Un deuxième facteur dans le processus d’apprentissage est l’importance démesurée accordée aux expériences du passé par rapport à la lucidité du présent. Toute personne qui a un minimum d’expérience en gestion sait que chaque individu a des modèles de comportements qu’il télécharge peu importe la situation. Le problème est que ces comportements ont été appris dans des contextes souvent différents de la situation actuelle. Malgré tout, l’individu continue de les appliquer de façon quasi inconsciente.
Les types psychologiques
Psychologue à l’origine des types psychologiques, Carl Gustav Jung a démontré en 1921 qu’il existe des différences typiques de point de vue qu’il a qualifiées d’attitude introvertie et d’attitude extravertie.
Au cours des années, on a reconnu la pertinence de ces types psychologiques. On a pu en effet constater que la majorité des oppositions ou des conflits dans les rapports professionnels découlent précisément de ces différences de vision entre les introvertis et les extravertis. Presqu’un siècle plus tard, il est fascinant d’observer qu’un grand nombre de gestionnaires ne reconnaissent pas la légitimité de ces autres visions du monde et cherchent à imposer la leur, sans être conscients de l’impact que cela peut avoir sur ceux qui ne la partagent pas. Or, le développement d’un gestionnaire passe précisément par une plus grande ouverture à adopter différentes perspectives et à agir de manière à concilier et à intégrer plutôt qu’à fragmenter et à exclure.
De fait, s’identifier à un seul mode de fonctionnement, qu’il soit introverti ou extraverti, est limitatif. Réduire ses possibilités de développement à l’image qu’on a de soi-même est une aliénation.
Dans un processus de coaching, l’apprentissage de ce concept d’introversion et d’extraversion donne au gestionnaire un cadre de référence qui lui permet de percevoir ce qu’il ne pouvait pas imaginer précédemment. L’apprentissage de cette seule distinction entre introvertis et extravertis transforme substantiellement le style de leadership d’un gestionnaire. Cette reconnaissance de l’autre constitue l’amorce d’une relation où chacun se sent davantage en confiance.
Chacun possède la capacité de choisir et de mettre en œuvre le mode de fonctionnement le plus approprié à une situation. Il ne s’agit donc pas de renoncer à son style de fonctionnement préféré, mais de renoncer à un mode unilatéral de fonctionnement.
L’identité : passée et future
À force de voir le monde à partir de la même paire de lunettes et de réagir en fonction des mêmes modèles de comportements, un individu finit par s’identifier à sa façon d’agir et à se dire : « ça, c’est moi ». Dans ce contexte, le développement est synonyme d’amélioration plutôt que de transformation. De fait, beaucoup de gestionnaires éprouvent un sentiment d’inconfort sinon d’incompétence face au changement et ne sont pas prêts à remettre en question certains aspects de leur personnalité. Aussi curieux que cela puisse paraître, plusieurs d’entre eux n’avons pas appris à s’adapter et à évoluer.
La fidélité à soi-même est un des éléments les plus significatifs dans la résistance d’une personne à adopter une autre façon de faire. Souvent perçue comme une valeur tenue en haute estime dans la société, la fidélité, quand elle est appliquée à soi-même, pourrait aussi être un grand frein à l’évolution d’une personne. Traditionnellement, le débat a surtout consisté à se demander si la personnalité est innée ou acquise.
Les recherches récentes, particulièrement dans le domaine de la neuroscience et du développement du leadership, donnent une perspective différente sur l’identité. Elles portent maintenant sur le « connectome » plutôt que sur le « génome ». Ceci rallie les théories de l’inné et de l’acquis. L’être humain possède un certain bagage génétique, mais ce qui détermine son développement cognitif, son adaptabilité, sa créativité et même sa personnalité n’est pas tant le système de neurones déterminé génétiquement, mais plutôt les réseaux de connections qui se sont développés entre ceux-ci par les stimuli externes.
Herminia Ibarra, Scott Snook et Laura Guillén Ramo de l’Université Harvard (2010) définissent l’identité non pas exclusivement comme une construction du passé, mais aussi comme une projection du futur. Ainsi, il y aurait une identité au passé qui est constituée de tout ce qu’un individu a fait depuis sa naissance et une identité au futur qui est constituée de ses espoirs et de ses aspirations. Chaque action posée au quotidien renforce soit son identité au passé, soit son identité au futur.
Les gestionnaires sont promus par leurs organisations dans de nouvelles fonctions mais bien souvent, ils tardent à se « nommer eux-mêmes » et à adopter l’identité qui convient à la fonction. Car l’intégration dans une nouvelle fonction est d’abord et avant tout une transition identitaire. Le rôle de coach vise donc à accompagner le gestionnaire dans son adaptation de son identité au passé à cette nouvelle identité au futur plutôt qu’à lui communiquer les meilleures pratiques d’une intégration.
Les exemples sont multiples et permettent d’appréhender la complexité du phénomène :
- une gestionnaire qui se définit comme une « livreuse » et qui, à titre de vice-présidente, attend encore les « commandes » du président;
- une vice-présidente des ventes promue à un poste de directrice-générale qui ne s’intéresse pas aux autres fonctions et qui continue à voir son unité administrative à partir de la perspective Ventes;
- un professionnel, spécialisé dans son domaine, qui continue malgré son poste de gestion à passer plus de temps au développement de son expertise qu’au développement de son équipe.
Ainsi, les gestionnaires abordent généralement leurs nouvelles fonctions avec la perspective qu’ils avaient dans leurs anciennes fonctions. Ils sont conscients des différences, mais ils abordent néanmoins ces différences de la même façon parce qu’ils cela leur a valu du succès par le passé.
Toutefois, sitôt que la question identitaire est abordée, il y a décristallisation de l’identité au passé et adoption de nouveaux comportements qui vont dans le sens de l’identité au futur. À défaut d’amorcer une réelle transition identitaire, les meilleures pratiques proposées au gestionnaire dans le cadre du coaching sont évaluées et filtrées à travers les croyances qui ont été à la base de ses succès passés. Au mieux, il y a acquisition de connaissances ; au pire, dans 40 % des cas, il y a inadaptation et échec de l’intégration (Anne Fisher, 1998).
En somme, le développement des habiletés de gestion est inextricablement lié à l’identité du gestionnaire. On peut difficilement imaginer qu’une personne se développe comme gestionnaire sans que ces apprentissages transforment l’image qu’elle a d’elle-même ou inversement qu’un changement identitaire n’induise pas un développement de ses habiletés de gestion. L’identité, loin d’être statique, est un concept évolutif qui s’enrichit à travers les expériences et les relations.
Pour aller plus loin
IBARRA, Herminia, The Authenticity Paradox, Harvard Business Review, January-February 2015, pp.52-59
BAGGINI, Julian, Is there a real you?, Talk Video, TED.com
À propos de l’auteur
Monsieur André Camiré, CRHA est associé principal chez Camiré & Associés inc., cabinet-conseil dont la mission est d’accompagner les cadres supérieurs et intermédiaires… hors de leur zone de confort. Depuis 2004, plusieurs centaines de dirigeants ont bénéficié du service individualisé de Camiré & Associés dans le cadre soit de l’intégration dans leurs nouvelles fonctions, soit du développement de leur leadership. On peut le joindre par courriel [acamire@100jours.ca] ou par téléphone [514 288-4446]. Site web : www.100jours.ca
Bibliographie
JUNG, Carl Gustav. La réalité de l’âme 1. Structure et dynamique de l’inconscient, Le Livre de Poche, La Pochothèque, 2008, 1177 p.
IBARRA, Herminia, SNOOK, Scott et GUILLÉN RAMO, Laura. « Identity-Based Leader Development », dans Handbook of Leadership Theory and Practice: A Harvard Business School Centennial Colloquium, Harvard Business Press, 2010, 22 p.
CAMIRÉ, André. « De professionnel à gestionnaire : pour un passage réussi », Effectif, Vol. 15, n° 4, Septembre/Octobre 2012, p. 24-27.
FISHER, Anne. « Don't Blow Your New Job », Fortune, June 22, 1998.