Le contexte organisationnel actuel n’est plus seulement volatil, incertain, complexe et ambigu (VICA). Il est devenu BANI : brittle (fragile), anxious (anxieux), nonlinear (non linéaire) et incomprehensible (incompréhensible). Ce nouveau cadre, introduit par l’anthropologue J. Cascio, révèle la vulnérabilité croissante de nos environnements sociaux, économiques et politiques, exigeant une capacité adaptative renouvelée.
Lors d’une conférence présentée à l’Effet A, Sophie Brochu, ex-présidente d’Hydro-Québec, affirmait que :
« Nous ne sommes plus à l’ère des changements; on est à l’ère des chocs successifs… Ça prend une vision holistique aux tables de décision pour se prémunir contre les prochains chocs qui viendront ébranler le monde des affaires et la société dans son ensemble. »
Dans ce contexte, développer la résilience personnelle et organisationnelle devient un levier stratégique essentiel. Encore faut-il en comprendre les fondements.
Bien plus que « se relever » après un revers
Comme le souligne Diane L. Coutu dans un article séminal de la Harvard Business Review, la résilience se déploie dans « la capacité de constamment anticiper et de s’adapter à des tendances profondes (...) c’est d’avoir la capacité de changer avant que le besoin de changer ne soit désespérément évident. »
En somme, la résilience, c’est anticiper et construire son futur plutôt que de s’acharner à défendre un passé révolu.
En contexte BANI, où les réalités se transforment de façon imprévisible, cette aptitude devient critique pour maintenir l’efficacité personnelle et collective.
Ce que dit la science
Le psychiatre Boris Cyrulnik distingue deux dimensions de la résilience :
- Facteurs accélérateurs : biais vers la confiance, vision optimiste, réseau social solide, aptitude à verbaliser l’expérience.
- Facteurs de vulnérabilité (freins) : précarité, maltraitance, isolement affectif ou social.
Ces éléments influencent la capacité à faire face à l’adversité. La neuroscientifique Sonia Lupien complète cette lecture dans son ouvrage Le stress au travail vs le stress du travail, où elle illustre comment la fragmentation de notre attention — causée par une surcharge de stimuli — nuit à la résilience. L’antidote? Choisir d’insérer dans notre semaine de travail des périodes de concentration profonde sans interruption.
L’agilité émotionnelle selon Viktor Frankl
Psychiatre et survivant de l’Holocauste, Viktor Frankl nous rappelle qu’entre le stimulus et la réaction, il existe la capacité de choisir une réponse adaptée. J’accepte la situation sans être une victime? Je refuse ou me retire en justifiant mon choix et en proposant une solution alternative? Ou je change ce qui est sous mon contrôle, ne serait-ce que mon attitude? Reconnaître ses émotions et agir en cohérence avec ses valeurs devient alors une compétence clé du leadership conscient.
© Pierre Boudreault, EMBA, M. Sc., PCC, CRHA (2025)
Lors d’un atelier de coaching, un gestionnaire m’a récemment confié avoir instauré une « pause de recentrage » de cinq minutes avant chaque réunion. Chaque participante et participant décrit ainsi son état d’esprit en trois mots qui sont contextualisés. Ce simple geste avait transformé l’ambiance d’équipe, réduisant la tension et favorisant l’engagement.
Dix facteurs protecteurs : un outil pour passer à l’action
Les personnes résilientes présentent plusieurs caractéristiques communes. Il est ainsi possible de s’en inspirer pour établir les bases d’un plan de développement :
Facteurs de résilience (Charney, 2020)
1 = très faible, 5 = très fort
Phrase interprétative
Optimisme réaliste
1 = très faible, 5 = très fort
1 - 2 - 3 - 4 - 5
Phrase interprétative
Je crois en la possibilité d’une issue favorable, même dans l’adversité.
Sens moral
1 = très faible, 5 = très fort
1 - 2 - 3 - 4 - 5
Phrase interprétative
Je me réfère à des principes éthiques clairs pour guider mes décisions.
Spiritualité ou quête de sens
1 = très faible, 5 = très fort
1 - 2 - 3 - 4 - 5
Phrase interprétative
Je trouve du sens ou une forme de transcendance dans ce que je vis.
Humour
1 = très faible, 5 = très fort
1 - 2 - 3 - 4 - 5
Phrase interprétative
Je suis capable de rire et de relativiser, même en période difficile.
Modèles inspirants
1 = très faible, 5 = très fort
1 - 2 - 3 - 4 - 5
Phrase interprétative
Je m’inspire de personnes qui incarnent la résilience.
Soutien social
1 = très faible, 5 = très fort
1 - 2 - 3 - 4 - 5
Phrase interprétative
Je peux compter sur un réseau relationnel solide en cas de besoin.
Courage face à la peur
1 = très faible, 5 = très fort
1 - 2 - 3 - 4 - 5
Phrase interprétative
Je fais preuve de courage dans mes choix, malgré mes craintes.
Sentiment de mission
1 = très faible, 5 = très fort
1 - 2 - 3 - 4 - 5
Phrase interprétative
Je sais pourquoi je me lève chaque matin; j’ai un but clair.
Entretien de la forme physique
1 = très faible, 5 = très fort
1 - 2 - 3 - 4 - 5
Phrase interprétative
Je prends soin de mon corps pour soutenir mon équilibre global.
Stimulation cognitive
1 = très faible, 5 = très fort
1 - 2 - 3 - 4 - 5
Phrase interprétative
Je stimule mon esprit régulièrement pour rester alerte et curieux.
Inspiré de Dennis Charney du National Institute of Mental Health (2020)
Ce modèle peut servir de référent pour le développement de programmes RH axés sur la résilience individuelle, mais aussi collective, par exemple en recensant les composantes culturelles présentes ou non au sein de l’organisation.
Pour conclure, voici quelques suggestions d’applications pratiques
Comportements à privilégier par le leader
- Normaliser les émotions (communication ouverte).
- Favoriser la coconstruction de sens avec l’équipe (ex. : mission, valeurs, vision).
- Encourager les micropauses pour alléger la pression.
Pour les CRHA
- Intégrer le modèle des 10 facteurs de Charney dans les formations en leadership et les pratiques RH via le coaching, les jeux de rôle, la rétroaction, des programmes de résilience en adéquation avec la performance et la rémunération.
- Proposer des outils d’autodiagnostic émotionnel (ex. : journaux de bord).
- Animer des cercles de réflexion sur le sens du travail et la gestion des modèles intellectuels.
Pour aller plus loin
- Coutu, D. (2003). « How resilience works ». Harvard Business Review.
- Cyrulnik, B. (2009). Autobiographie d’un rescapé. Odile Jacob.
- Frankl, V. (1946). Man's Search for Meaning. Beacon Press.
- Lupien, S. (2023). Le stress du travail vs le stress au travail. Les Éditions Va savoir.
- Charney, D. (2020). National Institute of Mental Health.int