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Apprendre en jouant, c’est sérieux!

Finies, les formations traditionnelles? Apprentissage en ligne, jeux sérieux, activités de terrain, ateliers d’apprentissage par le vécu : les jeux investissent le domaine de la formation professionnelle.

18 juin 2008
Myriam Jézéquel

On connaissait déjà les jeux de guerre utilisés par l’armée américaine pour développer les aptitudes de ses soldats. Puis, certaines écoles de management ont décidé d’intégrer le jeu vidéo à leur programme d’enseignement pour un environnement d’apprentissage innovant. La médecine adopta cette nouvelle méthode d’apprentissage pour entraîner ses professionnels à la maîtrise de situations d’urgence.

Désormais, les jeux gagnent progressivement du terrain. Des gestionnaires des ressources humaines de grandes entreprises introduisent ces jeux comme outils de développement des compétences ou comme techniques innovantes de recrutement. Ainsi, l’Oréal a franchi le pas avec Hair-Be12, un nouveau concept d’outil pédagogique en ligne fondé sur la « modélisation virtuelle du business d’un salon de coiffure ». Offert à tous les professionnels de la coiffure, le jeu favorise le développement de cinq compétences : relation client, consultation, fidélisation, prise de rendez-vous, santé et sécurité.

L’apprentissage par le jeu sera-t-il l’avenir de la formation? L’essor de ces outils ludiques est difficile à évaluer. L’institut international Data Corp évalue ce marché à 10,8 milliards de dollars pour 2007. Les jeux sérieux pourraient représenter 40 % du marché de la formation à distance d’ici la fin de la décennie, selon Samuelle Ducrocq-Henry, professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Comment les jeux changent-ils la formation du personnel?

La formation en ligne : pour un apprentissage actif
« Le e-learning est utilisé en entreprise pour former un groupe sur les nouvelles stratégies de gestion des ressources humaines, sur les produits et services ou sur la façon d’utiliser un logiciel ou de gérer les factures », affirme Kristina Schneider, présidente du comité exécutif de l’Alliance eLearning et directrice du eLearning à Documedia. La formation en ligne vise à transmettre un contenu didactique à l’apprenant en intégrant de l’interactivité. En phase avec les réseaux sociaux et les communautés en ligne, elle se définit comme un outil d’apprentissage actif et interactif.

Issue des secteurs de l’éducation et de la formation ouverte à distance, la cyberformation n’en est plus à ses premiers pas. Elle ne cesse d’évoluer vers de nouveaux niveaux d’expérimentation appliqués à des stratégies alignées sur la vision de l’entreprise. Les stratégies employées vont de la consultation d’un dictionnaire en ligne à des petites capsules intégrées jusqu’à une nouvelle génération d’outils plus complexes. Leur objectif est de stimuler la curiosité, l’engagement et la communication en lien avec les objectifs d’une organisation apprenante.

L’avantage de la formation par Internet pour l’entreprise? « On peut faire des formations en masse. En général de courte durée, en petites capsules de vingt à trente minutes en ligne par concept, la formation par Internet se prête à une grande distribution et à un usage fréquent », affirme Kristina Schneider. Pour optimiser son efficacité, elle devrait être basée sur des actions concrètes, un apprentissage personnalisé et dans un contexte interactif, aligné sur des objectifs liés à la performance. « Pour un système de facturation, le premier écran dirait : “Bienvenue à votre cours de facturation. Voici le genre de tâches qu’on va vous apprendre à effectuer”. Un second écran montrerait une ou deux actions, puis un test vérifierait que la personne a bien compris avant de passer à l’étape suivante », illustre madame Schneider.

La réussite du jeu se mesure par l’atteinte des objectifs pédagogiques. « Dans l’évaluation des apprentissages, il y a la connaissance, la compétence et la capacité », explique Kristina Schneider. Mémoriser des connaissances ne dit rien sur la capacité de faire une action. En raison des coûts de la formation en ligne, semblables à ceux de la formation en classe, ce mode d’apprentissage connaît une nouvelle vogue.

Jeux sérieux…
Résoudre des situations en 3D? C’est possible grâce aux jeux sérieux (serious games). Ceux-ci sont basés sur des jeux vidéo dont ils empruntent l’aspect divertissant à des fins d’apprentissage. « La gamme des jeux sérieux se déploie en formations en ligne du ludique au ludique pur, explique Jean-Philippe Bradette, CRHA, responsable du service de formation en entreprise chez Ellicom, une entreprise spécialisée dans les solutions de formation en ligne et de jeux sérieux. Tout ce qui tourne autour du jeu vidéo – les déplacements, les défis, les possibilités de rétroaction – peut être intégré dans le jeu en ligne. Les entreprises de développement veulent être plus efficaces relativement aux résultats de leurs apprenants. Quand il y a un scénario pédagogique comportant un défi et qu’on intègre des notions de jeu, on augmente l’efficacité de ces formations », poursuit-il. Du monde virtuel à la vie en entreprise, le jeu sérieux vise l’acquisition de compétences transposables en situation réelle dans le milieu de travail.

Un cas d’application de cyber-apprentissage : un chauffeur d’autobus doit utiliser le radiotéléphone (appareil technique) sur un parcours d’autobus simulé et rencontre sur sa route différentes mises en situation. Un autre cas d’utilisation : un jeu en 3D reconstitue une scène d’incendie en forêt où des professionnels des services de secours doivent réagir efficacement. « Pour la société de protection des feux de forêts du Québec, on a simulé deux journées de travail et donné deux missions. Les pompiers doivent combattre un incendie en opération courante avec l’équipement standard. Dans l’autre mission, l’apprenant doit combattre un incendie de force majeure et demeurer à un niveau de risque faible. Des rétroactions lui sont données. Quand il s’est bien positionné, on lui donne un mini défi », illustre Jean-Philippe Bradette. Le jeu sérieux peut aussi s’appliquer au service à la clientèle, par exemple en démontrant comment répondre à un client mécontent. Les simulations d’entreprise sont un autre type de jeux. Par exemple, « on intègre dans un bureau virtuel différentes situations de harcèlement et la personne doit réagir à ces types de conflits ».

Un avantage du jeu sérieux, outre l’apprentissage, est qu’« il est anonyme. Il ne comporte pas le danger des jeux de rôle ». Les grandes organisations retiennent davantage le jeu sérieux pur, en milieu immersif, tandis que les plus petites préfèrent la formation en ligne avec un scénario pédagogique.

L’apprentissage par le vécu
L’idée est simple et efficace : on apprend mieux en interagissant avec ses pairs. L’apprentissage par le vécu est fondé sur une approche pédagogique élaborée par le docteur Sivasailam « Thiagi » Thiagarajan. Expert international dans le domaine de l’apprentissage par le vécu, sa renommée lui a valu de présider les plus importantes associations dans le domaine : North American Simulation and Gaming Associating (NASAGA), International Society for Performance Improvement (ISPI) et Association for Special Education Technology (ASET).

Consultant en conception et facilitation, Magella Sergerie s’inspire de l’approche de Thiagi dans la mise en œuvre de ses ateliers de formation. Les objectifs d’apprentissage sont affectifs, interactifs et cognitifs. Le secret de la réussite de cet exercice réside dans le degré d’implication de l’apprenant. Comme outils pédagogiques, le formateur utilise une variété de jeux et de simulations. Ainsi, lors d’une activité utilisant corde à nœuds et yeux bandés, des participants expérimentent la résolution de problèmes en équipe. Pendant une heure, « les participants vivent une expérience reflétant les étapes qui se produisent lorsqu’on regroupe plusieurs personnes pour accomplir une tâche », explique Magella Sergerie.

Chaque compétence visée trouve son jeu. Un jeu nécessitant un partage d’informations au sein d’une équipe persuadera l’équipe de l’importance d’un esprit de collaboration par rapport à un esprit de compétition. Tel autre jeu démontrera comment le manque de confiance nuit aux résultats de l’équipe. Les participants seront alors invités à explorer les facteurs qui augmentent le manque de confiance entre les membres d’une même équipe. Pour Magella Sergerie, « les domaines d’application de la trousse d’apprentissage par le vécu (de Thiagi) sont vastes. Par exemple, dans les entreprises, la formation sur le tas est l’une des façons les plus répandues et les moins coûteuses pour former les employés. Malheureusement, cette technique donne parfois de piètres résultats, ce qui est souvent dû à une absence de structure. La plupart du temps, on prescrit aux apprentis des activités où ils sont laissés à eux-mêmes. On se contente de les évaluer sur les résultats finals sans avoir vérifié la démarche utilisée pendant l’apprentissage ».

La nature comme terrain de jeux
« La prise de conscience réelle de ses propres limites ou de ses propres forces, non seulement intellectuelles mais aussi émotionnelles, ne peut se faire devant un tableau noir, mais bien dans le feu de l’action », affirme Jean-Pierre Mercier, président de Challenge-Action, qui offre, depuis 1991, des formations en salle, des formations par l’action et des formations multimédias.

Dans la formation par l’action, la nature est le terrain de jeux et d’apprentissage de ses clients. Les jeux sont coopératifs et visent la consolidation d’équipe. Au programme de la journée? Gravir une falaise ou une échelle de quarante pieds, escalader une montagne, faire une tyrolienne… « Les entreprises recherchent des gens qui coopèrent mieux, sont plus ouverts, communiquent davantage, résolvent des problèmes et élaborent des plans d’action », souligne Jean-Pierre Mercier. Pour communiquer la conviction que « votre force, c’est votre équipe », la formation doit travailler sur le savoir-être. Ces formations permettent d’aller plus loin que le savoir appris à l’université ou le savoir-faire acquis en formation d’équipe.

L’activité en équipe suit un plan de formation bien précis. Dans une réunion de départ, on explique les qualités d’un bon participant et les principes des équipes performantes. Ensuite, l’activité commence par un jeu brise-glace pour créer une atmosphère positive. Suivent « des jeux de confiance où les gens apprennent à tomber dans les bras de leurs collègues ou à être portés à bout de bras ». Ensuite, des jeux coopératifs qui demandent planification et stratégie à l’équipe. « Ces jeux présentent un risque apparent tel le jeu de la toile d’araignée où les participants doivent passer à travers des trous jusqu’à une hauteur de 1,50 mètre. » Enfin, un défi d’équipe viendra consolider l’équipe encore davantage grâce à un exploit impossible individuellement, mais réalisable en équipe. « Après l’émotion, on fait un jeu plus calme. Les divers types de jeu font appel à différents types de compétences pour montrer qu’une équipe a besoin de chacun de ses membres. On cherche des jeux qui font appel à des compétences complémentaires. » L’étape suivante est consacrée aux plans d’action d’équipe et individuel pour implanter les apprentissages. Dans un autre temps, l’entreprise réalise ces plans d’action. Et, enfin, la formation s’achève par l’évaluation des résultats selon les critères déterminés. « Obtenir du plaisir et des résultats sur l’ensemble de l’année », c’est le gage de réussite pour l’entreprise.

Pour tous ces experts, le jeu rend compétent, permet d’évaluer les compétences et permet à l’entreprise d’améliorer sa position stratégique sur le marché. La formation professionnelle serait-elle sur le point de devenir un jeu pour les gestionnaires?

Myriam Jézéquel, journaliste indépendante

Source : Effectif, volume 11, numéro 3, juin/juillet/août 2008.


Myriam Jézéquel