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La flexibilité au travail est là pour de bon

La flexibilité au travail est comme le dentifrice : une fois sorti du tube, impossible de l’y remettre. Les CRHA, gardiens et gardiennes de l’expérience employé, doivent assurément composer avec cette nouvelle donne.
14 novembre 2023
Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

Les employés et employées s’attendent souvent à pouvoir travailler de n’importe où, n’importe quand et de n’importe quelle manière. Favorisée par l’essor du télétravail, héritage de la pandémie de COVID-19, cette réalité représente plus que jamais un défi pour les CRHA. Comment composer avec ce nouvel impératif sans affecter l’offre et les services de son organisation?

« Cette tendance est tout sauf un feu de paille, confirme Marie-Pier Laplante, directrice adjointe à la communication et à l’expérience employé au sein du cabinet spécialisé en ressources humaines WTW. D’autant plus qu’elle se superpose avec d’autres grands défis qui affectent à la fois le monde du travail et la croissance économique, comme le vieillissement de la population et la peur d’une récession. »

Ce contexte tendu affecte les membres du personnel. « Les gens sont moins motivés au travail alors que les seuils de fatigue et d’insatisfaction atteignent des sommets », explique Luc Hanna, CRHA, directeur à la gestion des talents chez WTW. Les sondages d’engagement le confirment. En juin dernier, la firme Gallup rapportait ainsi que près de deux Canadiens et Canadiennes sur trois (59 %) effectuent le strict minimum au travail.

Ce phénomène, qu’on appelle communément la « démission silencieuse » (quiet quitting), est moins spectaculaire que son pendant plus manifeste, la « démission bruyante » (loud quitting). Il préoccupe pourtant les directions et, par la bande, les CRHA. « À long terme, ce désengagement est intenable, tranche Marie-Pier Laplante. Pour continuer à fonctionner, les organisations doivent assouplir les dynamiques de travail. »

Retour du balancier

Cela est plus simple à dire qu’à faire. La flexibilité au travail est après tout une notion polysémique, c’est-à-dire que tous et toutes la conçoivent différemment. On peut dans les faits la voir comme un continuum. D’un côté, il y a le degré minimal de flexibilité, qui représente en gros le statu quo prépandémique. Lieu de travail fixe, temps de travail prescrit et méthodes de travail imposées sont ses caractéristiques.

De l’autre côté du spectre, on retrouve la flexibilité complète. Plusieurs organisations ont flirté avec cette réalité lors de la crise sanitaire sans toutefois l’embrasser. N’empêche, ce rapprochement momentané avec le travail à distance, dans le confort de son domicile, a laissé des traces. « La semaine de travail de quatre jours, la rémunération flexible et les tracances font maintenant partie du discours des travailleurs », constate Luc Hanna.

Le retour à la normale postpandémique reflète cet état de fait. Un récent sondage mené par l’Ordre des CRHA rapporte que 93 % des organisations au Québec ont fait l’expérience de modes hybrides de travail au cours des années 2022 et 2023. Le modèle le plus populaire? Celui qui exige une présence minimale sur les lieux de travail selon une formule fixe de quelques jours par semaine.

Sans surprise, les travailleurs et travailleuses préféreraient pour leur part avoir la pleine latitude de venir ou non au bureau, et ne jamais y mettre les pieds si ça leur chante. « Les désirs des patrons sont en décalage avec les attentes de leur personnel. Cela génère forcément des tensions, donc des insatisfactions de part et d’autre », analyse Marie-Pier Laplante.

Le juste milieu

Commence alors le jeu des compromis. Ramener de force leurs équipes au bureau simplifie certes la vie des gestionnaires, en plus de favoriser un traitement équitable des effectifs, mais cela occasionne une levée de boucliers de la part de ceux et celles dont les tâches peuvent être réalisées à distance. Sans parler du positionnement désavantageux de l’organisation dans un marché de l’emploi où l’on s’arrache les talents…

Renvoyer tout le monde à la maison nécessite aussi un arbitrage. Le personnel est désormais évalué sur ses résultats, sans égard aux moyens pris pour les atteindre, comme le sont les travailleurs et travailleuses autonomes. La confiance envers les gestionnaires, qui portent désormais de lourdes responsabilités sur leurs épaules, est totale. En revanche, gare aux inévitables iniquités, dérives et abus que cela génère par la bande.

« La solution se trouve quelque part entre ces deux extrêmes, selon les organisations, pense Luc Hanna. Et son application passe à tout coup par les gestionnaires, qui sont souvent peu outillés pour fournir l’accompagnement requis. » Les CRHA gagnent donc à établir des politiques – de télétravail, de déconnexion, etc. – assez souples pour que les équipes de gestion puissent manœuvrer à leur guise. « L’absence de malléabilité ne convient à personne. »

Les comportements attendus doivent être clairement définis. Pour ce faire, les organisations ont tout intérêt à se munir d’un panier de mesures favorisant la flexibilité dans lequel piger. « Les besoins varient selon qu’on est parent de jeunes enfants, célibataire, proche aidant », énumère le CRHA. Le but : éviter de créer différentes sous-classes dans les équipes et, par le fait même, d’attiser les frustrations.

Que faire?

Ce risque est grand au sein de certaines organisations, comme les entreprises manufacturières et les sociétés de transport en commun. Et pour cause : s’y côtoient à la fois du personnel de bureau, friand de télétravail, et du personnel de production, pour qui le travail à distance est impossible. Le défi : donner à tout le monde une raison et l’envie d’être présent sur les lieux de travail.

« On peut fournir le repas sur l’heure du dîner, déployer un service de navette, aménager des espaces de détente », illustre Luc Hanna. L’ouverture de bureaux satellites est aussi à considérer, tout comme la réorganisation des bureaux en plusieurs zones : sections à faible bruit, cabines pour appels téléphoniques, salles de groupe adaptées au travail en mode hybride, stations de travail individuel, etc.

Changer des mentalités est par définition une opération qui s’inscrit dans le temps long. C’est pourquoi Marie-Pier Laplante suggère d’implanter des modes hybrides de travail à la pièce, avec certaines équipes et pour une durée limitée, comme un mois. « La haute direction constatera en fin de compte que la catastrophe anticipée ne s’est pas produite. Et même que la formule fonctionne plutôt bien », indique-t-elle.

Il est de toute façon stérile de s’illusionner : le travail en mode hybride et à distance est irrévocable. C’est du moins ce que révèlent 720 organisations sondées dans une récente étude mondiale de WTW sur les nouvelles dynamiques de travail. Fait à noter : seulement 37 % des gens qui ont répondu à cette enquête estiment gérer efficacement les risques accompagnant ces changements durables.

« À titre de gardiens de l’expérience employé, les CRHA sont au centre de ces bouleversements et doivent concilier différentes pressions des multiples parties prenantes », affirme Luc Hanna. Redéfinir les indicateurs de talent, repenser les conditions de travail et rehausser les compétences des gestionnaires sont quelques-uns des chantiers auxquels les spécialistes en ressources humaines doivent s’atteler. « Les CRHA ont ici à la fois un rôle d’arbitre, de conseiller et de décideur à jouer », conclut-il.


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