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Pour faire accepter le changement : un chemin parsemé d’obstacles

Faire accepter le changement est l’un des défis que doit souvent relever le professionnel de la gestion des ressources humaines. L’introduction d’une nouvelle technologie ou une restructuration importante génère son lot de questions, voire de résistances auxquelles il devra réagir, tâche pour laquelle il se sent généralement outillé.

29 décembre 2024
Pierre Lainey, CRHA

Cet article rédigé en 2010 a été mis à jour en octobre 2024

Mais qu’arrive-t-il lorsque le changement concerne également la professionnelle ou le professionnel? Comment parvenir à y adhérer lorsque, dans le cadre de ses fonctions, on est appelé à le faire accepter des autres? C’est un processus qui présente plusieurs difficultés en gestion des ressources humaines. Voici quelques conseils pour surmonter ces obstacles.

Premier obstacle : reconnaître le bien-fondé du changement

Les entreprises mettent en œuvre des changements qui se traduisent tôt ou tard par des avantages organisationnels. À première vue, le changement imposé peut sembler être une perte pour la ou le professionnel des ressources humaines : ce n’est pas parce qu’il ne voit pas immédiatement les retombées positives d’une réforme ou d’une nouveauté que celles-ci sont nécessairement nuisibles à l’organisation. La littérature sur la gestion du changement souligne l’importance de recadrer les perspectives pour mettre en avant les avantages potentiels du changement, permettant ainsi de surmonter les résistances initiales, les siennes et celles des autres (Armenakis et Bedeian, 1999; Kotter, 1996). En reformulant le changement sous l’angle des avantages qu’il peut apporter à l’organisation et à ses membres, le professionnel peut mieux accepter et soutenir le processus.

Les conséquences préjudiciables d’un changement ne doivent pas occulter ses retombées positives éventuelles. Le recadrer pour mettre en perspective les avantages organisationnels qu’il crée est une façon de surmonter ce premier obstacle afin de mieux accepter le changement.

Deuxième obstacle : contrôler ses émotions pour contrôler la situation

Il est indéniable que tout changement porte en soi une charge émotionnelle qui est d’autant plus importante s’il se traduit par des pertes pour les personnes concernées. Ainsi, ne plus avoir la possibilité de s’investir dans un projet intéressant ou de se faire retirer certaines responsabilités peut compliquer l’acceptation du changement. Se laisser envahir par des sentiments de colère et de regret risque de fausser son jugement sur la situation, sans parler du fait que ces émotions sont éminemment contagieuses. En cherchant à comprendre les émotions qui l’animent, la ou le professionnel peut prendre un certain recul et mettre la situation en perspective. Ce recul lui permet de mieux appréhender les motifs du changement et de souligner les gains organisationnels qui sont susceptibles de se matérialiser par la suite. On attend d’une personne professionnelle qu’elle soit en mesure d’expliquer les tenants et aboutissants du changement et qu’elle en démontre le bien-fondé. C’est une condition incontournable pour le faire ensuite accepter des autres, mais cela dépend de la capacité de la personne professionnelle à l’accepter elle-même. D’ailleurs, la théorie de la gestion des émotions au travail suggère que comprendre et gérer ses émotions est crucial pour maintenir un jugement équilibré face à des situations stressantes (Gross, 2002). Se laisser envahir par des sentiments de colère et de regret risque de fausser la perception du changement. En prenant du recul pour comprendre l’origine de ses émotions, le professionnel peut mieux appréhender les motifs du changement et mettre en avant les gains organisationnels futurs. La capacité à réguler ses émotions est également un facteur clé pour persuader les autres d’accepter le changement (Ashkanasy et Daus, 2002).

Troisième obstacle : vivre avec l’incertitude qu’amène le changement

Tout changement génère de l’incertitude quant au présent et à l’avenir. On ne sait pas ce qu’il adviendra de certains projets ni s’il y aura des mises à pied. Vivre avec l’incertitude, c’est accepter que certaines questions restent en suspens. La personne professionnelle ne doit pas céder au pessimisme et peindre l’avenir tout en noir. Reconnaître que le changement doit suivre son cours, se concentrer sur les activités quotidiennes qu’elle peut contrôler et utiliser au mieux les ressources disponibles restent les meilleures stratégies pour affronter l’inconfort de l’incertitude et le sentiment de perte de contrôle. La littérature sur l’incertitude au travail montre que l’acceptation de l’incertitude est liée à une meilleure adaptation au changement (Bordia et al., 2004). Plutôt que de céder au pessimisme, il est recommandé de se concentrer sur les activités quotidiennes contrôlables et de maximiser l’utilisation des ressources disponibles (Vakola, Tsaousis et Nikolaou, 2004). Cette approche permet de mieux gérer l’inconfort de l’incertitude et de maintenir un sentiment de contrôle malgré les circonstances changeantes.

Quatrième obstacle : tempérer ses attentes quant aux retombées du changement

Les changements sont rarement une panacée à tous les problèmes d’une entreprise. Une bonne dose de réalisme et de pragmatisme permet de ne pas trop espérer des retombées du changement, même si le discours officiel peut être très prometteur à cet égard. Des attentes trop élevées, voire irréalistes apportent inévitablement déception, regret et résignation ainsi que du cynisme et le sentiment que les gens ont été trompés. Par définition, le changement est dynamique, tout comme le contexte dans lequel il s’opère. Certaines promesses risquent de ne pas se matérialiser si le contexte évolue et que des ressources disponibles au départ ne le sont plus à un moment donné.

Cinquième obstacle : accepter la versatilité de sa capacité à faire face au changement

Selon la nature, la profondeur, l’ampleur et la durée du changement, la personne professionnelle peut ne pas être capable de déployer une énergie constante et un enthousiasme indéfectible à chacune des phases de sa mise en œuvre. À certaines étapes, elle peut ressentir de la fatigue ou de l’incompétence à réaliser les nouvelles tâches qui lui incombent, ce qui est tout à fait normal. Selon la théorie de la conservation des ressources (Hobfoll, 1989), les ressources personnelles et organisationnelles jouent un rôle clé dans la gestion du stress lié au changement. Les professionnelles et professionnels doivent reconnaître que leurs ressources peuvent varier et qu’il est normal de ressentir de la fatigue ou de l’incertitude face à de nouvelles responsabilités. Les ressources que l’entreprise met à la disposition de son personnel peuvent toutefois l’aider à traverser les phases du changement. Les collègues de travail peuvent également constituer une source d’énergie.

Sixième obstacle : maintenir une bonne hygiène de travail

Comme corollaire du cinquième obstacle, la capacité physique de la personne professionnelle à participer à la mise en œuvre du changement varie selon le type de changement : une modification des responsabilités, une nouvelle affectation ou des tâches additionnelles sont autant de situations qui imposent un stress physique et psychologique à surveiller. La théorie de l’épuisement professionnel (Maslach et Leiter, 1997) souligne l’importance d’une bonne hygiène de vie pour prévenir l’épuisement lié à une surcharge de travail. Trop souvent, les gens voient le changement comme une occasion de « montrer de quoi ils sont capables » et ils déploient beaucoup d’énergie pour y parvenir. Les effets néfastes ne tardent pas à se faire sentir et l’épuisement en est l’inéluctable aboutissement. Une hygiène de vie appropriée au travail comme dans la vie personnelle est un rempart contre les excès que certaines personnes sont susceptibles de faire au moment du changement.

Ces six obstacles se retrouvent inévitablement sur le chemin de la professionnelle ou du professionnel de la gestion des ressources humaines qui, confronté à un changement, doit ensuite travailler à le faire accepter. C’est en surmontant ces obstacles qu’il arrivera à jouer le rôle qui lui incombe : celui d’être un véritable catalyseur du changement. Par son accès privilégié aux personnes au sein de l’entreprise, le professionnel est un acteur qui peut contribuer de façon substantielle à la réussite du changement, à condition de se donner les moyens de surmonter les obstacles qui se dressent dans son processus d’acceptation de celui-ci.

Cet article rédigé en 2010 a été mis à jour en octobre 2024

Pierre Lainey, CRHA est chargé de formation à HEC Montréal


Pierre Lainey, CRHA Maître d'enseignement en management HEC Montréal
Consultant et formateur, Pierre Lainey, CRHA est chargé de formation à la Direction des programmes de certificat à HEC Montréal, où il enseigne le leadership organisationnel ainsi que les habiletés politiques. En 2008, il a reçu le prix pour l’excellence en pédagogie. Psychologue de formation et détenteur d’une maîtrise en administration des affaires (MBA), monsieur Lainey a travaillé pendant plus de 15 ans dans des organisations privées, publiques ou à but non lucratif, notamment dans le domaine du développement organisationnel. Il est consultant en management certifié (CMC) de l’Association canadienne des conseillers en management et conseiller en ressources humaines agréé (CRHA) de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec.

Source :

Bibliographie (partie 1 pour la mise à jour)

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Ashkanasy, N. M. et Daus, C. S. (2002). Emotion in the workplace: The new challenge for managers. Academy of Management Executive, 16(1), 76-86.

Bordia, P., Hunt, E., Paulsen, N., Tourish, D. et DiFonzo, N. (2004). Uncertainty during organizational change: Types, consequences, and management strategies. Journal of Business and Psychology, 18(4), 507-532.

Gross, J. J. (2002). Emotion regulation: Affective, cognitive, and social consequences. Psychophysiology, 39(3), 281-291.

Hobfoll, S. E. (1989). Conservation of resources: A new attempt at conceptualizing stress. American Psychologist, 44(3), 513-524.

Kotter, J. P. (1996). Leading change. Harvard Business School Press.

Maslach, C. et Leiter, M. P. (1997). The truth about burnout: How organizations cause personal stress and what to do about it. Jossey-Bass.

Vakola, M., Tsaousis, I. et Nikolaou, I. (2004). The role of emotional intelligence and personality variables on attitudes toward organisational change. Journal of Managerial Psychology, 19(2), 88-110.

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