Plusieurs modèles ont été proposés pour répondre à cette question, de l’étude des traits des leaders jusqu’à l’approche dominante aujourd’hui, soit l’utilisation de modèles de compétences. L’actualité économique des dix dernières années a aussi eu un impact profond sur notre conception du leadership. Il y a dix ans, le monde appartenait aux leaders charismatiques et mégalomanes qui éblouissaient les analystes à chaque trimestre. Ces excès, et les débâcles qui en ont résulté, ont aujourd’hui changé le profil recherché chez les leaders. On valorise maintenant les leaders humbles, mais déterminés et centrés sur le long terme. Ces changements vont dans le sens de ce que prônent depuis longtemps les professionnels de la gestion des ressources humaines.
On a souvent privilégié un développement correctif du leadership, qui consiste à aider les leaders à corriger leurs lacunes plus qu’à miser sur leurs forces. La psychologie positive, quant à elle, a ramené à l’avant-plan l’autre partie de l’équation : aider les gestionnaires qui ont du succès à en obtenir davantage. Voici deux nouveaux modèles issus de la psychologie positive américaine, qui reflètent bien ces nouvelles tendances et peuvent compléter les modèles de compétence de gestion.
Approche constructive-développementaleL’idée que la maturité d’un leader est liée à son succès tombe sous le sens. On la mesure cependant peu en gestion des ressources humaines, sinon sous l’angle de l’expérience pertinente. Nous savons pourtant que l’expérience n’est pas garante de la maturité et, à l’inverse, que certains leaders se développent plus rapidement que la moyenne. L’identification de ces derniers constitue un des enjeux de la gestion du talent.
La principale difficulté à mesurer la maturité d’un gestionnaire est le manque d’un modèle pour expliquer les étapes du développement du leadership. Les auteurs de l’approche constructive-développementale proposent que le leadership se développe en quatre niveaux distincts.
Au niveau 2 (le niveau 1 n’implique pas de leadership), la personne recherche essentiellement l’atteinte de ses propres objectifs en tenant peu compte du point de vue ou des intérêts des autres. Les jugements sont rapides et laissent peu de place à l’ambigüité. C’est le niveau de l’excellent gestionnaire de contenu qui n’a pas encore réalisé que son travail était de gérer une équipe.
Au niveau 3, le leader considère la perspective de son entourage, mais n’a pas encore de vision propre. Son succès est défini par des sources externes : ce que son patron, ses employés ou ses collègues pensent de lui. Ce leader est donc influençable. Il a peu tendance à innover ou à élaborer de nouvelles stratégies. C’est le niveau typique du leader transactionnel : un bon chef d’équipe qui aligne les efforts de ses employés sur les objectifs de l’organisation.
Le leader de niveau 4 a acquis une vision propre des objectifs à atteindre et de la manière d’y arriver. Il tient compte des relations et de la perception de ceux qui l’entourent, mais il est capable de s’affirmer et d’influencer habilement son entourage pour faire valoir sa vision. Il s’agit d’un leader transformationnel qui influence la stratégie de son groupe de travail.
Finalement, le leader de niveau 5 possède une vision qui lui est propre comme le leader précédent, mais il est aussi capable d’intégrer la vision de ceux qui l’entourent et de composer avec celle-ci. Il maîtrise bien l’aspect stratégique de l’ensemble des fonctions de l’entreprise, et non seulement la sienne. Il est attentif à son impact sur l’organisation afin que tous puissent avoir du succès.
Niveau 5 Intègre les visions et les paradoxes de différents systèmes de référence. |
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Niveau 4 Influence les relations interpersonnelles en fonction d’un système de référence. |
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Niveau 3 Cherche à atteindre ses buts et objectifs en fonction des relations interpersonnelles. |
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Niveau 2 Recherche une satisfaction personnelle en atteignant ses buts et objectifs. |
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Les premières recherches montrent une corrélation intéressante entre le niveau de développement du leadership et une appréciation indépendante du succès du leader par son patron, ses pairs et ses subordonnés. En d’autres termes, les leaders plus matures selon cette échelle semblent réellement perçus comme de meilleurs leaders par leur entourage.
D’un point de vue pratique, ce modèle offre une avenue pour évaluer les leaders, ce qui permet d’adapter les programmes de développement en vue de les faire progresser, en plus de simplement corriger leurs lacunes. En ce qui a trait à la mesure, les auteurs proposent une méthode basée sur une entrevue pour évaluer le niveau de développement du leadership. Cette méthode simple peut être facilement intégrée à un programme d’identification du talent.
En plus de différencier les leaders, l’approche constructive-développementale offre surtout une carte permettant de guider dans leur développement les participants aux programmes de gestion du talent. Cette méthode peut être complémentaire aux programmes de formation en gestion utilisés présentement pour guider les leaders selon l’étape où ils en sont rendus dans leur développement. Par exemple, les gestionnaires au niveau 2 ont besoin de formation sur les relations interpersonnelles et sur les habiletés de supervision. Ceux du niveau 3 gagneraient à acquérir une vision indépendante ainsi que des compétences organisationnelles et stratégiques, tandis que ceux du niveau 4 devraient participer à des sessions de formation sur la gouvernance, la mobilisation ou la gestion du changement.
L’authenticité du leadershipLa question de l’intégrité des cadres a toujours été primordiale pour la gouvernance des entreprises. Les difficultés d’éthique et les cas de fraude rencontrés par les entreprises au cours des dernières années ont cependant mis ce concept au premier plan. Cependant, en raison de sa nature même, il est difficile de discuter d’intégrité avec les cadres. L’intégrité est souvent jugée de manière binaire (on a de l’intégrité ou non) et non comme un processus psychologique. Cela rend son observation difficile, puisqu’on ne peut que présumer de l’intégrité d’une personne jusqu’à ce qu’on observe qu’elle en manque. En outre, il est pratiquement impossible de discuter de son intégrité avec un cadre sans le mettre sur la défensive.
Il n’existe pas de modèle du développement de l’intégrité comme il s’en trouve par exemple pour le développement des compétences de supervision. Outre des cours de formation sur les codes d’éthique des entreprises, il n’existe pas de programme de développement axé sur les processus psychologiques qui déterminent le jugement moral.
Un certain nombre de modèles ont été développés en psychologie au cours des années pour opérationnaliser l’aspect moral du leadership. Le modèle qui semble le plus prometteur est celui de l’authenticité du leadership. Les recherches qui ont été menées à son sujet ont permis de définir quatre sous-dimensions qui le composent :
- Conscience de soi : à quel point le cadre est conscient de ses forces et de ses faiblesses à travers ses expériences et la rétroaction de son entourage. Il s’agit d’un indicateur important de la capacité de développement futur d’un cadre.
- Transparence : se présenter sous son jour véritable pour créer des relations basées sur la confiance; en d’autres termes, à quel point les actions du cadre sont cohérentes avec ses paroles.
- Perspective équilibrée : solliciter des points de vue contradictoires et accepter que ses propres points de vue soient remis en question; on observe notamment cette dimension grâce à la présence de points de vue complémentaires au sein de l’équipe de direction et au droit à la dissidence qui est laissé à chacun.
- Perspective morale interne : baser ses décisions et ses actions sur des valeurs ou une morale ; indépendamment du système de valeurs dont il s’agit, cette dimension indique à quel point un cadre prend ses décisions en fonction de considérations éthiques.
Aborder l’intégrité des leaders sous cet angle comporte plusieurs avantages. D’une part, cela permet une discussion constructive qui comporte moins de risque de mettre le cadre sur la défensive. Nul besoin d’observer un manque flagrant d’intégrité pour aborder la question du jugement moral. Par ailleurs, ces concepts peuvent être observés et développés. Ils peuvent par exemple être intégrés à une entrevue de sélection, à une formation, à une démarche de coaching ou à des outils de développement organisationnel tels que la rétroaction multisource.
Finalement, il s’agit d’un modèle qui offre aux leaders des outils pour développer leur jugement moral en partant de leurs décisions quotidiennes de gestion. Dans la mesure où le jugement moral est une variable individuelle plutôt qu’organisationnelle, les interventions qui se centrent sur les processus psychologiques risquent d’obtenir de meilleurs résultats que les interventions organisationnelles telles que l’établissement d’un code d’éthique.
Le leadership au-delà des compétencesEn conclusion, les deux modèles présentés abordent plusieurs aspects du leadership qui ont émergé au cours de la dernière décennie. Tout comme les modèles de compétences, ils permettent d’identifier les leaders à haut potentiel. Là où ils se distinguent, c’est dans la manière de guider le développement de ces leaders. Trop souvent, après avoir évalué leurs compétences, on accompagne les participants aux programmes de gestion du talent surtout dans l’amélioration de leurs lacunes. Les modèles présentés offrent une carte du développement qui pourra aider les leaders qui ont du succès non seulement à travailler leurs faiblesses, mais surtout à se rendre encore plus loin.
Pascal Savard, CRHA, psychologue, propriétaire, Phénix Conseil, et partenaire, Dolmen Capital Humain
Source : Effectif, volume 13, numéro 3, juin/juillet/août 2010.