette crise. Selon le plus récent sondage de l’Ordre des CRHA, 84 % des organisations ont recours au télétravail pour une partie ou pour la totalité de leurs employés afin de maintenir leurs activités.

« Notons que plusieurs travailleurs n’ont pas goûté au véritable télétravail, précise le professeur. Ils ont été pris par surprise, ils avaient des enfants à la maison et ils n’étaient pas nécessairement bien installés. Ce n’est pas une situation idéale. On sait que, pour que le télétravail fonctionne bien, ça prend un certain nombre de conditions minimales. »

Le professeur y voit tout de même une tendance de fond : des employeurs voudront poursuivre l’expérience au-delà de la crise et des employés vivront de la pression, se sentant poussés à adopter ce mode de travail.

« On ne sera pas dans les extrêmes, précise-t-il toutefois. On ne sera pas dans un retour au bureau complet, tout comme on ne sera pas en télétravail 100 % du temps. Travailler sur un ordinateur, dans un cubicule, je crois qu’on a découvert que l’on pouvait faire cela de chez soi. Quand on se déplacera au travail, c’est parce qu’il y aura une valeur ajoutée. »

Alain Gosselin voit un entre-deux, où les employés travaillent de la maison trois jours par semaine et se rendent au bureau deux jours par semaine.

Cette organisation du travail changera la valeur de la présence au bureau. « Ça rend la situation très intéressante pour un gestionnaire : il devra prévoir ce qui va se passer les jours où tout le monde se retrouve au bureau, imaginer le contenu de ces journées. Ces moments deviendront des événements. Je trouve ça passionnant! », conclut le professeur.


Jean Philippe Poirier, 37e Av. Journaliste indépendant