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Le rendement de l’investissement en formation

La question du rendement de l’investissement dans la formation continue de représenter un très grand défi pour les professionnels de la gestion des ressources humaines. Existe-t-il des méthodes d’évaluation qui nous permettraient d’établir scientifiquement un RI (rendement de l’investissement) dans la formation? Les bénéfices de la formation en entreprise sont-ils quantifiables ou demeurons-nous plutôt dans le domaine de l’intangible?

27 octobre 2009
Claude Gaudet, CRIA

L’objet du présent article est de faire avancer ce débat, non pas en répondant simplement au premier niveau par un oui ou par un non, mais en remettant en cause la question elle-même du RI dans la formation. Peut-on, en pratique, évaluer mathématiquement le RI d’une formation au moment où nous en aurions le plus besoin, c’est-à-dire avant le fait? Sinon, sur quoi pouvons-nous nous appuyer pour prendre la décision d’investir ou non en formation?

Les données pour répondre à ces questions proviennent non seulement de notre expérience, mais surtout de l’ouvrage de Jack J. Philips (1998), Measuring return on investment, ASTD, volumes 1 et 2. On retrouve dans ces deux volumes quelque 35 études de cas sur l’analyse des coûts et bénéfices de la formation en entreprise. Le tableau ci-dessous présente des exemples concrets de bénéfices attribués à des programmes de formation en entreprise, dans le secteur manufacturier ou dans celui des services.

Rendement de l’investissement, d’après l’étude de Jack Philips

Programme Bénéfices
National Paper Company
Programme de développement organisationnel, 18  mois : (Analyse des besoins, questionnaires, ateliers, travail en groupe, projets d’amélioration continue, formation ).
  • Efficacité accrue de 4 %.

  • Réduction des pertes de 2 %.

  • Réduction de l’absentéisme de 35 %.

  • Réduction des violations des règles de sécurité du travail de 29 %.

ISI (Information Services Inc.)
Cours de formation sur les habiletés interpersonnelles (donnés par les gestionnaires); 12 modules de 2 h 30 chacun, sur 12 habiletés différentes : variant d’un module par semaine à un module par mois, selon le cas (85 participants).
  • ROI =  7,7

  • Bénéfices nets de 540 000 $ par rapport à des coûts de 70 000 $.

  • Meilleure communication entre collègues.

  • Réduction des pertes de temps de 60 %.

FSI (Financial Services Inc.)
Trois séminaires de 2 jours, avec des groupes de 8 participants, dans 72 sites, donnés par le program manager; présentations interactives, étude de cas sur vidéo, jeux de rôle et exercices pratiques; contenu portant sur les stratégies de recrutement, les entrevues de sélection, sur l’évaluation de la performance et le feedback individuel; l’objectif de la formation était de réduire les coûts associés au roulement de personnel (coûts du roulement de personnel estimés à 10 M$ par année avant la formation).
  • Réduction du taux de roulement du personnel de 28 %; en 1989, le taux de roulement du personnel chez FSI était de 54 %, soit 460 départs sur 847 employés embauchés; à la fin du projet, en 1992, le taux de roulement était réduit à 39 %.

  • Économie de 2,8 M$ dans les coûts inhérents au taux de roulement du personnel (salaires et avantages payés par la compagnie, mais perdus dans les 0,8 mois que dure l’apprentissage pour les gens qui partent; le temps perdu pour recruter d’autres personnes, 2 fois).

  • ROI = 21,4

Multi-Marques inc.
Formation donnée aux nouveaux superviseurs par leurs managers sur les processus de travail : 4 jours de formation répartis sur trois mois.
  • Réduction des temps de cycle de production.

  • Rendement de l’investissement de 2,15 après trois mois seulement.

Yellow Freight System
Programme de formation de 5 jours pour les superviseurs (basé sur le Gilbert’s Performance Engineering Model) sur l’évaluation de la performance, incluant les relations interpersonnelles et la communication, le coaching et la résolution de problèmes; la formation était une combinaison d’auto-formation, de travail en groupe, de jeux de rôle et d’aide à la tâche; les instructeurs étaient des gestionnaires opérationnels, sélectionnés par la haute direction parmi les plus performants, en affectation temporaire au département des ressources humaines. Coûts du programme de formation : 1,7 M$.
  • Réduction de 25 % à 50 % des coûts de facturation.

  • Augmentation de la rentabilité de 10 %.

  • Bénéfices de 20,7 M$.

  • ROI = 12

  • Réduction des griefs.

Trois constats
Dans les études de cas de Philips, on peut constater trois choses :

  • Quoique les méthodes scientifiques existent en théorie, il peut s’avérer très difficile en pratique de montrer une relation de cause à effet entre la formation et certains impacts sur les résultats de l’entreprise. Les exemples concrets où de telles études scientifiques ont été menées jusqu’au bout sont très rares. Le principal obstacle vient du fait qu’il est quasi impossible en pratique d’isoler la variable formation des autres interventions qui se produisent en même temps et qui ont également des effets positifs ou négatifs sur les principaux indicateurs de gestion de l’entreprise.
     
  • Par contre, sur la base d’études très rigoureuses et dont la crédibilité peut difficilement être remise en cause, même si elles ne peuvent pas toutes être qualifiées de scientifiques à proprement parler, tous les auteurs cités dans l’ouvrage de Philips s’entendent pour attribuer à la formation des bénéfices concrets et quantifiables, ainsi que des bénéfices intangibles, tels que :

    1. Bénéfices quantifiables
      • La réduction du nombre d’accidents du travail
      • La réduction de l’absentéisme
      • La réduction du taux de roulement du personnel
      • L’augmentation de l’efficacité et de la productivité
      • La réduction des gaspillages
      • La diminution des rejets et des réfections
      • La réduction des temps de cycle
         
    2. Bénéfices intangibles
      • Amélioration des communications
      • Amélioration du moral chez les employés
      • Amélioration des relations interpersonnelles
      • Réduction de la nature des griefs
      • Diminution du nombre de plaintes de la part des clients
      • Réduction des recours légaux
      • Augmentation de la qualité du service
         
  • Les bénéfices attribués à la formation par les auteurs recensés par Philips sont en corrélation directe avec la satisfaction des employés au travail et leur identification à l’organisation pour laquelle ils travaillent : « Des taux élevés de productivité et de rendement reflètent un degré élevé d’identification à l’organisation ».

Le cas de Sears
D’autre part, la compagnie Sears a montré la relation qui existe entre la satisfaction des employés au travail, la satisfaction de la clientèle et la croissance des revenus : 5 points de plus sur le plan de la satisfaction au travail entraîne une hausse de 1,3 point en ce qui concerne la satisfaction de la clientèle et une augmentation des revenus bruts de 0,5 %.

La formation vue dans un ensemble de dispositifs de gestion du personnel
Dans le cas de Sears, comme c’est également vrai pour plusieurs autres entreprises reconnues pour leur réussite en affaires, il est important de noter que la formation faisait partie d’un ensemble plus large d’interventions de gestion du personnel axées sur trois impératifs formant une chaîne : employés motivés, clients satisfaits et actionnaires heureux (employés-clients-actionnaires, ECA). En conséquence, au lieu d’essayer avec grande difficulté et souvent à grands frais d’isoler uniquement l’aspect de la formation et de ses impacts directs, on peut se demander s’il n’y aurait pas un plus grand intérêt pour les entreprises à analyser plutôt l’ensemble des bénéfices par rapport aux coûts de toutes les interventions en gestion des ressources humaines. « Cette mesure est calculée en divisant les dépenses totales de la direction des ressources humaines par le nombre d’employés afin de pouvoir les comparer d’un organisme à l’autre.  » (Linda Davidson, « L’apport RH au résultat net; mesurez-le », Effectif, vol. 1, n° 5)

Cela dépend des attentes des gestionnaires
Lorsque la question du rendement de l’investissement est posée avant le début de la formation (après, c’est bien trop tard, évidemment), on ne parle plus vraiment d’un rendement de l’investissement (RI) mais plutôt d’un rendement des attentes (RA) des gestionnaires. Sur la base des bénéfices attribués à la formation dans d’autres entreprises (par exemple la réduction de l’absentéisme, des gaspillages, l’augmentation de la productivité, etc.), on peut cependant s’attendre, en toute légitimité, à des résultats semblables dans sa propre entreprise. On pourrait, par exemple, faire l’hypothèse que, si l’investissement que l’on s’apprête à faire en formation est intégré à d’autres interventions en gestion des ressources humaines qui visent à augmenter le taux de satisfaction des employés de 5 points, on pourrait alors s’attendre, comme dans le modèle de Sears, à une augmentation de 1,3 point au regard du taux de satisfaction des clients et à une augmentation des revenus bruts de 0,5 %; un modèle économétrique semblable a aussi été élaboré par la Banque Royale du Canada et par Nortel. Dans les meilleures conditions, pour un investissement de un million de dollars en développement des ressources humaines dans une entreprise dont le chiffre d’affaires serait de un milliard annuellement, on pourrait s’attendre à un rendement de l’investissement de 5 : RA = (0,5 % de 1 milliard)/1M = 5M/1M = 5.  

Une question de jugement plus qu’une question de mathématiques
Évidemment, le jugement du gestionnaire avant le fait à l’effet que cette formation augmentera de 5 % le taux de satisfaction des employés au travail demeure primordial dans l’équation et il n’y a pas de formule mathématique pour mesurer le jugement. Pour ma part, trente années d’expérience dans le domaine m’a amené à la conclusion, à l’instar de Jack Philips, qu’il était préférable de faire de la formation, plutôt que de ne pas en faire du tout. Pour une entreprise, les conséquences de ne pas faire de formation coûtent beaucoup plus cher que la formation elle-même : prenons par exemple le cas de Magnavox Electronic Systems (fabriquant du système GPS) où on estime qu’il aurait continué de coûter annuellement 283 367 $ en gaspillage et en perte de productivité si la formation de soixante employés à la lecture, à l’écriture et au calcul, au coût total de 38 233 $, n’avait pas eu lieu; ces employés étaient analphabètes.

Jack Phillips ne recommande pas de calculer le rendement de l’investissement dans plus d’un programme sur dix parce que de toute façon, les entreprises prennent leur décision sur la base d’un jugement préalable postulant qu’il en coûterait plus cher de ne pas former leur personnel que de le former. En d’autres mots, la question du rendement de l’investissement en formation n’est pas une simple question mathématique, elle reste avant tout une question de jugement préalable. Le cas de Domtar en est un bel exemple.

Un jugement préalable appuyé sur une philosophie de gestion
Dans le cas de Domtar, la philosophie de gestion est claire. Il s’agit de la philosophie de gestion par l’engagement formulée par le PDG, monsieur Raymond Royer, et dont on peut prendre connaissance en entier notamment dans la revue Business Quarterly (Printemps 1991) sous le titre Managing by commitment. Monsieur Royer énonce des finalités, des principes de base et des valeurs à partir desquels toutes les décisions peuvent être prises dans l’entreprise, de la plus simple à la plus complexe. La philosophie de gestion de Domtar fournit un cadre de référence à tous les gestionnaires de telle sorte qu’ils sont constamment en mesure d’évaluer leurs décisions et de déterminer qu’elles sont les meilleures dans les circonstances avant de les appliquer. Ainsi, dans la philosophie de gestion par l’engagement, la décision d’investir ou non dans un certain programme de formation nous renverrait à peu de chose près au raisonnement suivant :

  • Le but de l’entreprise est de créer de la valeur pour les actionnaires, pour les clients et pour les employés : si l’on ne crée pas de valeur pour l’un des trois piliers de l’entreprise, alors on crée des perdants et, ce faisant, il n’y aura plus d’entreprise à plus ou moins brève échéance.
  • La différence entre nous et nos concurrents, c’est nous : en effet, tous peuvent avoir accès aux mêmes sources de financement et aux mêmes machineries.
  • La qualité d’une entreprise dépend donc avant tout de la qualité des gens qui y travaillent et qui la gèrent au quotidien.
  • Nous, nous voulons croître, développer notre plein potentiel et l’utiliser au maximum continuellement.
  • Or, la formation, à certaines conditions, est un moyen qui peut nous aider à développer notre plein potentiel et à l’utiliser au maximum.
  • Donc, la question n’est pas de savoir si nous devons investir ou non dans la formation mais plutôt de savoir à quelles conditions nous pouvons optimiser le développement de notre potentiel par notre investissement dans telle formation plutôt que dans telle autre.

Conditions pour optimiser la formation
Tenter de justifier la formation en partant d’elle-même, c’est faire fausse route. Contrairement aux phénomènes physiques obéissant toujours aux mêmes lois répertoriées par la science, la formation en entreprise n’est pas du tout scientifique. C’est une activité humaine, normative, consciemment organisée et constamment réorganisée selon la volonté de ceux qui l’animent et qui y participent. La formation est assujettie aux circonstances de lieu, de personnes et de temps. Une activité de formation peut bien être très efficace dans telle situation, auprès de telles personnes, mais pas nécessairement tout le temps, avec tout le monde, partout, dans toutes les circonstances. Pour que la formation soit optimale, il faut que :

  • les gens en sentent vraiment le besoin; l’apprentissage est un acte volontaire et responsable; par conséquent, le premier critère pour qu’une formation soit efficace est la pertinence de son contenu;
  • les participants comprennent bien pourquoi ils doivent apprendre;
  • les gens sachent à quoi la formation pourra leur servir immédiatement;
  • la formation utilise des méthodes actives, ce qui permet d’apprendre plus efficacement;
  • les exercices d’apprentissage soient non menaçants, voire amusants;
  • la formation fasse appel à plusieurs sens à la fois;
  • la formation amène les gens à structurer leur pensée et leur action, et non seulement leur mémoire.

D’autre part, chaque activité de formation doit être connectée à un programme global de formation qui doit lui-même être connecté au PDRH (Plan de développement des ressources humaines). Le PDRH comporte les volets de la gestion du personnel tels la dotation, l’accueil et l’orientation des nouveaux employés, la qualité de l’environnement de travail, la santé et la sécurité du travail, la gestion des heures supplémentaires, de l’absentéisme, des griefs, du roulement du personnel, du travail en équipe, de l’évaluation de la performance individuelle selon les critères énoncés dans la philosophie de gestion de l’entreprise et de la formation basée sur les besoins établis dans cette évaluation, l’implication du personnel dans la résolution des problèmes, l’utilisation optimale du potentiel de chacun, la reconnaissance d’un travail bien fait et l’établissement d’un plan de relève. Tous ces programmes ou outils de gestion du personnel doivent être connectés entre eux de même qu’avec la formation et vice versa. Si une activité de formation n’est pas reliée à un programme global de formation et au PDRH, elle n’est pas du tout pertinente et, en cette qualité, elle n’a plus à être justifiée, elle devient tout à fait injustifiable.

À son tour, le PDRH doit être connecté au plan stratégique de l’entreprise, pour les mêmes raisons. En pratique, le PDRH devrait être une composante de tout plan stratégique d’entreprise. C’est le plan stratégique qui nous renvoie aux objectifs généraux de l’entreprise, à des finalités comme la création de valeur pour les actionnaires, les clients et les employés, à des principes et à des styles de gestion, à des valeurs d’entreprise. À ce point, la formation devient le prolongement naturel et même obligé du plan stratégique, puisque c’est principalement par elle que sera propagée la culture de l’entreprise. Ainsi, la formation se trouve justifiée en partant du plan stratégique de l’entreprise, et non plus en partant d’elle-même.

Conclusion
En définitive, on ne peut pas calculer mathématiquement le RI au moment où le gestionnaire prend sa décision, c’est-à-dire avant la formation, puisque de toute évidence les résultats sont encore immatériels à ce moment-là. En faisant une analyse de second niveau, c’est-à-dire en remettant en cause la question elle-même du rendement de l’investissement dans la formation, on se rend compte qu’il y a une deuxième approche possible qui réintroduit le jugement préalable dans l’équation. Dans le contexte d’une philosophie de gestion qui préconise la création de valeur à la fois pour les trois piliers que sont les actionnaires, les clients et les employés, on peut justifier la formation en partant du plan stratégique de l’entreprise. On n’a pas besoin de calculer scientifiquement le rendement de l’investissement, puisque nous postulons à l’avance qu’il y en aura un, qu’il sera significatif et qu’il sera reflété dans les résultats financiers globaux comme toute autre mesure de gestion qui crée de la valeur pour les gens.

Claude Gaudet, CRIA, Ph. D., conseiller en gestion du changement, Praxcim


Claude Gaudet, CRIA