Plusieurs spécialistes du monde du travail soulignent les attentes des personnes employées en matière de flexibilité. Notre étude, réalisée dans le cadre des activités de recherche de l’Observatoire sur la santé et le mieux-être au travail (OSMET), posait la question de la nécessité pour les entreprises de s’adapter à l’évolution des attentes quant à la possibilité de travailler à distance et selon un horaire flexible (variable).
Dans le contexte actuel, l’entreprise a-t-elle avantage à rendre disponibles l’horaire flexible et le télétravail? Cela l’aidera-t-elle à tirer son épingle du jeu dans un contexte de « guerre des talents »?
Notre étude a conclu que les intentions de quitter sont plus faibles lorsque l’horaire flexible et le télétravail sont disponibles. En effet, les personnes qui affirment que l’horaire flexible et le télétravail sont disponibles dans leur milieu de travail ont une moins grande propension à souhaiter quitter.
Bien que cela confirme les nombreuses études qui témoignent des répercussions généralement positives de la flexibilité, nous avons souhaité comprendre le pourquoi de cette relation en sondant les mécanismes (les processus) qui l’expliquent.
Le premier, souvent évoqué, révèle que la flexibilité accorde à la personne une certaine autonomie et un sentiment de contrôle sur la réalisation de son travail : « Je peux travailler où je veux et selon l’horaire qui me convient ». Nos analyses ont effectivement démontré que la flexibilité (tant l’horaire flexible que le télétravail) est associée à un meilleur sentiment de contrôle et que cela contribue à réduire l’intention de quitter.
Le second mécanisme investigué est celui de la conciliation travail-famille : « Je suis en mesure de mieux prendre en charge mes responsabilités familiales et parentales en travaillant de la maison et selon un horaire flexible ». Ici, nos résultats sont plutôt discordants, car le télétravail est associé à un conflit travail-famille plus élevé (!) et par ce biais, contribue à augmenter l’intention de quitter.
Le troisième mécanisme suppose que l’offre de flexibilité favorise l’engagement au travail. Cette explication place la personne employée dans une relation d’échange avec son organisation : « Mon organisation m’offre des ressources (horaire flexible et télétravail) et je réponds en m’investissant davantage dans mon travail ». Cela se confirme tant pour l’horaire flexible que pour le télétravail qui est associé positivement à l’engagement au travail et cela contribue à réduire l’intention de quitter.
Le quatrième mécanisme véhicule les préoccupations exprimées par plusieurs leaders quant à la dégradation de la coopération et des relations sociales lorsque les collaboratrices et collaborateurs ne travaillent pas au même endroit ou sur la même plage horaire. Du point de vue de la personne employée se pose l’enjeu de l’isolement social : « Je me sens terriblement seul à travailler de la maison ». Notre étude a révélé que l’horaire flexible favorisait la perception de soutien des collègues, mais que le télétravail n’était pas associé significativement au soutien des collègues.
Quelles leçons se dégagent de notre étude et de l’état actuel de la recherche sur la flexibilité au travail?
L’association entre la flexibilité et le sentiment de contrôle nous met sur une piste intéressante. Sachant que le sentiment de contrôle (ou l’autonomie) permet à chacun de mieux composer avec les demandes et les pressions du travail, on comprend qu’il représente un atout précieux. Tandis que la flexibilité semble favoriser ce sentiment de contrôle, il serait juste de permettre le travail à distance et l’horaire flexible pour aider chacun à mieux composer avec les différents aspects de leur vie et ainsi réduire leur stress et leur intention de quitter.
Comme autre leçon, nous estimons qu’il est légitime de douter de la pertinence du télétravail comme solution aux défis de la conciliation travail-famille. Se pourrait-il que le fait de travailler de la maison rende plus difficile la conciliation travail-famille? Les études antérieures sont équivoques et notre étude constate un conflit travail-famille aggravé lorsque le télétravail est disponible. L’horaire flexible serait mieux adapté à la conciliation travail-famille.
Notre étude rappelle aussi l’importance de la relation d’échange qui s’établit entre la personne employée et son employeur. Dans cette relation d’échange, l’employeur peut offrir plusieurs ressources et nous concevons que l’horaire flexible et le télétravail sont des ressources qui favorisent l’engagement au travail en accord avec le principe de la réciprocité. Quel employeur ne voudrait pas de cet engagement qui s’exprime par de l’enthousiasme et du dynamisme au travail? Il faut toutefois reconnaître que d’autres ressources peuvent également susciter cet engagement. La flexibilité n’est donc pas une panacée.
Nous recommandons également de ne pas perdre de vue le volet social. Notre étude révélait un effet positif quant à l’horaire flexible et un effet neutre du télétravail sur la perception de soutien social des collègues. Cela n’a rien de renversant, mais il faut néanmoins rester vigilant. Si nous en savons encore très peu sur l’influence du télétravail sur les relations sociales, la coopération et le collectif, il faut d’autant plus suivre ces indicateurs et leur évolution dans le temps.
Il faut également retenir que nous en savons encore très peu sur les effets à long terme de la flexibilité. Dans ce contexte, une approche prudente s’impose. À choisir entre l’horaire variable et le télétravail, l’horaire variable semble la moins risquée des deux mesures de flexibilité. Il faut aussi choisir selon la situation de l’organisation et peut-être aussi favoriser une mesure hybride du travail à distance qui prévoit une présence régulière au bureau principal.
Référence
Haines III, V. Y., Guerrero, S., & Marchand, A. (2024). Flexible work arrangements and employee turnover intentions: contrasting pathways. The International Journal of Human Resource Management, 35(11), 1970-1995.